Il est vrai qu’un baccalauréat de l’enseignement général offre plus d’ouvertures qu’un baccalauréat professionnel parce que les vocations ne sont tout simplement pas les mêmes, mais les stéréotypes sont liés à une considération plus alarmante. C’est le spectre de la domestication, qui hante le plus, d’une passion dégradant une véritable profession.
En effet, les centres de formation professionnelle (CFP) les plus proches des populations placardent des parcours en Habillement (Mode-Coupe-Couture), Coiffure et Hôtellerie-Restauration là où leurs offres de formation en nutrition, diététique, développement local, etc. manquent de visibilité. Si les dernières citées ne sont pas très répandues, les premières filières sont tellement familières au commun des mortels qu’elles sont naturellement perçues à l’état de travaux manuels domestiques sans forcément un réel besoin de professionnalisation. Dès lors, les suivre associerait plus du stylisme à la mode, car sans implémentation majeure des innovations de la broderie numérique et réelle ébullition des métiers attrayants du service à côté du produit.
Par ailleurs, à côté des stéréotypes et du péché originel ci-dessous évoqué, une analyse minutieuse montre une prise de conscience des communautés quant à la qualification professionnelle recherchée par l’essor d’entreprises pourvoyeuses d’emplois. De ce fait, les métiers de la mécanique automobile, du froid-climatisation, de la menuiserie, de la soudure, de la métallurgie, de la maçonnerie, de la plomberie, etc. qui étaient plus ou moins sous la hantise du spectre de la domestication, par l’emprise des ateliers et raccourcis de l’informel, ont gagné en considération formelle. Il reste maintenant à y intégrer les technologies numériques pour ne pas continuer à les regarder avec des lunettes du passé au risque d’être dépassé car l’environnement socioculturel étiquette et banalise là où l’environnement des affaires booste et promeut.
Cependant, il incombe de relever que la vision édulcorée de la Formation professionnelle et technique trouve son péché originel dans l’Histoire.
D’une part, la supposée mission civilisatrice – du temps des colons où les populations prises d’assaut étaient celles à qui il fallait apprendre à lire, à parler, à écrire et à vivre sous l’effet de la domination, dans la langue et la culture de l’autre – a beaucoup participé à façonner la conscience collective au sens théorique. Étant donné que les travaux pratiques attendus desdites populations étaient telles des compétences à acquérir sur le tas, il ne leur fallait qu’à y aller avec force sans trop s’adonner à une gymnastique de l’esprit. Toute réflexion préalable pouvait ouvrir la voie à en connaître des arcanes des métiers du fer, de la terre, de la mer, de l’air, etc. là où le colonisateur avait plus besoin de les exposer en main d’œuvre “qualifiée” qu’en techniciens chevronnés.
Travaillant à tout faire pour que la théorie supplante la pratique sur l’échelle des priorités des populations occupées, retardant ainsi la solide construction de leurs territoires, l’effet d’annonce de l’implantation des écoles, ayant conduit à une scolarisation (alphabétisation) massive, n’a pas manqué d’entraîner les consciences dans la ruée vers l’école occidentale pour en faire le chemin des privilégiés, des émancipés, des “civilisés”. Cette approche occidentale, mûrie pour asseoir son hégémonie dans une vision prospective sans manquer de faire de l’accès à son école une jouissance durable, a desservi les décideurs africains des premiers temps dans le passif de qui il sied d’imputer le retard béant de la professionnalisation des systèmes éducatifs. Le résultat flagrant est que des matières premières d’Afrique servent à fabriquer des gadgets électroniques en terre occidentale pour être très prisés en Afrique, des produits du secteur primaire issus d’Afrique et transformés en Occident sont très convoités et rapidement écoulés sur le marché africain.
Malheureusement, le transfert de technologies n’a pas toujours été au rendez-vous pour les fois où l’industrialisation se faisait en Afrique. Ce qui n’a pas aidé, même à la validation, ne serait-ce que théorique, des acquis de l’expérience.
D’autre part, la situation de pauvreté du Sénégal, avec des inégalités de développement économique et des disparités socioculturelles, n’a pas favorisé d’enclencher une vision stratégique globale de la Formation professionnelle et technique, faute de moyens matériels, immatériels, financiers, techniques et humains sans lesquels toutes résilience et agilité seraient malaisées.
En effet, la démographie (mal distribuée) a été un facteur dissuasif à l’idée de travailler sur des profils opérationnels prêts à l’emploi au même rythme de sécrétion que l’enseignement général. Le Sénégal aura fait face au dilemme d’une palette d’offres de formation professionnelle et technique qui se serait heurtée à la limite objective de son économie galopante pas assez diversifiée et de son tissu industriel embryonnaire, mais aussi à l’inélasticité de l’existant en termes d’opportunités d’insertion professionnelle qui ne pouvait pas absorber en dehors des capacités de recrutement, dans la mesure où l’auto-emploi n’était pas monnaie courante.
De plus, le Sénégal des indépendances aura été marqué par une République à construire, avec des priorités de vie et de survie plus urgentes (besoins sociaux de base) que le développement et le déploiement à grande échelle de la formation professionnelle et technique qui aurait créé une bombe à retardement. Pour éviter un chômage massif, dans un pays pauvre très endetté, les orientations sont privilégiées dans l’enseignement général qui a jusque-là plus constitué un bassin de rétention académique, voire un ralentisseur de diplômés qualifiés sans emplois, qu’un modèle vocationnel de construction d’une élite intellectuelle sur le toit planétaire.
