« Changer cette mentalité d’entrepreneuriat exclusivement masculin », Yaye Souadou Fall, E-Cover

1. En quoi l’entrepreneuriat féminin est un levier incontournable pour l’économie sénégalaise ?

De nos jours, le nombre de femme entrepreneures est en pleine croissance, au point où il est difficile d’ignorer ce nouveau phénomène économique. A une certaine période, au Sénégal, l’entrepreneuriat était pensé comme un « domaine d’homme » car la majorité des PME formellement connues étaient surtout dirigées par des hommes. A l’époque, consignée à la maison et s’attelant alors à un entrepreneuriat « informel », la femme sénégalaise était très attachée à ses valeurs de discrétion, de prudence et son fameux « soutoureu ». De nos jours, l’entrepreneuriat féminin ne passe plus inaperçu, car les femmes ont décidé de s’unir et d’être solidaires pour changer cette mentalité d’entrepreneuriat exclusivement masculin et de montrer leur talent. Les femmes, spontanément entrepreneures, ont pu laisser exploser leur besoin latent d’entreprendre et devenir ainsi de redoutables adversaires sur le ring compétitif de l’économie sénégalaise.

 

2. Quelles sont les contraintes et opportunités rencontrées par les femmes entreprenantes ou dirigeantes dans ce milieu ?

Les contraintes que rencontrent les femmes sont surtout liées à l’absence de fonds d’amorçage ou de financement de développement pour mener à bien leurs ambitions. Pour celles déjà en activité, elles ont beaucoup de mal à gagner le respect des hommes qu’elles supervisent qui les considèrent souvent comme faibles. Elles souffrent également de contraintes liées à une absence d’accompagnement pour la structuration de leurs PME. En termes d’opportunités, on assiste à la genèse d’une croissante effervescence des projets, associations et organisations de soutien exclusif aux femmes car, tout le monde est désormais convaincu que le secret de leur réussite entrepreneuriale réside dans leur détermination, leur passion et leur persévérance.

 

3. Quel est le rôle de la femme comme véritable actrice de la transformation économique et sociale et du développement ?

 

L’émergence et le développement de l’entrepreneuriat féminin permet à la femme de créer un climat où hommes et femmes participent conjointement au développement économique d’une société. Une plus grande parité hommes femmes dans le développement de l’entreprise va de pair avec une répartition plus équitable de l’emploi et des revenus entre les hommes et les femmes.

 

4. Comment promouvoir l’accès effectif et pérenne des femmes battantes aux instances de prise de décisions ?

 

La promotion des femmes battantes aux instances de prise de décision passe d’abord par le respect de la Loi sur la Parité car 50,2% de la population sénégalaise est constituée par des femmes, chiffre qui devrait pousser à un équilibre dans les opportunités ; ensuite un  accompagnement technique et financier qui permettra aux femmes d’être à mesure de réaliser leurs ambitions et renforcer leur confiance en elles.

 

5. A votre niveau, faites-vous du mentorat ou du coaching pour promouvoir les femmes cadres aux instances de direction ?

 

Je reçois beaucoup de messages de femmes qui ont besoin d’aide et de conseils dans leur entreprise. C’est toujours un réel plaisir pour moi d’aider une autre femme à surmonter ses peurs et oser avoir de grands projets. Grâce à la capacité d’adaptation acquise par les difficultés que j’ai rencontrées dans mon projet, je fais bénéficier mon expérience à d’autres entrepreneures afin de les aider à avancer dans leurs projets.

 

6. Quels est le poids et la pression de la société traditionnelle ? Faut-il bousculer les codes pour se hisser vers la modernité ? A quel point ? A quel prix ?

 

A mon humble, l’émergence de la femme ne devrait pas signifier la négligence de ses devoirs dans son foyer. C’est d’ailleurs ce qui rend sa situation plus complexe pour elles car certaines tâches ne peuvent pas être déléguées. Les plus chanceuses ont un entourage assez compréhensif qui les soutiennent et les aident à surmonter cette pression ; les moins chanceuses font alors preuve de beaucoup d’organisation pour pouvoir assurer leurs tâches.

 

8. Faites-vous face à des difficultés dans votre rôle de femme leader ? Si oui, comment les surmonter vous ?

 

Oui, le scénario de notre adéquation avec le projet était un casse-tête pour tous ceux que nous rencontrions : des jeunes femmes de moins de trente ans tentant de créer une industrie à partir des moyens du bord, dans un territoire où la technologie y est inconnue et où l’environnement n’est pas considéré comme une priorité. Nous étions considérées comme des rêveuses et étions très souvent incomprises. A maintes reprises, on a tenté de nous décourager. Nous avons résisté à ceux qui ont voulu nous décourager en nous disant que nous étions trop jeunes pour cela, à ceux qui pensaient que c’était un domaine d’hommes, à ceux qui nous ont dit que vous n’êtes pas assez riches pour ça, à ceux qui ont essayé de nous mettre des bâtons dans les roues, à ceux qui nous ont escroqués et à ceux qui ont voulu nous phagocyter. Ce qui nous donne la force de pouvoir continuer c’est ceux qui nous soutiennent sans rien demander en retour au nom de la cause pour laquelle nous nous battons, ceux qui croient en nous et nous encourage, ceux pour qui nous sommes des modèles et qui misent leurs espoirs en nous, ceux que nous inspirons au point de rentrer pour travailler pour leur continent ainsi que les petites joies que l’on éprouve à faire notre métier de recycleur et à  découvrir des solutions qui soulagent notre environnement de ses maux.

 

9. Comment concilier activité professionnelle et vie de famille ? Arrivez-vous à vous épanouir, malgré tout ?

 

Je me fixe des limites. Le dimanche est un jour par exemple que je réserve exclusivement pour ma famille. Je me crée des rendez-vous avec moi-même pour réfléchir au futur et pour créer un équilibre dans mes activités.

 

10. En dépit des contraintes, parvenez-vous quand même à saisir les opportunités, à accéder aux marchés, à les exécuter correctement et à gagner votre vie décemment ?

 

Oui. Nous parvenons à nous battre pour nous en sortir. Nous nous débrouillons avec un processus manuel à réaliser des revêtements de sol et fabriquer des semelles de chaussures que nous commercialisons par notre marque Meshoes.