Trouvez-vite Madame, dans une démarche consensuelle opérationnelle, pour l’immédiat, l’institution organisée et encadrée d’un visa francophone culturel et des affaires, répondant aux réalités d’un monde moderne et d’un espace de solidarité inexplicablement barbelé et inacceptable. C’est là que doit se manifester la volonté politique de tous. Cette plaie démontre à quel point la Francophonie ne doit pas être le reflet de ceux qui en sont les décideurs, mais plutôt de ceux qui la vivent et en sont les acteurs vivants. La réduction des enjeux et calculs politiques nationaux étroits des grandes puissances de la Francophonie, diminuerait, nous sommes sûrs, les risques de cancer déjà avancés de la langue française. La plus grande ressource naturelle de la Francophonie, c’est l’amour de cette langue. Cette langue est aujourd’hui présente là où ni la France ni le Québec ne sont plus présents. Celle-ci se suffit désormais à elle seule. En son nom et sous son pouvoir, nous devrions pouvoir traverser librement ses frontières. C’est elle, à travers nos cultures, nos imaginaires, qui nous raccordent les uns aux autres. Rester soi-même coûte moins cher, mais nous avons choisi et l’histoire avec nous, d’être des francophones. Senghor nous a appris à refuser de guérir de la maladie du multilinguisme. Cette maladie est l’avenir du monde, comme le métissage culturel dont il était le griot. Voila pourquoi la culture est primordiale. Voila pourquoi elle est au début et à la fin de tout.
Madame, le temps de l’économie dit-on n’est pas le temps de la culture. Le temps de l’image n’est pas le temps du livre. Que faire alors pour réussir la symbiose? Donner le pouvoir au savoir en Francophonie, c’est à dire attiser jusqu’à l’obsession les foyers de réflexion, mettre en réseaux les créateurs, les intellectuels, les scientifiques. Mettre l’accent sur l’éducation et la formation. Impulser une vraie politique du livre et de la lecture plus visible à travers un puissant marché du livre francophone, au-delà des foires cosmétiques et passagères. Que les Québécois lisent les africains, que les africains lisent les Vietnamiens ! Les créateurs francophones vivent une effroyable frustration. Relisez donc les conclusions de l’excellent rapport du « Bilan critique du programme édition-diffusion de l’ACCT, 1970-2000 » Relisez par ailleurs le courageux manifeste francophone produit par Serge Arnaud, Marcel Bodin, Philippe Evanoui, Michel Guillou, Claude Lebrun et Albert Salon. L’OIF y trouvera bien du grain à moudre !
Madame, vous n’avez pas tort d’avoir bâti votre candidature à l’OIF, autour du combat pour l’économie. Oui, il nous faut bien manger, boire, se vêtir, se loger, travailler, se soigner, si cela s’appelle l’économie. On ne peut vivre sans avoir au préalable résolu les premiers besoins animaux de l’homme. Mais c’est bien la culture qui est le lieu du dialogue. Les réponses à nos angoisses et à nos doutes ne sont pas à rechercher dans nos systèmes économiques, mais bien dans ce qui forge l’esprit des hommes pour qu’ils se rassurent et non qu’ils s’inquiètent, pour qu’ils s’aiment et échangent et non qu’ils se rejettent, se haïssent, s’entretuent. Comment comprendre aujourd’hui que l’homme qui franchit par les sciences et les technologies les murs de l’impensable, franchit en même temps les limites de l’horreur sur ses semblables? Le millénaire précédent, rappelait J.L Roy, a porté des doctrines sociales, idéologiques et économiques conquérantes qui ont nié la primauté de l’esprit. Ces systèmes ont figé les consciences, cherché à dissoudre les filiations spirituelles. Tant de puissances sont tombées en ruine, n’ayant pu résister à l’affirmation de la primauté de l’esprit.
Madame, vous arrivez à un nouveau temps de l’histoire. L’OIF n’est pas ancienne comme le monde. Elle ne porte que son propre avenir. C’est d’une nouvelle arche d’alliance qu’il s’agit ! Vous en tenez la truelle ! Notre Francophonie doit être conquérante, solidaire, respectueuse des différences et réaliser le contraire de la mondialisation d’aujourd’hui qui singularise la culture des puissants et soustrait celle des pauvres.
Partout où la recherche du savoir est exclue, l’apprentissage, l’approfondissement et le rayonnement de la langue française négligés, humiliés, la grandeur de la Francophonie s’enfuira. Comment d’ailleurs a t-on pu en arriver à ce délitement de la langue française dont on parle tant, à un temps du monde où les modes de connaissance sont plus nombreux, plus poussés, plus épais? La réponse est dans l’attention que vous porterez davantage à cette langue, la France ayant longtemps jeté l’éponge, fermant et réduisant à néant les budgets des centres culturels et alliances françaises à l’étranger.
Madame, chez nous, au Sénégal, parler et écrire bien le français sont une proposition faite à la conscience de chacun. C’est comme la foi. C’est un respect façonné par notre culture, nos valeurs de vie, même si aujourd’hui la faillite du système éducatif sont d’une détresse sans nom.
Madame, avec vous, l’OIF est à un tournant !
