L’Afrique, c’est connu, est le continent qui enregistre les statistiques les plus alarmants sur la pauvreté, les maladies et le sous développement. Les crises alimentaires qui y sévissent, les guerres qui s’y déroulent et les injustices exacerbées qui la déstabilise, ont fini de cantonner l’Afrique dans une forme d’impuissance définitive à maîtriser son destin.
Le Sénégal, pays stable, qui était si bien parti, est, comme la plus part des pays du continent, toujours enserré dans la fatalité du sous développement économique. Où que nous regardions, nous ne voyons nulle part un début de décollage. Certes, il y a des améliorations significatives dans la survivance et certains indicateurs du développement, mais rien de structurellement déterminant pour mettre définitivement le pays sur la voie du progrès social. Alors la faute à quoi ? A la gouvernance, répondrai-je. La faute à qui ? A nos dirigeants politiques, dirai-je.
La classe politique considère, pour sa part, que : « c’est la faute du colonialisme si ce n’est celle du régime précédent; c’est la faute de Dieu si ce n’est de la mondialisation ; c’est la faute des politiciens corrompus si ce n’est le manque de ressources ». Je ne nie pas qu’il y ait des pans de vérité sur ce mur des lamentations de la lasse politique, mais ils ne peuvent cacher la responsabilité de nos dirigeants face à la situation actuelle.
Des élites qui se passent le pouvoir
Le Sénégal fonctionne comme si, d’un régime à un autre, chaque équipe confie à la suivante, la charge de résoudre l’équation du développement. Pendant ce temps, le peuple trinque et la démocratie se résume en un jeu dont la seule règle est la conservation du pouvoir. Les différents régimes se sont évertués à remplir des conditions de forme en organisant des élections et en évitant d’emprisonner des opposants et des journalistes. Que les inégalités sociales s’exacerbent, que la pauvreté s’accentue ou que le chômage augmente, n’émeuvent point nos gouvernants, plus soucieux de se doter d’une image de démocrates, auprès des occidentaux, et à pérenniser leurs régimes en se parant des oripeaux de la démocratie.
Notre classe politique semble résumer la gouvernance démocratique en une opération électorale visant à gérer les symboles de la démocratie (suffrage universel, parlement et pouvoirs locaux élus, ordre constitutionnel, etc.). Or la démocratie est un modèle de régime politique qui, pour être effective, doit nécessairement être l’instrument de mise en application d’une bonne gouvernance.
Des dirigeants légaux, non légitimes
En réalité, la véritable exigence, c’est la bonne gouvernance. La démocratie est un instrument pour y parvenir, mais n’est pas une fin en soi. Combien de pays dans le monde ont amélioré de façon notable les conditions de vie de leurs citoyens et réduit les niveaux de pauvreté sans avoir emprunté la voie démocratique ? Sur certains aspects, ils ne sont pas, pour nous, des modèles référentiels mais, le fait est, qu’ils nous démontrent que la bonne gouvernance est seule garante du progrès économique et social.
Par un processus démocratique éprouvé et un système électoral approuvé par sa classe politique, le Sénégal élit régulièrement ses dirigeants, en toute légalité. On pourrait donc dire que le peuple a les dirigeants qu’il mérite. Mais la légalité du pouvoir de gouverner, octroyée à la classe dirigeante par le vote électoral, s’appuie t-elle sur une légitimité de gouverner, caractérisée par les valeurs incarnées par la société sénégalaise que sont : le dévouement à la cause commune, la probité, le travail, le savoir, la reconnaissance de l’effort, la responsabilité et l’honneur ?
C’est toute la question de la légitimité pour le choix de nos dirigeants qui est ainsi posée car, il est évident que la crise sociale, la crise morale et la crise politique que connait le Sénégal semblent être le résultat du mauvais choix de nos responsables et des problèmes de compétence de la classe politique. Sous ce rapport, l’élection du Président SALL m’apparait comme consacrant le rejet du mode de gouvernance politicien et bureaucratique, pratiqué par les régimes passés. Il doit absolument bâtir une nouvelle gouvernance.
