Implanter une clinique de Pédiatrie à Pikine, dans une zone où les populations rechignent à fréquenter les établissements sanitaires privés, du fait de la cherté des coûts, n’est pas une mince affaire. Pourtant, Dr Ngagne Mbaye, bien que conscient de ces difficultés, a décidé de passer outre les avertissements et conseils de ses proches pour installer sa cliniques pédiatrique privée dans cette banlieue.
C’est qu’il est en terrain connu. Lui qui a grandi et fait ses humanités à Pikine, connaît la ville mieux que quiconque. Loin d’être effrayé, il considère plutôt son retour aux sources comme un atout, une motivation, après 25 ans de pratique. «J’y ai mes repères existentiels et j’ai voulu revenir là où je suis connu et où je connais des gens. J’aime ce que je fais, surtout que je suis foncièrement banlieusard dans l’âme», a objecté Dr Ngagne Mbaye.
Mieux, il ne craint nullement que son activité soit perturbée par les sollicitations des parents, amis et autres connaissances. «C’est toujours un plaisir d’aider ses proches, parce qu’il faut le reconnaître, le social aussi est un autre élément qui me permet de gagner ma vie. Je suis même Président fondateur d’une ONG qui ne fait que du social et qui me prend peut-être les 3/5 de mon temps», a révélé Dr Ngagne Mbaye.
Connaître la Pédiatrie, les obstacles et les risques
Dr Ngagne Mbaye qu’on peut définir comme un passionné de médecine, explique que la Pédiatrie, selon la définition qu’en fait l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), est le domaine de la médecine qui traite de l’enfant de 0 à 18 ans. «C’est une personne qui est en perpétuelle mutation, parce que le nouveau-né n’a rien à voir avec l’enfant qui va à l’école, qui est différent de l’adolescent qui a des préoccupations de souffrances – en tout cas, ils ne le font pas sur le modèle qu’on connaît – et il faut que le Pédiatre santé sexuelle et reproduction. C’est ce qui fait la spécificité de la Pédiatrie», explique-t-il.
Il souligne ainsi que «les sujets dont nous nous occupons ne peuvent pas exprimer leurs souffrances – en tout cas, ils ne le font pas sur le modèle qu’on connaît. Il faut donc arriver à pouvoir décoder les signaux d’alarme chez les enfants. L’autre élément, c’est que le Pédiatre puisse, à chaque fois, s’adapter à la mutation de la cible. Il y a une différence fondamentale entre consulter un nouveau-né enveloppé dans un drap et examiner une adolescente qui vient te parler de ses seins qui sont apparus de manière précoce, avec toute la pudeur qui entoure cela. Ce sont deux êtres totalement différents, mais dont la prise en charge médicale relève de la Pédiatrie», a exposé Dr Ngagne Mbaye.
Autre élément sensible, la prescription et même l’administration de médicaments aux malades. Dr Mbaye indique que cela doit être lié au poids de l’enfant ou à d’autres détails très fins. C’est un élément qui fait que la pratique médicale pédiatrique est difficile. «Par exemple, on peut vous dire qu’un tel médicament ne peut pas être donné avant 28 jours de vie, celui là avant 12 mois, un autre avant 5 ans, etc. Donc ce sont des choses qu’il faut avoir en tête, car au delà de ce qui est autorisé, on tombe dans la toxicité», a prévenu Dr Ngagne Mbaye.
Dr Ngagne Mbaye se désole ainsi que la Pédiatrie enregistre le taux le plus élevé de mortalité et de morbidité. «Les nations, en plus de leur classement selon le PIB ou l’Indice de développement humain (IDH), sont également classées selon le taux de mortalité infantile, ce qu’on appelle «Underfive Mortality Rate» ou ‘Taux de mortalité chez les enfants de moins de 5 ans’.» A l’en croire, cela permet aussi de déterminer le niveau de développement d’un pays.
