La zakat, 3ème pilier de l’Islam, est un prélèvement obligatoire sur les biens des musulmans possédant un certain seuil de richesse (nissab en arabe, qui varie selon la nature du bien concerné), au profit des couches les plus démunies de la société. Pour une plus grande efficacité de la zakat, Papa Thierno M. S. Diop, économiste-financier, préconise la mise en place d’un Comité national de gestion des fonds de la zakat. Pour un meilleur usage au bénéfice des couches les plus défavorisées et pour que la zakat puisse jouer son rôle de filet social destiné à lutter contre la pauvreté, voire de fonds d’amorçage pour financer des micro-activités génératrices de revenus.
Le prélèvement est annuel, avec un taux qui varie aussi selon la nature du bien (2,5% sur l’or et l’argent, 5 à 10% sur les produits agricoles…). De l’avis de la majorité des savants, la zakat est redevable sur l’or, l’argent, les avoirs monétaires et financiers (épargne, actions…), les produits agricoles, le bétail, les produits miniers, les biens de commerce, les propriétés acquises pour l’investissement…
Le Coran (S9 V60) énumère les huit catégories de personnes qui peuvent bénéficier de la zakat : les besogneux, les pauvres, ceux qui y travaillent, ceux dont les cœurs sont à gagner (sympathisants), pour le rachat des captifs, les surendettés, ceux qui se consacrent à la cause de Dieu, le voyageur en détresse.
Les versets coraniques ainsi que les hadiths prophétiques recommandant la zakat sont nombreux et diversifiés. Il existe aussi une littérature abondante sur les aspects juridiques de la zakat du point de vue des quatre écoles doctrinales.
Les objectifs de la zakat sont multiples et recouvrent des dimensions qui sont d’ordre spirituelles, sociales, légales et économiques.
D’abord, la dimension spirituelle par la purification des biens des riches contre l’avidité et l’avarice ; ensuite, la dimension sociale et légale par le devoir de solidarité entre les membres de la société ; et la dimension économique par la lutte contre la pauvreté et la réduction des inégalités entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas.
De ce point de vue, la zakat peut être définie comme un «impôt social purificateur», selon l’heureuse formule du professeur Tariq Ramadan.
Au Sénégal, il n’existe pas de structure nationale et officielle, chargée de la collecte et de la gestion des fonds issus de la zakat. Certaines associations islamiques s’évertuent à combler ce vide, en tentant d’organiser la collecte et la redistribution de la zakat. On peut citer par exemple le Fonds Sénégalais pour la Zakat qui existe depuis 2009. Ces initiatives sont certes salutaires et à encourager, mais toutefois l’envergure semble limitée. En fait, en règle générale, c’est à l’échelle individuelle que se fait l’acquittement et la distribution de la zakat. Dès lors, on assiste à une sorte d’émiettement des fonds acquittés et distribués pour la zakat. Ce qui, naturellement, réduit considérablement son impact et son efficacité dans la lutte contre la pauvreté et la réduction des inégalités au Sénégal.
Pour un Comité national de collecte et de gestion de la zakat
Pour que le système zakataire joue pleinement son rôle de régulation sociale et de réduction de la pauvreté, il est nécessaire de réfléchir sur une stratégie de collecte au niveau national. En effet, lorsque la zakat est gérée collectivement, et en conformité avec les prescriptions coraniques, elle peut être un facteur très important de réduction de la pauvreté.
C’est pourquoi, pour tirer profit des bienfaits de la zakat, il faudrait, en quelque sorte, mettre en place un Comité national de collecte et de gestion des fonds de la zakat. Ledit comité aura pour principaux rôles de sensibiliser les musulmans sénégalais sur le paiement de la zakat (afin d’atteindre tout le potentiel de fonds mobilisable) ; ensuite, collecter à grande échelle les fonds issus de la zakat ; enfin, gérer à bon escient, les fonds zakataires avec des objectifs clairs et conformes aux recommandations divines.
