Nous avons échangé avec eux en donnant des gages, car 7,8 milliards de FCFA ont été payés à ces écoles courant de l’année et 41 milliards de FCFA depuis 2013 », a déclaré le ministre de l’enseignement Cheikh Oumar Hanne lors d’une visite à l’université Gaston Berger au mois d’Août dernier. C’est à cette occasion d’ailleurs qu’il a rappelé que dans la loi des finances rectificatives, il était prévu de leur reverser 4 milliards de FCFA pour honorer les factures.
L’aveu est donc fait sur les raisons qui ont abouti au clap de fin de la coopération entre l’Etat et les établissements privés d’enseignement supérieur. Finalement, une affaire de sous a eu raison de cette idylle qui a duré six années. Même si l’autorité ministérielle a fait cas de son insatisfaction sur ce dispositif en requérant une évaluation. « Il y a une évaluation à faire car nous ne sommes pas contents des enseignements dispensés dans ces écoles, avec les 59 filières agrées par l’Autorité nationale d’assurance qualité de l’enseignement supérieur (Anaq-Sup)», a souligné le ministre Cheikh Oumar Hanne qui révèle avoir échangé avec des Du côté du Cadre unitaire des organisations des établissements privés d’enseignement supérieur du Sénégal (Cudopes), Jean Marie Latyre Séne, président de la conférence des établissements d’enseignement supérieur du Sénégal (CEPES) invoque d’autres motifs pour expliquer les raisons qui ont conduit au clash. Le coordonnateur du cadre unitaire indique que si le gouvernement respectait ses engagements en nous payant les 50% comme prévu dès le début de l’année et le reste après, il n’y aurait pas eu de soucis. « Ils avaient budgétisé 5 milliards depuis le départ et ce sont les 5 milliards qui sont restés jusqu’au bout alors que le nombre d’étudiants augmente d’années en années. Ils sont allés une année jusqu’à nous envoyer près de 20.000 étudiants en première année (19.000 et quelques). En moyenne dans le boyau, il y a toujours 40.000 étudiants (entre 35.000 et 40.000 étudiants) » révèle-t-il en ajoutant que, « ce qui se passe depuis 2016 c’est que l’Etat commence à avoir des arriérés donc ne paie pas régulièrement les enseignements que nous donnons. Pourquoi l’Etat ne paie pas ? Parce que l’incidence financière des nouveaux bacheliers qu’on nous oriente chaque année n’est pas pris en compte dans le budget. Ce qui veut dire que nous on enseigne et l’Etat reste et ne nous paie pas. Le gouvernement nous doit de l’argent, ne respecte pas ses engagements nous ne pouvons plus continuer les enseignements ».
Des milliards de créances
Au demeurant, la décision de ne plus orienter de bacheliers dans le privé met ainsi fin à une mesure qui était louable du reste, à la limite « généreuse ». Mais elle s’est révélée finalement intenable. Budgétivore à la longue. Puisque le nombre d’étudiants ne cessait de croître au fil des rentrées universitaires. Et la créance de l’Etat également, suivait la même courbe ascendante, jusqu’à être à l’origine de ce divorce proclamé.
Il est toutefois heureux qu’il n’existe pas de guerre des chiffres sur cette affaire. « Il n’y a aucune guerre de chiffres car tous les chiffres sont ceux du gouvernement. On a annoncé un montant de 18 milliards, constitués de 3 milliards issus de la période 2016-2017, et des 15 milliards qu’on tient des services de la DGS, qui disait que l’impact de l’année académique 2017-2018 serait effectivement de 15 milliards. Je ne sais pas si le ministre l’a déclaré lors de sa sortie, ou si cela provient de l’un des documents qu’il possédait, mais il a affirmé que l’impact des étudiants de l’année académique 2018-2019 est de 12 milliards, au lieu de 15 milliards. Et les chiffres proviennent toujours de leurs études » renseigne M. Sène. Il ajoute même que cela peut tout de même être avéré car si l’on prend le cas des établissements dépendants de l’UCAO qui devait recevoir environ 1700 étudiants en première année, sur les bacheliers de la promotion 2018. « Nous en avons 1500, donc il y en a 200 qui ne se sont pas inscrits. Et souvent, il arrive que certains préfèrent se prendre en charge et ne veulent pas dépendre du programme de l’Etat. Ainsi, les 18 milliards qui avaient été annoncés étaient exacts en début janvier, en prévision des étudiants qu’ils allaient orienter en 2019. Par la suite, ils ont dû refaire les statistiques et les chiffres ont logiquement diminué. Il n’y a donc aucune guerre de chiffres » admet-il.