La ressource humaine de qualité, le nœud gordien de la Pédiatrie
Entre autres problèmes que rencontre le domaine de la Pédiatrie, Dr Ngagne Mbaye évoque la rareté de la ressource humaine avec une pyramide sanitaire qui devrait être élargie à la base. Or, c’est l’inversion de cette pyramide, parce qu’à la base il n’y a pas tout ce qu’il faut.
Les manquements sont énormes pour le pédiatre qui note l’absence de structures, l’insuffisance de cadres, des compétences et des ressources logistique pour la prise en charge des activités de prévention et de promotion de la santé. «Lorsque tous les enfants du quartier de Pikine qui sont enrhumés, peuvent se retrouver à l’hôpital Albert Royer qui doit gérer des comas diabétiques, des cas de neuro-palu, de méningites, cela pose problème», souligne-t-il. Avant d’ajouter qu’ «un des problèmes de la Pédiatrie, c’est la manière dont les gens traitent les enfants dans la famille. Ils ne connaissent pas très bien la valeur d’investir dans l’enfance. La tranche d’âge de 0 à 5 ans, appelée chez nous les 1 000 premiers jours de vie, c’est le fondement du futur pour l’enfant. Si vous arrivez à mettre l’enfant sur une bonne rampe de lancement en termes de santé, de bien-être psychologique, vous avez mis les fondements solides sur le citoyen futur», a conseillé le pédiatre, plaidant ainsi la cause des enfants.
C’est d’ailleurs pour cela qu’il salue l’avancée réalisée par le gouvernement, à travers la Couverture Maladie Universelle (CMU). Mais il y décèle une insuffisance, car ceux qui ont besoin de ce programme ne peuvent pas supporter le coût résiduel du fait que ce n’est pas totalement gratuit. Il faut encore des efforts pour que les bénéficiaires puissent avoir des soins complets sans devoir payer le complément.
Il existe bien un business de la santé, mais…
Pour Dr Ngagne Mbaye, «il y a effectivement un business, au sens économique du terme, de la comptabilité, de d’investissement, de profit, de perte. Il y a un véritable business d’autant plus qu’il y a des non professionnels de santé qui investissent dans le secteur». Il révèle qu’il a été approché à maintes reprises par des non-professionnels qui voulaient s’associer à lui et injecter des capitaux dans le secteur de la Santé.
Mais pour des médecins qui n’ont pas appris les rudiments de la gestion, c’est difficile d’investir dans la création de structures sanitaires. Ce qui leur manque, c’est la formation en Gestion et Management des entreprises. Il révèle ainsi que les médecins ont des difficultés pour ficeler un bon dossier et le défendre devant les investisseurs afin de trouver un financement pour un projet. Il propose ainsi l’introduction d’un module de Gestion des entreprises, d’autant plus que 75 à 80% de leurs étudiants se retrouvent dans le privé.
Cela est d’autant plus nécessaire que l’arrivée de non-professionnels dans le secteur risque de privilégier le gain au détriment des soins. «Le besoin de santé est assez particulier, parce qu’il touche l’être humain. C’est vrai que la personne qui investit son argent, qui a fait un prêt bancaire, qui achète du matériel, qui construit une clinique, ce n’est vraiment pas par philanthropie qu’il le fait. Mais, si la finalité est complètement orientée vers la recherche de gain et une méconnaissance de la composante humaine, il y a véritablement un problème», estime-t-il.
Dr Ngagne Mbaye conçoit le fait de payer pour un service comme une forme de collaboration entre le patient et le médecin libéral. Mieux, il est d’avis que les structures de santé privée doivent aussi avoir une mission de Responsabilité sociale d’entreprise (RSE). Il propose ainsi la mise en place d’une structure de convergence, un cadre légal très structuré où les acteurs du public et du privé peuvent ensemble contribuer aux efforts de Santé publique pour l’atteinte des Objectifs de Développement Durable.
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