Il ne s’agissait pas de savoir comment égaler Boutros-Boutros Ghali. Il ne s’agira pas non plus de savoir comment égaler Abdou Diouf. Il s’agit d’être digne de leur héritage et de quel héritage. Et la seule manière d’y arriver est de les dépasser en tenant compte des réalités d’aujourd’hui et de l’avenir de la communauté francophone dans le développement mondial. Nous devons nous poser cette question comme on se l’était posé en 1995 déjà, à l’époque de l’Agence de Coopération Culturelle et Technique. On voit alors comment le passé instruit le présent. En effet, « comment construire et déployer une francophonie des peuples sous les angles de la géopolitique, de la culture, de l’économie et de la technologie, des droits de l’homme et de la démocratie ? » Qu’a-t-on dit de mieux au 15ème Sommet de Dakar en novembre 2014 ? Nous bâtirons la Francophonie en sortant des bras « des spécialistes des affaires francophones, en nous exprimant spontanément à partir des réalités que nous vivons sur le terrain, en nous orientant sans toujours des communications magistrales, un public perpétuel d’initiés ou de militants des grands rendez-vous francophones ». En un mot madame, il s’agit de « sortir de nous-mêmes pour approfondir certaines convictions, sans nous égarer dans trop de certitudes ».
Je fais partie de cette meute qui hurle contre le tout politique, le tout diplomatique qui, ces dix dernières années, ont marqué la marche de notre institution. Ces visions différentes sinon divergentes sur la conduite de notre espace francophone existeront encore entre les tenants du tout culturel et ceux de l’économique et de la politique. Jean-Louis Roy tranchait pour une approche globale, à la fois culturelle, sociale, économique et politique de la Francophonie en optant toujours pour les objectifs prioritaires. « La Francophonie n’a pas de spécificités pour elle-même, mais dans la contribution qu’elle peut apporter aux autres.» En un mot, « C’est en terme d’alternative et, en aucun cas de rejet, que le projet francophone doit être débattu.» Il s’y ajoute que « sa démarche multilatérale tend à privilégier l’affirmation de valeurs partagées à la défense d’intérêts nationaux.»
Madame, la Francophonie a gagné le combat de « la sécurité identitaire » des peuples qui la composent. La langue française est très peu perçue comme une langue étrangère dominante. Ce sont les intellectuels radicaux à courte cravate qui, seuls, le pensent. Les populations la vivent en parfaite symbiose avec leur propre langue de culture, avec cette vérité que la culture est d’abord l’entêtement de vivre et non de mourir. Et que pour vivre il faut d’abord être soi-même. La langue française est une belle femme avec laquelle nous avons fait de beaux enfants. Il est trop tard de la quitter et nous ne voulons pas la quitter. Il reste à ceux qui ont en charge de veiller sur cette belle famille, dont vous Madame Michaëlle Jean, de nous aider à habiter tous la même maison, dans la même rue, mais différents.
L’élargissement de la Francophonie à des pays où la langue française est à peine balbutiée au détriment de son approfondissement fait l’objet de controverses. Senghor nous a appris l’ouverture et l’enracinement, c’est-à-dire avoir des racines mais aussi des ailes. Il reste à veiller à ce que l’ouverture et l’élargissement de notre communauté ne se fassent pas au détriment de ceux qui en sont les jardiniers et les arrosoirs. Ouvrir le cercle de famille est toujours une garantie d’espérance. Le rayonnement d’une langue est souvent moins dans le travail des grammairiens que dans la capacité de cette langue à aller à la rencontre des autres. C’est ainsi que la Francophonie est devenue un pommier qui fleurit en manguier.
Il est temps de conclure Madame et il est déjà midi.
Solidarité au développement, partage des richesses, illustration puissante et soutenue de la langue française, sauvegarde et défense des langues identitaires, culte et respect de l’homme, hymne à la démocratie. Voici conjugués les rêves de notre grande et belle alliance ! L’OIF doit parier sur « les territoires de l’esprit, là où se jouent la paix et le destin des nations ».
Madame, l’investissement culturel est le premier investissement économique de notre civilisation. Construisons ensemble un pôle de résistance, une conscience culturelle forte et partagée autour de cette « fécondité mystérieuse et vivante de la créativité humaine ».
Madame, de ce côté-ci du premier Sud, en terre africaine, où nous sommes installés entre la passion et l’affermissement de notre belle langue, alors que le Nord est entre l’indifférence, le doute et la résignation, nous défendons avec force notre communauté des communautés. Il s’agit pour nous d’un pacte d’amour. Mieux: un pacte de sang. La langue française n’est pas seulement pour nous une langue de communication, elle est aussi « un espace symbolique d’apparition, de présentation, de preuve tout court. »
Quant à vous, une ruse de l’histoire voudrait que vous soyez une Canadienne venue du pays du froid, pour apporter à une langue de gel et de soleil, un castor pour l’enchanter. Vous n’avez jamais été mieux chez vous qu’en terre de Francophonie. Vous êtes une femme, une grande dame, qui porte à la fois mille continents en elle. Vous symbolisez bien ce tronc commun qui lie l’Afrique aux Caraïbes, Senghor et Césaire, cette France de Hugo et cette Amérique de Miron où la langue française est la plus rebelle et la plus sucrée, encerclée par une redoutable armée étrangère, mais tenace, loyale et imparablement fidèle à son histoire.
Avec vous Madame, nous nous souviendrons toujours !
Je repense ici aux mots d’Antoine de Saint-Exupéry: Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes hommes et tes femmes pour leur expliquer chaque détail. Fais naître dans leur cœur le désir de la mer.
La Francophonie est un désir.
Puissiez-vous donc, Madame, au carrefour du réel et de l’utopie, des défis et des impasses, des réussites et des joies, poser des actes fondateurs que l’histoire mettra à son fronton.
Amadou lamine Sall ///Poète,
Lauréat des Grands Prix de l’Académie française
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