Les sous, le nerf de la guerre
Néanmoins la reconnaissance de dette ne fait l’objet d’aucun doute dans cette collaboration entre l’Etat du Sénégal et les établissements privés. C’est la cause même qui a été à l’origine d’une suspension des cours une première fois, l’année dernière. Jean Marie Latyre Séne relate cet épisode : « après des négociations, nous avons trouvé une entente avec le gouvernement où il y’avait un échelonnement de la dette qui faisait que le gouvernement devait budgétiser 8 milliards parce qu’il y avait une dette de 16 milliards l’année dernière. Ils ont payé entre octobre et décembre 6 milliards, il restait 2 milliards. Le gouvernement avait inscrit dans la loi de finance initiale LFI 8 milliards et s’était engagé à inscrire après 4 milliards dans la loi de finances rectificative (LFR) ce qui devait nous amener à 12 milliards ». Ce qui veut dire qu’il allait éponger la dette et commencer à payer l’année 2018-2019 parce que la dette se reconstitue chaque année à partir du moment où il y’avait des étudiants à chaque rentrée. « Pour dire qu’on était dans une dynamique de partenariat gagnant-gagnant et on savait que l’Etat ne pouvait pas payer immédiatement toute la dette, on leur a dit continuons comme ça à discuter, on va toujours trouver des solutions. Privilégions le dialogue ! »
Il devait en être ainsi ! Du moins pensait… le Cudopes. « Maintenant qu’est ce qui s’est passé ? A un moment, on s’est rendu compte que la LFR n’a pas pris en compte, pour nous en tout cas, l’engagement du ministre de nous reverser 4 milliards FCFA. Pire, sur les 8 milliards qu’on devait nous payer entre janvier et le mois de juin, ils ont arrêté les paiements en avril. Ce qui veut dire que les 8 milliards n’ont même pas été épuisés », indique-t-il surpris par la tournure des évènements. A cet instant, il soutient avoir alerté la tutelle en leur disant, « nous ne pourrons plus enseigner, nous allons nous arrêter. Après cet état de fait, le cadre unitaire a sorti un communiqué pour s’insurger contre le fait qu’on n’ait pas mis l’argent dans la LFR. « On a écrit au président de la république qui nous a mis en rapport avec son ministre conseiller le ministre Siguiné Sy qui nous a dit que les autorités sont très conscientes du problème et qu’une solution sera trouvée dans les jours qui viennent. Mais nous, on leur a dit qu’au 31 juillet, on ne pourra plus continuer nos enseignements nous allons arrêter et c’est ce que nous avons fait, au 31 juillet 2019 ». Il poursuit : « le ministre nous a reçus le 6 août si je ne me trompe pas mais au lieu de chercher à trouver des solutions à cette dette il nous dit que non vous n’avez pas le droit de renvoyer les étudiants ensuite il nous a menacé on n’a vécu pas mal de chose et il est allé même jusqu’à dire qu’il peut nous réquisitionner par la force pour qu’on continue les enseignements et on lui a dit qu’à cela ne tienne ! »
Après les menaces, la sourde oreille a pris le pas dans cette affaire à en croire M. Sène ! Qui informe qu’à part son intervention à la télé, le Cudopes n’a pas reçu de réponse de la part du ministre. « Pourtant, nous lui avons écrit pour lui demander de nous proposer un échéancier. On lui a dit : puisque vous n’avez pas pu trouver des fonds dans la LFR, maintenant partant sur les chiffres réels sur l’année 2017-2018, il reste probablement 3 milliards, donnez-nous le calendrier de paiement de ces 3 milliards d’ici la fin décembre, et nous on reprend les étudiants. Mais si on ne nous paie pas, nous ne sommes pas disposés à prendre les bacheliers 2019 parce que les bacheliers que vous nous avez déjà envoyé, nous n’avons pas les ressources nécessaires actuellement pour pouvoir continuer les enseignements. Ils ne nous ont pas répondu jusqu’à présent.
