Pour sa chronique aux allures de diagnostic, Abdoulaye Rokhaya WANE, stratégiste et Président du Think Tank Leadership Afrique, s’intéresse cette fois-ci aux Partenaires au développement.
L’Afrique est, selon l’OCDE, qui fournit 95% de l’aide publique au développement (APD), le continent qui a été le plus aidé dans le monde. Parmi les pays francophones d’Afrique, le Sénégal est, sans conteste, celui qui aura su tirer, au mieux, son épingle du jeu pour capter le maximum de projets et programmes. Ce qui en fait un fantastique laboratoire d’analyses des trajectoires de l’aide, des évolutions de la coopération internationale et, bien sûr, des progrès obtenus dans le projet de transformation économique et sociale.
Il y a certes, dans ce pays stable et apaisé une relative qualité de vie pour ceux qui en ont les moyens et, ce ne sont pas les partenaires au développement qui vivent parmi nous qui me démentiront mais, pour l’écrasante majorité de la population, les progrès économiques et sociaux sont loin d’être à la dimension des espoirs et des aides consenties. Pourquoi après tant d’années, autant d’appui au développement, ce pays prioritaire pour les donateurs occidentaux et du monde arabe ne parvient toujours pas à sortir de la pauvreté et se mettre sur une rampe de décollage économique ?
La réponse à cette question qui interpelle aussi bien l’Etat que ses partenaires, nous aurait aidé à tracer le chemin critique de l’avenir du Sénégal qui reste largement dépendant des flux de l’APD et des investissements privés étrangers. On pourrait encore se demander, comment se fait il que les pouvoirs publics des pays de l’OCDE fassent confiance au Sénégal, lui portent assistance de façon constante et soutenue depuis plus de cinquante ans et que le secteur privé issu de ces pays n’ait toujours pas assez confiance pour y investir ?
Le temps du questionnement programmatique
L’exigence de bonne gouvernance tant clamée par les partenaires au développement et qui semble être la conviction des nouvelles autorités devrait nous imposer d’ébranler, dans une perspective critique, les certitudes qui ont jusqu’ici sous tendu la pensée du développement et alimenter les politiques de coopération. L’enjeu de ce questionnement est une redéfinition des rapports entre le Sénégal et ses partenaires.
Ces rapports sont anciens et sont marqués par la domination de concepts de développement et de règles du jeu imposés par les donateurs. Or le développement est un processus interne aux communautés concernées, qui ne peut être prescrit de l’extérieur, mais qui peut être appuyé, amplifié par le partenaire extérieur porteur d’une offre crédible. Le fait est que nos dirigeants et les partenaires se sont suffis à répéter au Sénégal des recettes appliquées ailleurs et ne se sont jamais mis à réfléchir objectivement, ensemble, sur le meilleur chemin critique du développement du pays.
Cet exercice n’a jamais été possible parce que, pour l’essentiel, nos élites dirigeantes, nos intellectuels et nos scientifiques n’ont pas beaucoup produit de réflexion ou de pensée originale sur l’Afrique contemporaine et son développement dans un monde de plus en plus concurrentiel. Résultat, la contribution intellectuelle, technique et scientifique du Sénégal sur son propre développement s’étant, ainsi, affaiblie, il n’y a pas eu de véritable débat avec les partenaires sur la meilleure voie à suivre pour asseoir les bases d’un développement viable.
Le temps du chemin critique à tracer
Face à la faiblesse de notre propre offre technique sur nos propres choix de développement, les partenaires ont mis de l’avant des modèles de projets et programmes qu’ils connaissent et maîtrisent théoriquement, sans que ceux-ci ne soient adaptables ou appropriés dans le contexte africain. Aussi, pour pouvoir bénéficier de la coopération internationale avec les pays développés, il a été « convenu » qu’un pays en développement rédige un Document stratégique de réduction de la pauvreté (DRSP). Promu pour remplacer les Programmes d’ajustement structurel (PAS), fortement discrédités dans les années 80-90, ce document doit préciser les politiques préconisées pour l’atteinte des Objectifs du Millénaire (OMD).
Faisant suite à une série de documents stratégiques et de sommets mondiaux, ces OMD qui devraient permettre, entre autres, de réduire de moitié l’extrême pauvreté et la faim, d’assurer l’éducation primaire pour tous, promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes, à l’horizon 2015, sont loin d’avoir obtenus les résultats attendus. Je pourrais multiplier à l’infini les exemples, même si ces grandes conventions internationales ont le mérite de marquer et d’amplifier à l’échelle mondiale la gravité de la situation en matière de développement et, ainsi, permettre de mobiliser d’avantage de ressources pour face aux fléaux et à la pauvreté grandissante.
Entendons nous bien, certains de ces projets et programmes sont certainement pertinents et dans certains cas, avant-gardistes, mais, les réalités du contexte dans lequel ils sont mis en œuvre, n’ont pas permis de garantir, souvent, le succès. L’aide ne devrait être, selon le professeur Phillipe Hugon de l’Institut des relations internationales et stratégiques : « qu’un catalyseur et un facilitateur de processus de développement, préexistants ou potentiels mais bridés par toutes sortes d’obstacles ».
Cette crise des modèles de développement dans un monde devenu interdépendant et cette crise des savoirs en matière de développement africain est constaté par l’éminent chercheur Samir Amin : « Si les années 60 avaient été marquées par un grand espoir de voir amorcer un processus irréversible de développement à travers l’ensemble de ce que l’on appelait le tiers-monde et singulièrement l’Afrique, notre époque est celle de la désillusion. Le développement est en panne, sa théorie en crise, son idéologie l’objet de doute. L’accord pour constater la faillite du développement en Afrique est hélas général ». Plutôt que d’analyser lucidement avec les partenaires les causes du mal et tracer, en toute responsabilité, les voies d’avenir pour le continent, l’intelligentsia africaine trop habituée à un fatalisme gouvernemental qui considère qu’on ne peut rien changer, s’est suffit, jusqu’ici, de dénonciations intempestives.
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