L’homme d’affaire nigérian Tony Elumelu défend la vision d’une économie africaine tirée par le secteur privée du continent. REUSSIR vous propose son discours lors du Forum Citoyen à Libreville le 9 octobre dernier.
«J’ai eu l’honneur il y a quelques jours de participer au siège des Nations Unies, à New York, à la ratification des nouveaux objectifs mondiaux qui succèdent aux objectifs du millénaire pour le développement, lancés en 2000. Ces nouveaux objectifs prioritaires sont aussi connus sous le nom d’objectifs pour le développement durable. Le but des Nations Unies, en définissant ceux-ci, est de pallier aux difficultés du continent africain, surtout en ce qui concerne le chômage des jeunes.
L’un des facteurs clés du changement positif au niveau social et politique est l’émancipation économique. Celle-ci est différente de la croissance économique. Ainsi, si l’Afrique compte six des dix pays qui connaissent la plus forte croissance au monde, ces pays à forte croissance n’arrivent pas à tirer le reste de l’économie du continent vers le haut. Selon des études menées par le FMI sur 173 pays au cours des 50 dernières années, les pays avec une forte inégalité sociale ont tendance à avoir une croissance économique faible et non durable. Aussi, en tant qu’Africain, si nous voulons faire face aux défis de notre continent et poser les bases d’un développement durable, nous devons être plus solidaires.
De nos jours, le symptôme le plus visible de l’inégalité économique en Afrique est le problème de l’immigration des réfugiés du continent vers l’Europe. Pourtant, selon une étude réalisée en juillet par le Réseau International des Réfugiés, une ONG internationale, il y a au Maroc 40 000 immigrés clandestins venant du Nigéria, Cameroun, Ghana et des pays francophones du continent. Bien que les médias aient montré les tragédies des migrants syriens, ils manquent de mettre en exergue les problèmes et le manque d’opportunités auxquels ces migrants font face dans leurs pays respectifs. Pour trouver une solution définitive à ce problème, la communauté internationale se doit d’aider les Etats africains à la mise en place de structures qui pourraient empêcher par leur action cette envie d’aller chercher une meilleure vie ailleurs. Je pense que la philosophie d’ «africapitalisme» pourrait énormément aider à la réalisation de cet objectif.
L’«africapitalisme» repose sur la prémisse selon laquelle le secteur privé africain à un rôle clé à jouer dans la transformation de l’économie du continent. Ainsi seul un investissement à long terme dans les secteurs stratégiques, permettra aux Africains de finalement profiter de leurs ressources naturelles et de leur capital humain. En réalité, la majorité des récents succès économiques du continent a été enclenché par des multinationales étrangères. Nous pouvons remédier à cela en développant la capacité des entreprises à maitriser et assumer les éléments complexes de la chaîne de distribution, ce qui nous permettrait de bénéficier des retombées de l’exploitation de nos propres ressources. Je ne prône pas la nationalisation, mais je propose que le secteur privé africain soit plus audacieux en protégeant et en promouvant ses propres intérêts.
Le Gabon est l’exemple typique du pays africain avec d’importantes ressources naturelles qui a enregistré des performances économiques avec une croissance de 5,1% ces dernières années, au-dessus de la croissance économique du continent à 4,5% sur la même période. Cependant, comme la majorité des économies africaines, le Gabon est dépendant du pétrole qui représente environ 50% du PIB, 60% des revenus de l’Etat et 80% des exportations. Ce déséquilibre joue un rôle important dans le problème du chômage qui touche le pays, et atteint près de 20% des actifs et 30% des jeunes. Ce problème va au-delà du simple fait de mettre en place de nouvelles politiques d’emplois. Une solution définitive passe par une restructuration de l’économie gabonaise qui permettrait aux entreprises et talents du pays d’exercer de plus en plus de contrôle sur les éléments à valeur ajoutée de la chaine de production de pétrole et favoriser un impact important du secteur pétrolier sur l’économie nationale. Conscient de ce fait, je comprends l’importante démarche innovatrice du Gabon et son effort à actualiser le plan de développement stratégique du pays.
L’une de mes principales certitudes repose sur l’ingéniosité inhérente et la capacité de mes compagnons africains à trouver des solutions aux enjeux majeurs du continent. C’est avec cette certitude que, plus tôt cette année, j’ai utilisé mes propres fonds pour le lancement du Tony Elumelu Entrepreneurship Programme – une initiative de 100 millions de dollars déclinée sur 10 ans qui compte parrainer, former et mettre à la disposition de 10 000 entrepreneurs africains le capital dont ils ont besoin pour donner vie à leurs idées. Dès la première année du programme, 1000 entrepreneurs venant de 52 pays africains ont été sélectionnés, et 30% des entrepreneurs choisis ont commencé un business dans l’agriculture.
L’adoption de l’«africapitalisme» par les entreprises et les gouvernements faciliterait l’utilisation de business model plus inclusifs, le développement d’un environnement des affaires plus amical et encouragerait aussi tout un chacun à entreprendre. Par ailleurs, l’«africapitalisme» définit le futur du continent en redonnant les clés de développement à l’Africain tout en mettant fin aux problèmes migratoires.
L’Europe, qui a su renaître après ses nombreuses guerres et crises, est en soit un modèle pour l’Afrique, dans le sens où il est bénéfique aux pays comme aux régions de se débarrasser des barrières commerciales régionales tout en préservant les droits sociaux. Il relève de la responsabilité de tout un chacun, Européens aussi bien qu’Africains, de travailler ensemble pour atteindre nos objectifs communs.
Crédit-Photo : abidjan.net
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