Tant qu’ils ne répondront pas à la lettre qu’on leur a envoyée, nous resterons sur notre position. S’ils veulent qu’on reprenne les étudiants, ils doivent nous payer », annonce le coordonnateur du cadre unitaire qui soutient qu’ils vont camper sur leurs positions après la nouvelle décision du ministre. « Nous restons sur nos positions : qu’ils nous paient et nous pourrons terminer les enseignements pour ceux qui ont commencé parce que ceux qui ont commencé sont là et ne vont pas aller dans le public. Ils doivent terminer leur 1ère année, 2ème et 3ème année, c’est un contrat qu’ils ont signé sur 3 ans ».
De fâcheuses conséquences
Les créances en souffrance ont cette fâcheuse tendance à créer des problèmes partout. Les conséquences sont similaires au niveau du secteur de l’enseignent supérieur privé du Sénégal. En effet, avec ce partenariat avec l’Etat, beaucoup d’écoles privées ont contracté des dettes pour élargir leurs campus. Aujourd’hui qu’elles peinent à rentrer dans leurs fonds, bonjour les problèmes ! Comme l’assume d’ailleurs le coordonnateur du Cudopes, « cela pose de gros problèmes à notre niveau puisque ça entraîne le fait que nos bailleurs pour ce qui ne sont pas propriétaires, nous renvoient de leurs immeubles, les banques refusent de nous faire du crédit et nos enseignants aussi à un moment donné refusent d’enseigner parce qu’ils disent qu’ils ne peuvent pas enseigner sans qu’on les paie ». Il va sans dire que les temps sont durs du côté des écoles privées. Nombreuses seront celles qui vont mettre la clé sous la porte à la fin, sous le poids des lourds investissements consentis ainsi que des dépenses de fonctionnement. « Certaines écoles peinent à payer leur personnel, nous y compris les grandes écoles. A Saint-Michel, nous avons heureusement pris nos dispositions à l’avance pour ne pas se retrouver dans une situation critique. L’année dernière, lorsque nous avions été surpris par ce problème, nous avions eu du mal à payer de façon régulière les salaires. D’ailleurs, il se trouve que de nombreux vacataires ne sont toujours pas payés, surtout ceux qui travaillaient avec les étudiants de l’Etat. Nous les avions tout de même avertis quant à ce retard indéfini » avoue le directeur général de Saint Michel et de l’université catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO) et secrétaire exécutif du groupe UCAO au Sénégal. En définitive, une situation extrêmement difficile. « Nous passons notre temps à communiquer avec les enseignants pour qu’ils nous comprennent, et nous discutons également avec nos bailleurs et nos banques. Cependant, la situation ne se décante pas ». Aussi conseille-t-il à ses pairs, de savoir s’adapter. « Nous sommes à l’entame d’une année académique, et chacun prendra sur soi la responsabilité de faire la publicité nécessaire afin d’accueillir des étudiants qui n’auront pas décidé d’aller dans le public. Ce sera compliqué pendant un certain temps, mais le privé a un avantage que le public n’a pas : il sait toujours s’adapter à la conjoncture ».
Ainsi va la relation entre l’Etat et les établissements privés d’enseignement supérieur où la détérioration des termes de l’entente a fini de faire son œuvre.
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