Vous voilà donc, Madame, à la tête de notre belle communauté francophone après deux de vos illustres compatriotes dans un autre temps du monde: Jean Marc Léger et Jean-Louis ROY. Je n’oublie pas l’admirable Clément Duhaime, solide capitaine au devant des hautes marées! Votre pays, très tôt, a beaucoup donné à notre espace de langue en partage!
Au commencement, dit-on, la Francophonie était sainte !
Il y a longtemps, je me suis mis très tôt à vous aimer, parce que vous êtes d’abord une femme, belle ensuite, fort intelligente et bien solide dans vos convictions. Il y a également que je n’oublierai jamais cette image de Madame la Gouverneure Générale du Canada, femme noire, recevant sur ses terres le premier Président noir des Etats-Unis. Il s’y ajoute ce qui vous lie par le sang, m’a-t-on appris, à un homme de culture immense et rebelle, René Depestre qui a marqué avec Senghor, Césaire, Jean François Brière, Roger Dorsinville, Lucien Lemoine, Félix Morisseau Leroy, ma vie de jeune poète à la recherche d’étoiles. C’est tout cela pour moi Michaëlle Jean. Je n’oublie pas, fait rarissime, la Gouverneure Générale du Canada choisir le village des arts de Dakar, parmi les artistes, lors de sa visite officielle, pour y tenir ses premiers échanges. Et puis, je vous rencontre au Forum du Québec sur la Francophonie aux côtés d’un autre homme dont l’Afrique et la langue française restent le tison de sa vie : Jean-Louis Roy de son nom. Une belle, grande et fascinante figure de la fulgurance de l’esprit !
Ensemble, avec Jean-Louis, sans cesse, nous avons parlé de vous sur cette longue et hésitante route vers le Secrétariat Général de la Francophonie. Henri Lopès aussi, m’habitait. Vous étiez mes deux préférés. Dommage que les règles établies ne puissent pas faire d’Henri votre adjoint. Quelle formidable équipe de rêve vous seriez pour la Francophonie !
Mais arrêtons là les rêves!
Madame la Secrétaire Générale, ce n’est pas vrai que la Francophonie est belle et accomplie. Elle ne l’est, comme toute œuvre humaine en marche, qu’en partie. Vous ne bâtirez pas une communauté idéale, cela n’existe pas. Vous pouvez cependant laisser des marques historiques, infléchir une politique nouvelle, audacieuse, réaliste, féconde. Donner espoir à un immense peuple de la terre.
Boutros-Boutros Ghali et Abdou Diouf ont accompli ce qu’ils ont pu. En venant tous les deux à la tête de l’OIF, ils avaient déjà épuisé leur temps d’enthousiasme au pouvoir. L’un à l’Onu, l’autre à la tête du Sénégal pendant près de vingt longues années. Vous devez aller au-delà et accomplir ce qui est inattendu. Soyez moins une héritière qu’une femme qui invente un nouveau monde. Plus le temps passera, plus vous occuperez votre fauteuil; plus votre image s’imposera à notre espace francophone, plus vous devrez écouter, parler, toucher du corps et de l’esprit ce vrai peuple de la Francophonie qui est celui de la Francophonie de terrain, ces millions de jeunes, de femmes, de créateurs lumineux qui se réveillent d’Hanoï à Abidjan, de Montréal à Kinshasa et qui ne sont plus locataires de la langue française, mais copropriétaires. Il n’existera pas de Francophonie sans une libre circulation des hommes. Ni le chaleureux Boutros-Boutros Ghali, ni le confortable Abdou Diouf n’ont réussi cette mission. Les trains des jeunes francophones s’arrêtent aux gares de leurs quartiers, jamais plus loin, à Paris ou Montréal ou Bruxelles ! Pourtant, on ne devrait pas demander à prendre ce qui vous appartient. Aller à Paris ou à Montréal pour les francophones devrait être si naturel ! La Francophonie n’est elle pas, en effet, cette grande mer qui parle à tous les fleuves?