Après tout et à présent, même si des évolutions ont eu lieu par l’élargissement du champ d’Approche par les Compétences (APC), l’accompagnement de partenaires institutionnels, techniques et financiers, le diagnostic situationnel qui s’affiche à l’ère du numérique dans le sous-secteur et ses ramifications est le suivant :
- La Formation professionnelle et technique semble établir de sa palette d’offres classiques une zone de confort à l’élasticité douteuse pour une réelle politique d’expansion à l’ère du digital où les usagers de tous bords raffolent d’instantanéité et les usages cramponnent d’immédiateté ;
- Les sortants des universités, essentiellement issus des parcours académiques, comptent sur les concours pour s’insérer dans le monde professionnel ou sur une formation qualifiante en prolongement par continuité de leur ambition de spécialisation professionnelle ;
- Le monde académique manifeste de plus en plus sa compréhension des enjeux de démocratisation de l’accès aux savoirs par le truchement du numérique et se tourne de plus en plus vers le terreau fertile de la professionnalisation de leurs offres de parcours formatifs afin d’associer connaissances (théoriques) et compétences (pratiques) ;
- Le numérique s’invite dans tous les domaines d’activités stratégiques et tous les secteurs sont interpellés à se réinventer car le digital ouvre les vannes-merveilles d’une prospective défiante et édifiante d’une part et de l’interdisciplinarité au rendez-vous des mutations obligées d’autre part.
Face à cette situation, la Formation professionnelle et technique doit travailler d’arrache-pied à jouer les premiers rôles :
- pour que se dissipe, par la valorisation de l’existant, une certaine idée arrêtée selon laquelle ce sous-secteur serait le rempart des recalés de l’enseignement général, notamment de l’Éducation nationale ;
- pour que se réalise, par la diversification de l’offre en lien avec le tissu socio-économique et industriel, que la Formation professionnelle et l’enseignement technique sont de véritables options/alternatives pédagogiques viables dans un système éducatif en Y.
Pour y arriver, de concert avec les autres sous-secteurs de l’Éducation et de la Formation, le Ministère en charge de la Formation professionnelle et technique doit travailler à la matérialisation de l’impératif d’articulation qui sied, comme en atteste l’une des 78 recommandations de la Concertation nationale sur l’Avenir de l’Enseignement supérieur (CNAES) dans son rapport général en 2013.
Étant entendu que le système éducatif sénégalais est en Y, c’est-à-dire que les élèves suivent les mêmes enseignements-apprentissages du primaire au collège, il doit aboutir à :
- redéfinir collégialement les référentiels de formation à l’école de base, avec le ministère en charge de l’Éducation nationale, du préscolaire au cycle moyen en passant par l’élémentaire, pour intégrer autant les prérequis d’un parcourus favorable à la formation professionnelle et technique que les fondamentaux de l’enseignement général, afin de disposer d’une clé plus équilibrée de répartition des profils entrants au niveau des deux sous-secteurs ;
- offrir un cadre incitatif (olympiades du numérique) au maintien dans la formation professionnelle et technique, et au développement de la curiosité intellectuelle (salon de l’orientation) pour la production de biens et services ainsi que la fabrique de génies, à l’image du prestigieux concours général sénégalais ;
- booster sa panoplie d’offres de formation professionnelle et technique via le numérique, dans un contexte d’éclosion du transport innovant (TER, BRT, etc.) et d’exploitation du pétrole et du gaz, car le digital est un terreau très fertile à l’inventivité, à l’imagination et la créativité qui sont des critères essentiels dans la professionnalisation de n’importe quel domaine d’activité. Cela peut consister à promouvoir des baccalauréats professionnels en numérique et science informatique dans des filières (passerelles professionnelles) qui ne nécessitent pas forcément d’aller dans l’Enseignement supérieur pour éclore des talents diversifiés et opérationnels, des BTS en sciences forensiques pour répondre aux défis de sécurité, de bio-informatique, de l’industrie chimique, pharmaceutique et agroalimentaire, domaines dans lesquels les objets connectés et l’Intelligence artificielle constituent des collaborateurs domestiques et professionnels, etc., des certifications de compétences en techniques de pêche industrielle, d’agriculture de précision et d’élevage intensif, d’arts graphiques et numériques, etc. pour mettre en avant la transversalité du numérique dans la formation professionnelle et l’interdisciplinarité à travers divers domaines d’activités stratégiques compte tenu de l’environnement des affaires ;
- promouvoir la sophistication des conditions et pratiques pédagogiques à travers la vulgarisation des créations et inventions innovantes des apprenants, formateurs et équipes de recherche, telle est une occasion de consacrer (foire), en collaboration avec les chambres consulaires, une tribune d’exposition du caractère opérationnel des libres initiatives individuelles et collectives. C’est un mécanisme par lequel les moyens de ceux qui manquent d’idées pourraient financer les projets (prototypes) de ceux qui manquent de moyens. Ainsi se dégage un matching-model sénégalais de création de champions nationaux et capitaines d’industrie, de startups nationales en appoint de bon aloi à l’entrepreneuriat innovant que les dispositifs actuels à eux seuls ne suffiront à étancher la soif d’accompagnement des innovateurs.
Papa DIOP,
Professeur d’Informatique certifié,
Attaché d’administration au Cabinet du Vice-recteur chargé des affaires pédagogiques de l’UN-CHK
Ingénieur IT, Conduite du changement
Ancien Administrateur des Espaces numériques ouverts (ENO) de Kaolack et de Diourbel Titulaire d’un CAESTP, ancien Formateur de formateurs à l’ENSETP de Dakar Ancien Directeur des Études du Groupe scolaire Elhadji Talla LO de Sébikotane
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