Président de la Fédération des Sociétés d’assurances de Droit national africaines (FANAF), notre compatriote Adama Ndiaye, passe le secteur de l’Assurance au crible. Après un diagnostic sans complaisance des maux de l’assurance africaine, sénégalaise en particulier, il évoque ses chantiers pour la relance du secteur. Entretien exclusif !
Monsieur le Président, vous avez été élu, en février dernier, Président de la FANAF. Qu’est-ce qui a motivé le choix de vos pairs sur votre personne ?
Je tiens d’abord à vous remercier pour l’intérêt que REUSSIR porte, depuis quelques années, à l’industrie de l’assurance et à ses animateurs. S’agissant de mon élection à la tête de la FANAF, elle intervient à une période charnière de l’évolution de l’assurance en Afrique dans la mesure où des réformes de structure sont en cours pour doter le secteur d’une règlementation moderne et porteuse de sécurité et de développement. Ayant piloté, au sein du bureau sortant de la FANAF, la plupart de ces réformes, les membres ont voulu encourager la poursuite de ces efforts en portant leur choix sur ma personne.
Pouvez-vous nous faire le point de ces réformes entreprises et celles en cours pour moderniser votre secteur ?
En partenariat avec l’organe supranational de régulation qu’est la CIMA, la FANAF a initié des réformes d’envergure dont la plus emblématique est celle de l’Article 13 qui instaure des règles inédites de souscription. Elles subordonnent la prise d’effet du contrat à l’encaissement de la prime. D’autres aménagements règlementaires ont été initiés, avec succès, dans des domaines aussi variés que l’amélioration de la gouvernance d’entreprise par l’obligation faite aux sociétés d’assurances de se doter d’un dispositif adéquat de contrôle interne et par l’agrément des Commissaires aux comptes. Il y a d’autres chantiers comme la mise en place de procédures de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme ; l’élargissement de la matière assurable à travers l’ajout au Code des Assurances d’un livre VII relatif à la micro-assurance ; l’amélioration du dispositif d’indemnisation des accidentés de la route en raccourcissant les délais d’indemnisation, en sanctionnant lourdement les retards de paiement des sinistres et en augmentant, de façon significative, les indemnités allouées aux victimes et à leurs ayants-droit; le passage des sociétés d’assurances aux comptes semestriels et la mise en place d’un reporting trimestriel sur les aspects les plus significatifs de l’activité ; la participation aux travaux du comité chargé d’élaborer et de mettre en application les premières tables de mortalité assises sur des statistiques propres à l’Afrique, alors que les tables utilisées jusque-là par les sociétés d’assurances vie s’appuyaient sur la mortalité de la population française entre 1960 et 1964.
La réflexion se poursuit au sein de la FANAF pour adapter le cadre juridique relatif aux placements des entreprises aux mutations de l’environnement financier car les règles actuelles sont trop rigides et peuvent gêner le développement de l’assurance vie qui, partout ailleurs, porte la croissance du secteur. La réflexion porte également sur la stratégie à mettre en œuvre pour favoriser le développement de la micro-assurance, de l’assurance conforme aux principes de la charia (Takaful), de l’assurance agricole.
Depuis quelques années, le chiffre d’affaires du marché sénégalais stagne, d’où notre 4ème rang, derrière la Côte d’Ivoire, le Cameroun et le Gabon. Pourquoi ce manque de dynamisme?
L’assurance est certes tributaire du dynamisme de l’économie formelle et du niveau de scolarisation des populations, mais cela n’explique pas tout. Le vrai problème réside, de mon point de vue, à un double niveau.
D’une part, les assureurs sénégalais se livrent à une concurrence féroce qui tire les prix vers le bas. Ainsi, certains risques sont cotés à la moitié, voire au quart du tarif normal par des sociétés plus soucieuses d’engranger des primes que respecter leurs engagements.
La persistance de telles pratiques, qui tuent l’industrie à petit feu, dénote à la fois d’une défaillance de la Fédération Sénégalaise des Sociétés d’Assurances (FSSA) qui n’a pas su asseoir les mécanismes d’autorégulation appropriés et du contrôle exercé, au niveau local, par la Direction des Assurances et au niveau supranational par la CIMA. Ces autorités, qui disposent pourtant de pouvoirs d’investigation et de sanction très étendus, se sont plus attachées à assainir la situation financière des entreprises que les pratiques de marché, dont certaines peuvent s’avérer désastreuses pour l’assurance et les assureurs.