Sur le plan organisationnel, à l’instar de ce qui se fait dans de nombreux pays (Malaisie, Pakistan, Algérie…), le Comité pourrait être composé des membres représentatifs des différentes communautés islamiques du Sénégal (approche inclusive), d’un Comité juridique composé de fuqahas, spécialistes en fiqh de la zakat pour se prononcer sur la conformité des décisions d’affectation des fonds aux recommandations coraniques et prophétiques, de Commissaires aux comptes pour des audits réguliers afin de garantir la transparence de la gestion des fonds. Le Comité devra aussi avoir des antennes satellites dans toutes les localités du pays, pour assurer la décentralisation de la collecte et de la redistribution des fonds. Il appartiendra également au Comité de définir sa stratégie de collecte et de distribution, ainsi que le plan d’actions qui permettra de réaliser les objectifs fixés au préalable.
Les pouvoirs publics pourraient jouer de rôle de facilitateur en dotant le Comité d’une reconnaissance juridique et d’un soutien sur la stratégie de mobilisation des ressources. En tout état de cause, la réussite d’un tel projet réside dans l’adhésion, à une grande échelle, des différentes communautés islamiques du pays, mais aussi et surtout dans la transparence de la gestion des fonds et dans leur utilisation efficiente.
Dans le contexte du Sénégal, les fonds collectés pourraient, par exemple, servir à aider les daaras les plus démunis dans la prise en charge des talibés, afin de lutter contre la mendicité infantile ; ou encore l’assistance des familles sinistrées lors des inondations durant la période hivernale… où même financer des micro-projets pour des chômeurs frappés par la précarité. C’est dire combien la gestion efficiente des fonds de la zakat peut permettre de contribuer substantiellement à la lutte contre la pauvreté dans notre pays.
Des exemples de réussites dans la Oummah
Au niveau international, les initiatives allant dans ce sens ne manquent pas. Au Malaisie, la «Zakat Management Authority (ZMA)» est chargée de la collecte et de distribution de la zakat. Elle est sous la tutelle de chaque Etat fédéral. Dans certains Etats, la gestion de la ZMA est privatisée afin d’assurer une meilleure gestion. Dans ce pays, le système de collecte a été considérablement amélioré avec le développement de la «e-zakat», soit la possibilité de verser sa zakat en ligne à partir de certaines applications et sites web. La Malaisie, de l’avis de beaucoup d’observateurs, constitue le pays qui détient le mode de management de la zakat le plus abouti, comparativement aux autres pays musulmans. (Source: Enhancement of zakat distribution management system: case study in Malaisya, Lubis 2012)
En Indonésie, c’est la «Zakat Management Act» qui est chargée de la promotion, de la collecte et de la bonne utilisation des fonds de la zakat. Cette structure travaille avec des organisations privées habilitées à collecter la zakat et qui sont disséminées à travers toutes les provinces et cités du pays. Dans ce contexte, le rôle du gouvernement est de réguler, faciliter et coordonner les activités des différentes institutions de la zakat. En 2010, le montant collecté pour la zakat dans le cadre de la «Zakat Management Act» représentait 0,1% du PIB. (Source : College of Islamic University, Nashr et Kayabidi 2013).
Au Pakistan, les fonds collectés pour la zakat ont permis à un hôpital (Khanum Memorial Cancer Hospital), spécialisé dans le traitement du cancer, de traiter gratuitement 75% des malades à faible revenus (Source : Daily Times, juillet 2013).
Plus près de chez nous, en Algérie, un Fonds de la zakat a été mis en place depuis 2003. Selon le ministre des Affaires religieuses, en 10 ans d’existence, le Fonds a collecté quelques 7,5 milliards de dinars (soit 43,2 milliards Fcfa) et a permis de créer quelque 7 000 micro-entreprises au profit des jeunes et des couches les plus défavorisées de la population. Plus de 2 millions de jeunes et 821 familles ont bénéficié du Fonds de la zakat depuis sa création (Source : Algérie Soir, Press, Octobre 2013).
Des initiatives allant dans le sens de la collecte de la zakat au niveau national sont aussi en cours en Guinée, au Maroc et en Tunisie.
Il convient de tirer profit de l’ensemble de ces expériences positives, observées de par le monde, dans la collecte et la gestion de la zakat, afin de permettre à ce pilier fondamental de l’Islam, de jouer pleinement son rôle dans la réduction de la pauvreté au Sénégal. C’est permettre ainsi à la zakat de jouer pleinement un rôle proactif au service d’une éthique de justice sociale, de solidarité active et d’une vraie dignité humaine.
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