Spécialiste des enjeux organisationnels des entreprises en Afrique, Mme Sandra Happi- Tasha et son cabinet Tasha & Partners accompagnent les organisations dans la formulation de leur stratégie, l’élaboration de systèmes de gestion efficiente du capital humain et des processus organisationnels et le renforcement des capacités managériales des équipes. Basé à Douala (Cameroun), le Cabinet a effectué des missions pour le compte de multinationales et d’entreprises locales dans 8 pays d’Afrique Centrale, de l’Est et de l’Ouest. En exclusivité pour REUSSIR, Mme Tasha revient sur les enjeux de la RSE dans nos pays africains.
Qu’entendez-vous par RSE et quelle est votre approche de cette notion ?
La Commission Européenne définit la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) comme l’intégration des préoccupations sociales, environnementales et économiques dans les activités d’une entreprise et dans ses interactions avec ses parties prenantes sur une base volontaire. Il s’agit de la contribution des entreprises aux exigences du développement durable. Ainsi, toute politique RSE doit intégrer des actions visant aussi bien la protection de l’environnement, la bonne gouvernance que l’impact social et l’égalité des chances professionnelles.
Notre approche positionne la RSE, non comme une œuvre de charité, mais comme une démarche potentiellement bénéfique pour l’entreprise et la société. Il revient donc à l’entreprise, au-delà des exigences réglementaires, de définir les actions en ligne avec son activité et qui sont susceptibles, soit de produire le plus grand impact positif sur les parties prenantes, ou alors de mitiger, au maximum, les conséquences négatives de leurs interactions.
À la lumière de cette définition, quelle est selon vous la place des valeurs africaines traditionnelles dans la mise en application des exigences de la RSE ?
Dans la grande majorité des cultures africaines, on retrouve des valeurs telles que la primauté de la communauté sur l’individu, une conception intégrale de la personne humaine prise dans toutes ses dimensions (spirituelle, émotionnelle, physique, sociale…) ainsi qu’une recherche permanente d’un équilibre, d’une cohabitation harmonieuse avec la Nature, souvent considérée comme sacrée.
La RSE se fonde sur un principe d’interdépendance entre l’entreprise en tant qu’acteur social, son environnement et ses parties prenantes. Il est donc nécessaire d’établir une relation de réciprocité. L’entreprise, qui utilise les ressources (naturelles et autres) pour mener son activité, produit un impact sur l’environnement dont il faut gérer les effets, de manière proactive. La société achète les produits/ services de l’entreprise, permettant ainsi sa survie et sa croissance. Cette prise de conscience de l’interdépendance entre les employés et les propriétaires d’entreprises suscite parfois, chez ces derniers, le désir de «rendre à la communauté» une partie des possibilités qu’elle leur a créées.
La RSE en Afrique, est-ce une vraie exigence ou simplement un dérivatif pour se donner bonne conscience ?
Le respect des obligations légales est un précédent à toute politique RSE. La conformité à la réglementation en vigueur est un prérequis à la conduite des affaires et une condition pour des partenariats avec certaines organisations. C’est le cas d’un de nos partenaires qui accompagne plus d’une cinquantaine d’entreprises en Afrique et qui a mis en place une charte Environnement, Social et Gouvernance (ESG) à laquelle les entreprises sont appelées à se conformer. Cette exigence s’applique aussi bien aux entreprises candidates au financement, qu’à celles déjà en portefeuille, dont le suivi de l’impact social et environnemental fait l’objet d’un suivi particulier.
La RSE représente un levier de performance pour l’entreprise et pour l’économie africaine caractérisée par son dynamisme, avec des prévisions de croissance de +5% en moyenne et dépassant les 10% dans certains pays (Banque Mondiale, 2015). Avoir une politique RSE est un choix stratégique susceptible d’impacter positivement les résultats.
En effet, la bonne gouvernance favorise la mise en place de systèmes transparents permettant un fonctionnement optimal de l’entreprise. La prise en compte des salariés et l’égalité des chances sont des éléments qui stimulent la motivation des employés et les disposent à une productivité accrue. Par ailleurs, certaines actions de protection de l’environnement permettent une réduction des coûts de production (recyclage), et à moyen et/ou long terme, un accès durable aux ressources.
De plus, la RSE permet le développement d’une marque d’employeur capable d’attirer et de retenir les talents qui sont de plus en plus sensibles aux questions de réputation des entreprises.