Des sacrifices absolument nécessaires
S’il ne le réussit pas, le Sénégal ne sera plus à l’abri de dérives qui pourraient le sortir de son système démocratique pour le conduire sur le chemin des révoltes populaires du printemps arabe ou de Maïdan. Dans un pays où les banlieues grondent de jeunesse désœuvrée et désorientée, où la légitimité religieuse a souvent été instrumentalisée par des politiciens en mal de représentativité, il faut faire très attention. Les populations qui ont eu de moins en moins confiance à la classe politique, avant de n’avoir plus confiance en la politique, ne croient plus en rien ni en personne.
C’est pourquoi, ce mandat du Président SALL ne doit pas en être un de partage du gâteau, mais celui des sacrifices et des mesures impopulaires pour remettre la gestion du Sénégal à l’endroit. C’est un mandat de transition entre le Sénégal, historiquement mal gouverné et, le Sénégal, qu’il faut, enfin, commencer à gouverner correctement. Qu’il réussisse ou qu’il échoue, c’est toute la classe politique qui sera jugée.
Les populations ne croient plus au changement du fait de l’incurie ou de la malhonnêteté des politiciens professionnels. Ce jugement sévère porté sur le personnel politique, dans son ensemble, nous impose d’avoir le courage et la sincérité pour diagnostiquer les difficultés qui ont entravé jusqu’ici le processus de construction nationale.
Des responsabilités à prendre maintenant
Cette responsabilité historique revient à « l’élite », ce groupe de sachant qui exerce le pouvoir dans le cadre de sa compétence intellectuelle et sa force de décision politique. Nombreux sont ceux qui pensent que les choses sont d’égale valeur et que tout politicien peut être Directeur ou Ministre. Non, ce n’est pas vrai, un pays se construit par le savoir, la compétence, le sens du sérieux et des responsabilités.
En Afrique plus qu’ailleurs, confie l’ancien ministre ivoirien, Tidjane Thiam, devenu PDG de Prudential : « chaque décision [quand on est ministre africain] est très douloureuse, engage des vies, a un énorme impact sur la façon dont les gens vivent, sur le fait qu’ils vont vivre ou non, et pour quiconque prend sérieusement ses responsabilités, elles peuvent être lourdes à assumer… j’ai aussi travaillé sur le processus d’investissement public. Si nous avions additionné toutes les requêtes que nous recevions quand nos faisions le budget chaque année, il nous aurait fallu 50 à 100 fois les ressources que nous avions. Donc s’il faut passer de 50 à 1, c’est très difficile car c’est comme si on vous demandait de choisir entre couper le bras gauche et le bras droit ».
Pour lui, le diagnostic est clair, être ministre dans un gouvernement africain était plus difficile que d’être PDG d’une grande entreprise, et exige, donc, plus de compétences et de sagesse. Aussi, quelque soit l’angle d’analyse, on en arrive toujours à la conclusion du nécessaire changement de mode de gouvernance et de leadership.
Les dirigeants politiques doivent apprendre à mettre au service du pays des personnalités qui ont fait leurs preuves, qui sont jugées sur leurs résultats plutôt que leurs diplômes, sur leur performance plutôt que leur statut, sur leur efficacité plutôt que sur leurs relations de copinage. Si toute la classe politique s’entend sur ces règles, le Sénégal pourra arrêter de marcher sur la tête.
Des ruptures indispensables
Je crois, comme le penseur Tom Bottomore, que l’élite joue un rôle capital dans le changement social étant donné que le mouvement économique a un impact sur le comportement des individus et la société. Pour changer la dynamique, l’élite dirigeante doit opérer des ruptures indispensables à la reconstruction nationale. D’abord, elle doit rompre d’avec la façon dont les dirigeants ont jusqu’ici géré le bien public, pour asseoir une gouvernance d’exemplarité et de reddition de comptes. L’exemple que l’élite donne d’elle même n’est il pas l’instrument le plus puissant pour crédibiliser sa transformation et entrainer l’adhésion de la communauté ?
