M. Dia : Président de l’A.C.A.SEN et DG de SYNERGIES ASSURANCES. Ne s’agit-il pas fonctions antinomiques ?
Cette posture est certes inédite, mais légale. L’Assureur-Conseils est le mandataire de ses clients assurés. Par conséquent, il les représente et défend leurs intérêts. Du coup, il devient juridiquement et de fait la personne la mieux placée pour relever ce défi.
17 années d’expérience dans le management et ancien Directeur Maritime d’AXA, votre statut de professionnel confirmé ne poserait-il pas de difficultés ?
Je reconnais avoir même enseigné l’assurance à plus de 30% du personnel des compagnies. Personnellement, je pense que c’est une raison supplémentaire pour mieux défendre les assurés et victimes d’accidents. L’A.C.A.SEN communiquera ainsi d’égal à égal avec les compagnies et les relations seront désormais plus équilibrées.
Quels sont les défis de l’A.C.A.SEN?
Le 1er est lié à l’information correcte des consommateurs d’assurances Particuliers et Entreprises. Il est en effet temps que ces derniers comprennent que les fonds importants brassés par les assureurs appelés Provisions techniques, évalués à des dizaines de milliards chaque année sont la propriété EXCLUSIVE de la communauté des assurés. Par ailleurs, leur gestion est strictement réglementée et des mécanismes de contrôle sont mis en place sous la tutelle de la CIMA. Ils se justifient aussi, entre autres, par le rôle central que l’industrie des assurances joue dans le fonctionnement et le refinancement de l’économie.
Un autre défi : C’est de dénoncer certaines pratiques des compagnies contraires aux règles et à la déontologie du métier. Nous avons déjà des appréhensions quant au respect scrupuleux de certaines dispositions du code CIMA. Par exemple, il est rare de voir une compagnie adresser à son client la fiche d’informations pourtant exigée par l’article 6 du code CIMA à la souscription. Comme autres manquements : Les dilatoires dont usent certaines compagnies d’assurances pour refuser ou faire trainer le paiement des indemnités malgré les pénalités plus sévères prévues par les articles 233 et 236 nouveaux du code. Les assurés sont frustrés par les comportements des assureurs.
Il y en a d’autres comme la nécessité de vérifier comment certains assureurs répercutent la TCA sur leurs clients assurés etc… C’est des faits à vérifier et à dénoncer s’il y a lieu.
Seriez-vous alors insatisfaits du contrôle effectué par la CRCA et la DNA?
Au contraire, nous félicitons la CIMA et les Etats membres pour avoir fait de l’assurance au Sénégal et dans la zone CIMA un marché organisé.
En vérité, nos rôles sont complémentaires. Notre objectif n’est ni de règlementer, ni d’organiser le marché encore moins de contrôler et de sanctionner. Nous n’en n’avons même pas les prérogatives et les moyens juridiques et matériels. Ce sont là des missions régaliennes de l’Etat et de la CIMA. L’A.C.A.SEN ne fait que défendre les intérêts collectifs de ses membres en dénonçant certaines pratiques et parfois en prenant même l’initiative d’une action en justice. Au besoin, nous pourrions être aussi le premier partenaire des compagnies dans la communication avec les assurés, si tout se passe bien…
Selon l’expert, quelles sont les perspectives à l’ère du pétrole et du gaz au Sénégal ?
Je salue l’initiative des pouvoirs publics d’avoir adopté depuis le 24 Janvier 2019 la loi sur le « contenu local ». Pour qui en connait les motivations, il s’agit de prioriser les intérêts des populations et des Entreprises locales dans tous les domaines liés à la chaine d’exploration, de production, de sécurisation et de commercialisation des ressources pétrolières et gazières.
Cette loi réserve son article 10 à l’Assurance. Ce secteur constitue donc une priorité pour l’Etat au vu des capitaux importants en jeu.
L’Assurance serait-elle alors le secteur qui profitera le plus de la loi sur le « contenu local » ?
Malheureusement NON. En effet, les compagnies ont, dans la précipitation, fait preuve d’un exclusivisme et d’un manque d’ambition regrettables.
Le pool pétro-gazier est sectaire ne prenant en compte dans son organisation que lesdites compagnies, ignorant littéralement les 77 sociétés de courtage d’assurances dument agréées par l’Etat, le plus souvent fruit d’investissements de sénégalais. C’est en cela que l’exclusivisme est manifeste. Pourtant, ces dernières constituent des acteurs importants du marché et une source d’apport incontournable sur le plan technico-commercial avec presque 50% du chiffre d’affaires annuel des compagnies Dommages.
Sur le fond également, le marché sénégalais ne dispose pas de la capacité suffisante pour absorber plus de 5% des risques pétro-gaziers. A ma grande surprise, les compagnies d’assurances se sont organisées en pool pour juste capter les parts de risques qui sont à la portée actuelle du marché local et en céder à l’étranger plus de 95% environ après les cessions légales au profit de la SEN RE et celles facultatives qui sont dans la limite des capacités de ce réassureur local. C’est loin d’être ambitieux pour le marché sénégalais.
En quoi cette démarche n’est pas ambitieuse ?
C’est très visible. En effet, il est évident que les marchés d’assurances et de réassurances doivent grandir par l’évolution de leur économie mais également par l’ingéniosité de leurs acteurs et la disponibilité des investisseurs. Sans aucun doute, le secteur des hydrocarbures va certainement booster l’économie nationale et favoriser des flux financiers énormes. Compte tenu de la capacité de rétention et d’acceptation en réassurance trop faible dudit marché et de l’ampleur des risques en jeu, le pool pétro-gazier aurait dû, par anticipation, travailler à l’augmentation de cette capacité pour éviter ces cessions hors du Sénégal qui frisent le fronting permanent.
Néanmoins, je comprends la posture des compagnies. Quelques-unes éprouveraient encore des difficultés pour réaliser convenablement l’augmentation du capital social exigée par les articles 329-3 et 330-2 du code CIMA.
Comment réaliser ce renforcement de la capacité du marché ?
Tous les acteurs du secteur devront être impliqués : les compagnies, les sociétés de courtage agréées au Sénégal, l’Etat et même certains investisseurs etc… Ils réfléchiront sur les voies et moyens de créer de nouvelles sociétés d’Assurances et surtout de Réassurances assez solides privés ou mixtes pour éviter cette saignée excessive de capitaux à l’étranger. Le dispositif réglementaire et légal existant est déjà assez protecteur avec l’article 308 nouveau du code CIMA et les cessions légales prévues au profit du seul réassureur local la SEN RE.
Dans une de vos publications, vous dites qu’il est possible de rectifier le tir ?
Absolument. C’est Possible tant que les décrets d’application de la loi ne sont pas encore pris. Les acteurs du marché doivent donc influer sur ces textes pour favoriser les mutations attendues. Pour cela, ils doivent discuter de façon inclusive, comprendre et communiquer impérativement sur les véritables enjeux du « local content ». Néanmoins, il faudrait au préalable que les sociétés de courtage à travers leur organisation occupent la place qui est la leur dans le processus de mise en œuvre du « contenu local ».
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