D’autre part, les assureurs sénégalais n’ont pas toujours fait preuve de créativité, d’innovation et de dynamisme commercial. Ils se sont limités, pendant très longtemps, à la vente de produits classiques, inspirés de ceux commercialisés en France, sans tenir compte des besoins et de la diversité des assurables. La conséquence est que les ménages et aussi beaucoup d’entreprises ne connaissent et ne souscrivent que l’assurance automobile obligatoire qui passe, à leurs yeux, pour un impôt alors que les textes régissant la plupart des fonctions libérales (avocat, huissier, pharmacien, architecte, etc.), prévoient des obligations d’assurances qui ne sont jamais respectées.
Le travail de conscientisation à la base, qui aurait pu faire connaître et faire adopter l’assurance, n’a jamais été fait réellement. Les populations ignorent, de fait, qu’elles s’exposent au quotidien, dans leur vie professionnelle et familiale, à des risques et périls dont les conséquences financières, potentiellement très lourdes, pourraient être transférées, pour des primes modiques à l’assurance.
Les assureurs sénégalais n’ont jamais réussi à faire savoir aux ménages et entreprises que plus que les banques et les autres établissements financiers, c’est à eux qu’échoit la mission de les accompagner dans les principaux évènements de leur vie quotidienne (naissance, mariage, décès, maladie, évacuation sanitaire, chômage, procès en justice, scolarité des enfants, acquisition immobilière, etc.), dans le financement de leurs projets et la protection de leurs biens.
Le besoin d’assurance existe. Il suffit que les assureurs puissent le capter en déployant des stratégies de demande pour concevoir des produits adaptés aux besoins des assurables. Cette démarche a été entreprise, avec succès, dans tous les marchés matures d’Europe, d’Amérique et d’Asie où l‘assurance est devenue incontournable après avoir promu l’assistance et les services de proximité. Elle a permis un formidable essor sur des marchés tels que la Namibie, la Côte d’Ivoire, le Kenya ou le Maroc. Elle permettra de développer l’assurance au Sénégal lorsque nous irons vers les populations pour leur expliquer notre métier, étudier leurs besoins et concevoir des produits adaptés à leur demande et leur pouvoir d’achat.
Comment appréciez-vous l’arrivée des assureurs marocains au Sénégal ?
L’arrivée des Marocains est à la fois porteuse de menaces et d’opportunités. Des menaces pour les assureurs qui ne parviendront pas changer d’état d’esprit pour hisser la qualité de leurs prestations aux normes actuellement en cours sur tous les marchés matures. Pour les assureurs, qui n’auront pas compris que l’«assistanciel» et le «serviciel» sont devenus les nouvelles frontières de l’assurance, que les assurés ne peuvent plus accepter de recevoir un petit chèque, plusieurs mois ou années après avoir subi un préjudice. Qu’ils attendent désormais des assureurs une écoute attentive et un accompagnement au quotidien, matérialisé par le prêt d’un véhicule lorsque le leur est accidenté, le relogement en attendant la remise en état de leur domicile incendié, leur prise en charge par des structures d’urgence et leur évacuation vers des infrastructures médicales de qualité, le versement d’une pension décente lorsqu’ils sont à la retraite, le versement d’une allocation en cas de chômage, etc.
Cette arrivée des Marocains est porteuse d’opportunités car ce marché est plus évolué que le nôtre pour avoir regardé depuis longtemps vers le Nord, pour s’être inspiré de ses meilleures pratiques. Ils ont su développer de véritables leaders de l’assurance dont le chiffre d’affaires représente plus de 3 fois celui du marché sénégalais. Ils rappellent l’Américain ALICO qui, dans les années 70, a su développer l’assurance-vie au Sénégal, au moment où les assureurs jugeaient que notre culture et nos pouvoirs d’achat ne pouvaient s’en accommoder. Des initiatives locales se sont multipliées depuis. Nos cadres et dirigeants ont appris, à leur côté, et les leaders de l’assurance-vie sont aujourd’hui des sociétés entièrement sénégalaises.
Je pense que le même phénomène s’opèrera avec l’arrivée des Marocains. Elle suscite une inquiétude légitime chez certains acteurs traditionnels, mais je suis convaincu que nos assureurs, aussi compétents que les Marocains, qui ont appris le même métier qu’eux, pourront s’adapter à cette nouvelle donne en hissant le niveau de qualité de leurs prestations. Je suis convaincu que nos autorités accompagneront le mouvement en aménageant un cadre règlementaire propice à l’émergence de champions locaux et au nivellement des prestations. C’est aussi leur rôle et ils doivent l’assumer pleinement, en collaboration avec la FSSA et la FANAF. Le grand gagnant sera le Marché. Ce sera l’ASSURANCE !
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