Ensuite, elle doit faire disparaitre ce fatalisme des dirigeants politiques qui, parce qu’incapables, considèrent qu’on ne peut rien changer et qu’il n y a rien à faire, à part, subir le destin qui nous est réservé. Attitude d’autant plus contradictoire que dans ce pays à la foi musulmane ardente, le coran nous enseigne un principe de vie sacré : « Dieu ne change la situation d’une société si elle ne veut pas changer d’elle-même ». Enfin, il nous faut rompre avec ce manque d’audace, cette incapacité presque congénitale à éliminer la pauvreté et le dénuement de nos populations, alors que d’autres pays, moins bien lotis, y parviennent.
Le Rwanda est sorti d’un conflit génocidaire avec un million de morts, le cinquième de sa population, et il a pu, en moins de quinze ans, se reconstruire pour s’ériger en modèle de développement sur le continent. Plus près de nous, le Cap Vert a pu, après sa libération, s’affranchir et bâtir sur ses îlots de pierres un pays à la gouvernance vertueuse. De l’analyse critique de notre situation et de l’expérience des pays émergents, notre élite peut tirer les voies d’avenir pour réussir sa transformation, si sa classe politique se remet en cause.
Des défis incontournables
Nous savons tous que les défis de développement auxquels nous sommes confrontés, aujourd’hui, sont réels, importants et nombreux. Ceux qui ont la charge de gouverner le pays ne pourront les relever facilement, ni rapidement. Le premier défi sera d’amener toute la classe politique à travailler sur un modèle de gouvernance fondé sur la compétence et l’efficacité. Ce qui nécessitera une mise à plat du dispositif du management public opéré jusqu’ici et une internalisation de nouveaux processus de management.
Le deuxième est le défi de crédibilité qui doit amener les dirigeants à démontrer que contrairement à l’opinion répandue sur les politiciens professionnels, un homme politique doit respecter sa parole et tenir ses engagements. Personnellement, je crois qu’il n y a rien de plus sérieux et de plus honorable que de faire la politique pour servir sa communauté, avec la rigueur morale qui sied à ceux qui tiennent parole. Le troisième est le défi de compétence qui nous oblige à avoir une certaine éthique en politique, c’est-à-dire, lutter contre le favoritisme, le népotisme, l’esprit clanique et partisan.
Pour finir, le défi du changement face aux mutations en cours dans le monde nous interdit de rester dans l’immobilisme. Ne pas tenir compte de ces mutations, lesquelles sont entrain de structurer le Monde et l’Afrique de demain, serait simplement suicidaire.
Des valeurs sûres de chez nous
Si les défis sont énormes, les valeurs dont notre succès dépend, le travail, l’honnêteté, le courage, le respect, la sagesse, la tolérance, le sens du sérieux et des responsabilités sont fortement ancrées dans notre culture et nos traditions. Elles ont façonné l’histoire de ce peuple travailleur et intelligent, pétri la personnalité internationale de nos cadres, dirigeants et chefs religieux. C’est à la source de ce passé glorieux que nous devons puiser l’inspiration et la force de propulser le Sénégal vers l’émergence.
Ce qui est exigé de notre classe politique, aujourd’hui, c’est un retour à ces valeurs. C’est une nouvelle ère des responsabilités, une reconnaissance de la part de chaque Sénégalais que nous avons une responsabilité envers notre pays. Notre classe politique doit assumer ce retour aux fondamentaux de la bonne gouvernance avec le courage qui sied à ceux qui prennent leurs responsabilités, c’est-à-dire, ceux qui agissent au lieu de subir le destin.
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