Dans notre espace en partage, Madame, il est encore «17h du matin»! A vous, avec nous, d’accrocher une nouvelle horloge à la marche de l’OIF !
C’est avec un grand sourire que j’ai pris connaissance de la longue, très longue Déclaration de Dakar issue du 15ème Sommet des chefs d’Etats et de Gouvernements. Il y a tant à boire et à manger dans ce long, très long chapelet ! Rien n’y manque. Bien sûr, qu’il faut saluer le Gouvernement du Sénégal et son déterminé Président pour avoir relevé le pari d’une organisation dans un pays singulier à l’opinion libre, volontiers électrique, heurtée, glaciale, démesurée. C’est un don écrémé de la démocratie !
Madame, les missions qui vous sont ainsi confiées relèvent d’une déesse régnant au-delà de la planète terre. Faire le tri dans ces hectares de feuilles de route, relève d’une singulière divinité ! N’évoquons pas le Quai d’Orsay bis que l’OIF incarnait déjà, sans oublier le gendarme, le tribunal diplomatique et la dame justice qu’on lui demande, depuis, de jouer. En un mot, Madame, voila confirmé, que la Francophonie resterait installée, par la volonté des politiques, au cœur des missions de l’Onu, de l’Unesco, de l’OMC, de la Fao, d’Amnesty International, voire de la Cour pénale internationale. C’est ce que l’on pourrait appeler une Francophonie trop remplie de tout et de rien. Ce choix, ce cahier de charges, ne sont pas ceux du plus grand nombre de notre famille. Ce sont plutôt les choix de sa minorité: les politiques ! Et ces politiques proposent tout, sauf de hausser leur contribution financière à la mesure des tâches confiées. Vous vous battrez toute seule, pour tous! Si la volonté des Sommets ne rencontre pas les attentes des peuples sur le terrain, nous voguerons à contre courant. Rappelons-nous ici encore le proverbe créole : le chien a beau avoir quatre pattes, il ne peut emprunter quatre chemins à la fois.
L’OIF n’est pas riche non plus, Madame. Son budget et ses ressources sont à plaindre. On a peur qu’ils le soient davantage dans un grand essoufflement, au regard de la conjoncture économique internationale. Les cotisations de ses pays membres sont chétives et souvent tardives. Ses missions diverses, éparpillées, ces multiples cibles, limitent son efficacité dans un sous-poudrage financier handicapant. Il faudra bien faire des choix et aller là où les résultats seront visibles et partagés.
Mon intime conviction en me réveillant dans mon quartier de Dakar et en rejoignant quelque fois dans l’année mes frères de Lomé, de Yaoundé, de Port au Prince, est que le désir de la francophonie des peuples est non d’être aimé mais d’être respecté: avoir tous les outils d’apprentissage de la langue française dans le respect de sa propre langue maternelle, s’instruire, se former, trouver un emploi, voyager avec dignité, sans humiliation, dans un espace que nous avons choisi comme le nôtre. On ne fera pas la francophonie en fermant les frontières des pays francophones aux francophones, ni en les expulsant. C’est ce visage de la francophonie qui est à déconstruire. Il n’est plus de notre temps, au regard des bouleversements considérables dont nous sommes déjà les contemporains et de la désintégration sous nos yeux des puissants modèles socio-économiques d’hier. Les pouvoirs politiques de la France et du Canada-Québec, les premiers qui ont rejeté le visa francophone, doivent y réfléchir et évoluer. La Francophonie ne doit pas demeurer un mensonge politique. Elle commande une honnête volonté politique ! La Francophonie doit être enfin un vrai lieu de rajout et non de soustraction. Quiconque attise le feu, doit manger avec toi ! D’un monde en noir et blanc, il est temps en Francophonie de passer avec Michelle Jean à un monde en couleur. Le combat pour la démocratie est également un plat fort convoité par nos peuples. Ils en ont fait désormais une obsession, un principe non négociable. « Plus nous aurons des sociétés démocratiques, plus les peuples exerceront leurs droits démocratiques ».
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