Pourquoi la société civile fait la richesse du Sénégal
Dans un pays comme le Sénégal où l’assurance chômage n’existe pas, où l’Etat ne donne pas de revenu social minimum, où le nombre d’emplois formels n’excède pas trois cent milles pour douze millions d’habitants, on devrait s’interroger sérieusement sur ce qui fait vivre ce pays stable, où les institutions fonctionnent normalement et où le développement est jugé, comparativement, aux autres Etats d’Afrique francophone, très satisfaisant.
Ce qui fait la richesse du Sénégal, c’est sa capacité à produire du capital social nécessaire au développement économique et au fonctionnement d’une société démocratique. La notion de capital social réside dans l’idée selon laquelle, les relations familiales, amicales, sociales, professionnelles, confessionnelles représentent un capital, dit « social », que l’on peut mobiliser pour résister à une situation de crise ou améliorer son sort. C’est cette richesse nationale qui a rendu le Sénégal solidaire, apaisé et digne, malgré les difficiles conditions de survie. Mais qui produit ce capital social ? C’est clairement la société civile sénégalaise.
Pourquoi la bonne gouvernance requiert une société civile forte
L’ampleur de cette société civile dépassant largement les limites de sa représentation la plus visible, notamment sur les droits de l’homme et la lutte contre la corruption, son ancrage institutionnel s’impose et requiert une conjonction d’efforts en terme politique, social et économique de la part des acteurs nationaux et des partenaires au développement. C’est donc globalement qu’il faut appréhender la société civile et la faire émerger dans l’espace public institutionnel pour encourager sa participation constructive et structurée au projet d’émergence économique et sociale du pays.
Dans l’exercice du pouvoir, l’Etat doit rendre effective la bonne gouvernance à travers quatre fonctions principales qu’il ne peut assumer sans une société civile forte. Il s’agit de : faire en sorte que la voix des populations pauvres et marginalisées soient entendues par les gouvernements et que leurs points de vue soient pris en compte dans les décisions politiques ; encourager la responsabilité, la transparence et la reddition des comptes dans le secteur public par le biais d’un soutien accru aux bonnes pratiques de gouvernance ; instaurer un terrain d’entente avec le gouvernement au moyen d’approches participatives dans la planification du développement et renforcer les initiatives nationales de réduction de la pauvreté ; fournir, en collaboration avec le gouvernement, des prestations de services au niveau local avec des solutions novatrices et financièrement rentables.
Pourquoi l’Etat doit institutionnaliser les rapports avec la société civile
Cette nécessité d’accroître la capacité des organisations de la société civile à exercer plus efficacement leur rôle d’acteurs indépendants du développement correspond à la volonté et aux approches de partenaires au développement qui ont accru progressivement leur collaboration opérationnelle avec elle en finançant ses initiatives de développement et en l’impliquant dans des projets qu’ils financent. A titre illustratif, le taux de participation des organisations de la société civile aux projets financés par la Banque Mondiale est passé de 21% en 1990 à 82% en 2012.
Toutefois, ces actions, consultatives pour l’essentiel, ne permettent pas à la société civile de peser véritablement dans le processus décisionnel du pouvoir politique. Il revient alors à l’Etat du Sénégal d’assumer le leadership d’élever la société civile au rang d’institution reconnue, dotée d’une autorité et de modes acceptés de représentation. Ce renforcement des associations en institutionnalisant la relation entre l’Etat et la société civile, combiné au renforcement des synergies entre associations et au renforcement des capacités techniques des organisations, va permettre à l’Etat de se mettre au service de la société civile.
En Tunisie la création de la constituante civile, une instance qui se réunit en concomitance avec l’Assemblée nationale, traduit la volonté des autorités de donner toute sa place à la société civile qui a été à la base de la révolution tunisienne. Au Sénégal, nos sociologues, économistes et constitutionalistes devraient nous aider à trouver une façon originale et constructive de canaliser la force vivifiante et créatrice du capital social produit par la société civile pour l’injecter avec organisation et méthode dans les chantiers de l’émergence. Ils nous rendraient service, ainsi qu’à Durkheim pour qui « le seul idéal que puisse se proposer la raison humaine est d’améliorer ce qui existe, or c’est de la réalité seule qu’on peut apprendre les améliorations qu’elle réclame ».
Aussi, je ne saurais trop recommander au Président SALL de faire de l’émergence de la société civile un des chantiers de son Plan Sénégal Emergent. Ce chantier sera à la fois un livrable et un catalyseur du processus de transformation économique et sociale du pays.
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