«La mise en évidence du bien-fondé de l’intégration de la RSE dans le mode de fonctionnement de l’entreprise provoque, habituellement, chez eux une prise de conscience accrue qui les reconnecte à leur volonté d’agir et d’impacter positivement leurs communautés».
Quelles sont les tendances de la RSE en Afrique ?
La RSE tend à redéfinir les responsabilités des entreprises vis-à-vis des composantes impliquées dans leurs activités ou affectées par ces dernières. Parmi celles-ci, on peut citer les populations locales qui, dans la majorité des pays du continent, font face au quotidien à des difficultés dont les plus criardes concernent le volet social (pauvreté, chômage des jeunes, difficultés d’accès aux soins de santé primaires, accès limité à l’éducation, absence/ insuffisance d’infrastructures, faible accès à l’eau potable…). Sans négliger les autres dimensions (gouvernance et environnement), les actions RSE des entreprises installées sur le continent ont tendance à s’orienter prioritairement vers des mesures ayant un effet plus direct sur l’amélioration des conditions de vie des populations (construction de centres de santé, de points d’eau, d’établissements scolaires, dons de fournitures scolaires, distribution de médicaments…).
Comment votre cabinet aborde-t-il la problématique RSE avec vos partenaires ? Est-ce une simple obligation légale ou un appel à la solidarité ?
Nous pensons que la RSE doit être perçue comme un élément à part entière de la stratégie de l’entreprise et à ce titre, être en ligne avec l’identité de celle-ci. Ceci justifie le choix dans notre démarche d’accompagnement des entreprises d’inclure un pilier RSE dans les priorités stratégiques de nos partenaires. Cette approche constitue un facteur d’intégration et de durabilité, qui crée une relation mutuellement bénéfique entre l’entreprise et son environnement social (populations locales).
A titre d’illustration, parmi nos clients, nous pouvons évoquer le cas d’une entreprise de services informatiques, basée au Cameroun, qui dispose d’un laboratoire doté d’équipements de pointe. L’axe phare de sa politique RSE consiste à offrir des stages aux étudiants de l’Ecole nationale d’ingénieurs afin de les exposer aux technologies les plus avancées. En retour, les meilleurs travaillent sur des projets utiles à l’entreprise. Ils apportent un regard neuf sur ses pratiques et peuvent être retenus pour intégrer ses effectifs au terme de leur formation. Il s’agit d’un mécanisme de création d’emplois dont la société et l’entreprise ressortent mutuellement gagnants.
Dans la même logique, une entreprise de BTP que nous accompagnons a choisi, comme axe de RSE, la rénovation des aires de jeux de la municipalité gabonaise dans laquelle elle est installée. De ce fait, elle offre à la jeunesse locale un cadre de vie plus agréable tout en faisant découvrir son savoir-faire au public. Les populations locales s’identifient ainsi à l’entreprise puisqu’elle fait désormais partie de leur quotidien et permet à leurs enfants de s’amuser dans de meilleures conditions d’hygiène et de sécurité. La plaque commémorative et la cérémonie de rétrocession des aires rénovées à la municipalité ont aussi contribué à améliorer la visibilité de l’entreprise.
La nouvelle génération de patrons africains, avec qui vous travaillez, a-t-elle assimilé le concept RSE dans son style de management ?
La plupart des entrepreneurs avec lesquels nous travaillons se caractérisent par leur passion pour le continent et le désir de contribuer à son évolution. Toutefois, ils sont généralement peu sensibilisés aux possibilités de la RSE. La mise en évidence du bien-fondé de l’intégration de la RSE dans le mode de fonctionnement de l’entreprise provoque, habituellement, chez eux une prise de conscience accrue qui les reconnecte à leur volonté d’agir et d’impacter positivement leurs communautés. De ce fait, ils perçoivent mieux l’opportunité de mettre en place une politique RSE qui réponde aux besoins de l’entreprise et de ses parties prenantes. Sur ce point, notre accompagnement consiste à assurer la cohérence et l’alignement de ladite politique avec l’identité et les orientations stratégiques de l’entreprise. Cette démarche permet de s’assurer que la RSE ne soit pas perçue comme une contrainte supplémentaire, mais une façon optimale de gérer l’entreprise, de manière productive et durable.
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