Quand on parle de cordonnerie, on parle d’abord de peaux et de cuir, en d’autres termes, de la matière première. Un rapide détour dans une tannerie de Ngaye révèle le secret de la fabrication des peaux en cuir. Trouvée sur les lieux, Marianne Tabane, une experte dans ce domaine, explique le processus : « Nous achetons les peaux au niveau de la Séras à Dakar à 600 FCFA, si c’est celle d’un mouton ou d’une chèvre, mais la peau de bœuf est à 6.000 FCFA. Il est beaucoup plus cher, parce qu’il est souvent importé du Togo ou du Bénin. Après l’avoir bien nettoyée, on la trempe pendant une semaine dans du gaz récupéré auprès des mécaniciens. Pour notre sécurité, nous portons des gants, sinon ça peut créer des lésions sur les mains », révèle cette femme mauresque et également présidente de l’Association des femmes mauresques et tanneuses.
Aussi, ajoute cette éprouvée de la tannerie, « après cette étape, nous utilisons le Neb-Neb pour retirer les poils. Après cela, nous les nettoyons à l’eau de javel pour qu’elles soient bien propres. Après cette étape, nous les lavons à nouveau avant de les sécher. Le Neb-Neb ne coûte pas cher, mais pour en faire de la poudre, il faut le piler pour séparer les graines qui ne doivent pas se casser et, malheureusement, nous n’avons pas de machine pour ça, et c’est très difficile », souligne-t-elle. Il est à signaler que le Neb-Neb et le gaz sont deux produits qui ne se mélangent pas.
En résumé, un travail fait avec la méthode traditionnelle dure 15 jours, selon Marianne Tabane, pour que la peau soit prête. Et en matière de vente, le prix dépend du type de peau choisi par le client, parce qu’il existe trois catégories : le premier choix qui est soit une peau de mouton ou de chèvre non trouée, est cédé à 2.500 FCFA, le deuxième choix à 1.500 FCFA. Quant au troisième choix, on le vend comme on peut. La peau de bœuf achetée par exemple à 6.000 FCFA, est ensuite coupée en deux parties et vendue à 7.000 FCFA la pièce, après tannage.
Les peaux importées ont tué le commerce
Néanmoins, les tanneries traditionnelles traversent d’énormes difficultés. Les ventes ne sont plus ce qu’elles étaient, se désole-t-elle. « A l’époque, avant même que nous ne terminions le travail, des acheteurs s’empressaient de nous payer d’abord, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui, parce qu’on ne voit même pas d’acheteurs et ça casse les prix. »
En effet, le tannage de peau traditionnel fait face à la dure loi de la concurrence, avec l’importation des peaux venues d’Europe et de Chine. Résultat des courses, la peau fabriquée par les tanneuses de Ngaye ne fait plus le poids devant les produits importés, plus propres et plus raffinés. Et voilà dix ans que ça dure ! « Nous n’arrivons plus à vendre les peaux comme avant. Donc nous sommes obligés de vendre les peaux à bas prix aux cordonniers qui fabriquent des gris-gris, alors que nous allons à la Séras pour acheter des centaines de peaux, les fabriquer pour ensuite les vendre par deux ou trois peaux et parfois on n’a même pas de quoi nous ravitailler à nouveau. Nous travaillons tous les jours et les peaux sont là, mais on ne voit pas d’acheteurs », dit-elle pour s’en plaindre. Tout ça, c’est à cause des peaux importées qui sont aussi produites ici avant que les Italiens ne les reprennent pour ensuite les revendre sur le marché local. Autant dire une situation aberrante. La faute à l’inexistence d’une tannerie moderne !
En plus, ajoute cette femme dépitée par la situation, « nous n’avons aucun soutien de l’Etat, parce que ça fait longtemps que nous le sollicitons afin de clôturer le mur pour sécuriser les lieux, car les femmes travaillent en plein air et nous n’avons pas les moyens ». A l’en croire, « en ce moment, presque tous les cordonniers achètent les matières premières qui proviennent d’Italie alors que la qualité de la peau n’est pas bonne par rapport à la nôtre. Parmi les cordonniers qui travaillent ici à Ngaye, seul Caawan et Maabo sont nos clients. Eux produisent avec de vraies peaux de bœuf et donc des chaussures de bonne qualité, ce sont les meilleurs à Ngaye. »
D’autres difficultés inhérentes à la tannerie sont aussi notées, mis à part la mévente des produits et le manque de clientèle. Il s’agit du déficit de matériel de travail adéquat. Une des raisons de cette défaite face à la concurrence étrangère, ce sont les méthodes éculées de tannage qui constituent un vrai frein au développement du secteur. Des machines modernes de tannage telles que les épileuses, écharneuses ou encore le Foulon, feraient l’affaire de ces braves dames.
Ce qui leur permettrait de dépasser cette méthode traditionnelle de travail qui prend 15 jours sur une peau, contre deux à trois jours maximum pour travailler les peaux, avec les nouvelles méthodes de tannage.
*Mbaar : atelier
*Neb-Neb : poudre de gousses d’Acacia nilotica
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