Que d’onces d’or exportés du Sénégal ! Une matière première qui passe sous le nez et la barbe des bijoutiers locaux. Mais à y voir de plus près, des contraintes réelles empêchent l’accès à la matière précieuse. Néanmoins, les choses ne devraient pas tarder à bouger.

230 mille onces d’or extraits par la seule Sabodala en 2015. Une quantité qui montre à suffisance le potentiel du Sénégal en ressources minières. Mais s’il y a des acteurs qui ont plus que salivé au début de cette découverte, espérant qu’elle changerait beaucoup leur quotidien, notamment dans l’acquisition de la matière première, c’est bien les bijoutiers…
Hélas, depuis que le pays a commencé à exporter son or en 2009, aucun gramme n’a été dédié aux bijoutiers. Ce, malgré les promesses des autorités étatiques. Trouvé dans sa bijouterie au Marché Zinc de Pikine, Moussa Niang, président de l’Association des bijoutiers du Sénégal, installé dans son bureau, derrière sa Macintosh, n’y va pas par le dos de la cuillère pour exprimer son amertume. « Nous l’avons crié sur tous les toits et c’est ce qui a même motivé la création de notre association. Il y a un quota dédié aux bijoutiers. On parle d’or au Sénégal, mais on ne voit absolument rien. Nous en avons parlé au Président Macky Sall. D’ailleurs, en 2013, lors de son discours à la Nation, il avait demandé à ce que les contrats miniers accordent un quota aux bijoutiers nationaux. Il l’avait même exigé. On avait applaudi, mais même s’il y a eu des efforts, on n’a pas encore ce quota. On a été mis en rapport avec le Directeur des Mines. On avait même retenu les modalités de mise en place de centrales d’achat. C’était le 9 juin 2016. La rencontre avait regroupé tous les acteurs pour lever les contraintes. Mais jusque-là, rien est fait… », s’est-il désolé.
A défaut d’avoir un quota, les bijoutiers pourraient peut-être se consoler avec la disponibilité de la ressource, puisqu’étant extraite ici. Là aussi, c’est la croix et la bannière. Pour Mor Guèye, président des Bijoutiers de Guédiawaye et président de la Commission Scientifique de l’Association nationale, quand Sabodala vend l’or aux bijoutiers locaux, il y a une taxe (TVA) qui s’applique alors. Ce qui rend cet or plus coûteux que sur le marché international. « Ce n’est plus compétitif, surtout si on enlève la décote. Vous savez, le prix de l’or est défini par les bourses londoniennes. Le ministre nous a promis de lever les contraintes, il avait même promis de nous faciliter l’acquisition de l’or« , soutient-il.
La Taxe, nerf de la guerre ?
Interpellé sur la question, Abdou Aziz Sy, DG de Sabodala Gold Opérations, principal exploitant de l’or du pays, soutient qu’il est possible de satisfaire la requête, mais encore faudrait-il que l’Etat y mette du sien. « Il y a des contraintes fiscales qui rendent les choses compliquées. Si l’Etat décide d’exonérer la taxe, les bijoutiers locaux pourront accéder facilement à l’or. Parce que l’or vendu localement tient compte de la TVA, même si la société fait 5% de décote. Même pour l’or brut, ils ont manifesté un certain intérêt, nous sommes ouverts, mais comme il n’y a pas de raffinerie ici, nous sommes obligés d’exporter l’or à l’état brut, parce qu’à la base, ce que nous exploitons est composé à 92% d’or et 8% d’argent », explique-t-il.
Mais, pour Moussa Niang, il ne devrait pas y avoir de discrimination entre les différents secteurs de l’économie. Parce que, dit-il, l’agriculture est subventionné au même titre que le tourisme. « Même si on ne le fait pas pour l’or, qu’on nous facilite, au moins, l’acquisition avec moins de taxes. Ceci nous permettra de rendre le secteur plus compétitif avec la création de beaucoup plus d’emplois », lance-t-il. Et M. Niang de poursuivre en prenant l’exemple sur sa bijouterie. Selon lui, beaucoup de machines sont à l’arrêt. C’est pourquoi, estime-t-il, « il faut tout faire pour que la matière soit disponible ».
Si aujourd’hui, les sociétés minières préfèrent plutôt exporter que vendre sur le marché local, c’est parce qu’en réalité, à l’export, l’or ne génère pas de taxes. « Si les sociétés sont d’accord pour nous vendre un quota, il faut quand même que l’Etat nous exonère de la taxe », plaide-t-il.
Une centrale d’achat pour assainir le secteur
Faute de grives, on se contente de merles, dit l’adage. Une maxime que les bijoutiers se sont appropriés. A défaut d’obtenir la matière première du sous-sol local, les bijoutiers font recours aux autres sources d’approvisionnement. « L’or, au-delà de l’esthétique, est une valeur-refuge. C’est-à-dire, une façon de garder son argent. Certains, surtout les femmes, vendent leurs bijoux pour régler leurs problèmes financiers. L’avantage, c’est qu’avec l’or, on peut le garder pendant des années et le vendre au même prix ou même plus », explique Mor Guèye.
Ainsi donc, l’or vient des pays limitrophes, de la Chine, de Dubaï, de la Guinée, du Togo, de la France… Ce qui ne manque pas de conséquence. « Il nous faut des circuits d’approvisionnement sécurisés. Parce qu’à chaque fois qu’un bijoutier s’est retrouvé au tribunal, c’est pour recel. On peut acheter l’or sans savoir d’où ça vient. Si on a un approvisionnement sécurisé, tous ces problèmes seront réglés. Même avec la mise en place de la centrale, on donnerait à chaque bijoutier un carnet de police, ce qui nous permettra de définir ce qui est licite et ce qui ne l’est pas. Il faut une centrale d’achat qui agrée tous les bijoutiers », préconise M. Niang.
Quoi qu’il en soit, les perspectives peuvent être radieuses. Puisque si l’on en croit les acteurs, le nouveau Code minier, qui sera bientôt à l’Assemblée nationale, prévoit de mettre en place des comptoirs d’achats. Selon Moussa Niang, cela permettrait aux bijoutiers locaux de travailler, avec cette partie, pour la clientèle locale. « Rien n’est plus beau, pour nos femmes et pour tous ceux qui portent de l’or au Sénégal, de savoir que ce bijou est fait à partir d’or de Sabodala », poursuit-il. En plus de ce futur comptoir d’achat, Mor Guèye appelle à plus d’accompagnement pour un secteur reconnu, à travers le monde, pour son expertise.
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