Les hommes d’affaires, businessmen et autres managers investissent de plus en plus le champ politique. Pourquoi un intérêt subite pour le pouvoir ?
Après les richesses matérielles, il y a la gloire. Cette quête-là est dans l’ordre normal des choses. Cela dit, leur intérêt était latent. Toute la question était de savoir comment passer de la gestion des intérêts particuliers à celle de l’intérêt public ? Comment réussir dans l’action publique après avoir fait ses preuves dans le secteur privé ? Comment allier la puissance d’argent à la puissance publique ?
La réponse est venue des success-stories. Il a fallu que quelques champions nationaux, issus des affaires, arrivent au sommet de l’Etat aux Etats-Unis, en Europe et en Afrique pour que cet intérêt devînt patent. Je veux citer : l’Italien Silvio Berslusconi, l’Américain Donald Trump, le Français Emmanuel Macron, le Kenyan Uhuru Kenyatta, le Béninois Patrice Talon, les Malgaches André Rajoelina et Marc Ravalomana, le Sud Africain Cyril Ramaphosa et pourquoi pas l’ancien international libérien Georges Weah ?
L’irruption de ces « entrepreneurs politiques » est rendue possible grâce à la volonté de changement, à la quête de producteurs de modèles alternatifs face à l’échec des schémas classiques de gouvernance démocratique. Au contact de la réalité du pouvoir, leurs capacités managériales sont-elles d’un apport décisif dans la conduite des affaires de l’Etat ? Là est se situe l’enjeu. A l’épreuve, ces nouveaux acteurs du jeu politique ne seront forcément des machines à solution. Loin de là…
Ils sont tout de même des exemples pour des hommes d’affaires sénégalais ?
Indiscutablement ces winners font des émules au Sénégal. Patrice Talon résume parfaitement leur état d’esprit, en ces termes : « Ce n’est plus l’argent qui me motive mais le succès ». En effet, Pierre Goudiaby Atépa, Pape Diop, Moustapha Guirassy, Bougane Gueye Dany, Boubacar Camara, Baye Ciss, entre autres, sont à la recherche de cette reconnaissance ultime et de cette ultime ambition.
A rebours, plusieurs de ces « milliardaires de la politique » ont connu des fortunes diverses, et même des revers cuisants, lorsqu’ils ont été nommés à des postes de responsabilité
Quelles sont les dividendes de leur engagement politique et les risques auxquels ils peuvent être confrontés ?
Il y a trois sortes de dividendes. Mais auparavant, laissez-moi vous dire qu’il y a un principe général de droit qui guide leur démarche : « pas d’intérêt, pas d’action ». Cela dit, les faiseurs d’argent (money maker) entendent devenir, aujourd’hui, des faiseurs de roi. A défaut d’être rois, ils jouent les « trouble-vote ».
En vérité, peser sur la balance électorale leur permet de renforcer leur positionnement économique. Comme vous le voyer, le premier dividende est d’ordre économique et financier. A titre d’exemple : Youssou Ndour n’a jamais été aussi grand que sous Macky Sall : Il est à la fois ministre, PDG, artiste interplanétaire et magnat de la presse. Il a fait sauter littéralement les frontières entre politique et business.
Deuxième dividende d’ordre purement politique : faire un score honorable dans une élection qu’elle soit présidentielle, législative ou communale, ajoute à votre notoriété. Et même une « défaite d’avenir » dans un scrutin présidentiel, permet de bien négocier. Ce qui se révèle être un bon placement.
Enfin troisième dividende, il est purement privé : lorsqu’on tire son épingle du jeu, il y a gain, profit et satisfecit personnel. Après l’accomplissement de soi, cette bourgeoise d’affaires recherche de la reconnaissance des autres.
Y a-t-il des risques ?
Absolument ! C’est pourquoi leur démarche se fait en trois temps : d’abord ils se comportent comme des spectateurs engagés, ensuite des observateurs engagés et enfin des acteurs engagés. Parce qu’entrer en politique ce n’est pas se rendre à la mosquée ou à l’église. C’est accepter volontairement de recevoir des coups et d’en donner. Les risques ont pour noms : atteinte à la vie privée, déballages, attrape-cœur, faux complots et fake news, etc. Je pense à cette sombre affaire de trafic de drogue collée au richissime Sébastien Ajavon parce qu’étant le principal challenger de Patrice Talon. Me vient à l’esprit la mise en quarantaine du gouverneur de Katanga, le milliardaire Moïse Katumbi. Dans une moindre mesure au Sénégal, on peut regretter des incursions médiatico-politiques dans le périmètre sentimental de Bougane Gueye Dany et Abdoul Mbaye.
Quel est le poids de l’argent dans la conquête du pouvoir
Je vais vous répondre de deux manières. A partir d’une lecture post-freudienne d’abord. Il y a trois moteurs qui gouvernent le monde : le sexe, le pouvoir et le fric. Ensuite, sur la base d’une lecture in concreto. En Afrique, l’arrivée au pouvoir des milliardaires hors normes que sont Talon, Ramaphosa, Kenyatta, etc., illustre la toute-puissance de l’argent en politique. Il s’agit même dans certains cas de puissance déstabilisatrice de l’argent. Au demeurant, il est bon d’atténuer ce déterminisme politique et social afin que la morale et l’éthique continuent de roder autour de la politique.
Sur un autre plan et contrairement aux acteurs politiques classiques – qui commencent à disparaître, en même temps que la mort des partis politiques approche – ces nouveaux acteurs s’appuient sur l’action, l’audace et le succès pour investir un champ politique traversé par une crise de confiance aigüe avec le peuple.
Résultat : les populations sont arrivées à la conclusion que la classe politique est l’incarnation du syndrome de l’échec. Par conséquent, ils veulent tester de nouveaux conducteurs de changement. Ces champions nationaux auront-ils de bons capteurs pour convaincre les électeurs ? Tout ce que je sais, c’est que nous assistons à la clôture d’une époque. On a expliqué le Sénégal de plusieurs manières, il s’agit maintenant de le concrétiser…
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