Quelle place pour la société civile ? Abdoulaye Rokhaya Wane prend sa plume pour donner des esquisses.
Au Sénégal, comme dans le reste du continent, on ne s’interroge que trop rarement sur le type d’Etat qui pourrait nous mener à l’émergence. Questionnement d’autant plus essentiel qu’aucune des approches de développement adoptées, jusqu’ici, ne nous a permis de : « diversifier et de transformer nos économies, ni d’enregistrer des taux de croissance réguliers et soutenus, encore moins de réaliser des niveaux de développement social élevés ». C’est le constat fait par la Commission économique africaine qui recommande aux pays du continent de promouvoir l’Etat développementaliste. Qu’est ce à dire ? C’est un Etat édifié autour d’un gouvernement doté de la volonté et de la légitimité politiques d’assumer des fonctions de développement spécifiques, d’une administration professionnelle qui applique les stratégies et politiques de développement national établies, et de mécanismes d’interaction permettant aux diverses parties prenantes de prendre part à l’élaboration et à l’exécution des politiques.
Pourquoi l’Etat doit appuyer la société civile
Les parties prenantes sont constituées des trois acteurs principaux que sont l’Etat, le secteur privé et la société civile. Au cours des vingt dernières années, la société civile – qui regroupe notamment les organisations syndicales, les organisations non gouvernementales, les organisations confessionnelles, les organisations professionnelles, les médias, les associations culturelles et sportives – s’est imposée comme un acteur clé du développement. A la faveur de l’expansion de la gouvernance démocratique, on a assisté à un accroissement spectaculaire de la taille et de la capacité de la société civile. Peut-on alors légitimement occulter le rôle de cette force dont le dynamisme et la place qu’elle occupe dans le champ social et politique sont des atouts que tout Etat organisé intégrerait dans ses stratégies ?
L’ancien Secrétaire Général des Nations unies, Koffi Annan, déclarait en 1998 que : « la bonne gouvernance est sans doute le facteur le plus important en vue de l’éradication de la pauvreté et la promotion du développement ». Dans son entendement, bonne gouvernance ne signifie pas simplement la conduite du gouvernement par l’Etat. Mais, il implique aussi, par ailleurs, la participation d’autres acteurs à la recherche de solutions concernant les problèmes sociaux. Ces autres acteurs sont le secteur privé et la société civile. Il s’agit, ici, d’une recherche permanente d’efficacité et d’efficience dans l’action de l’Etat, par la coordination et la coopération des pôles constitutifs de l’espace public que sont le secteur étatique, le secteur privé et le secteur de la société civile.
Au regard de la réalité sociologique et de l’histoire politique du Sénégal, des pratiques européennes de développement et des expériences d’institutions comme la Banque Mondiale, on peut attester qu’une société civile dotée de moyens d’action constitue un élément essentiel du système démocratique. Elle incarne et favorise le pluralisme et peut contribuer à une efficacité accrue des politiques, à un développement équitable et durable et à une croissance inclusive.
En exprimant les préoccupations des citoyens, la société civile est à sa place dans la sphère publique, où elle porte des initiatives qui renforcent la démocratie participative. Elle est l’expression de la demande croissante d’une gouvernance transparente, responsable et redevable.
Pourquoi l’Etat doit s’appuyer sur la société civile
Bien qu’il incombe, avant tout, à l’Etat de garantir le développement et une gouvernance démocratique, les synergies qu’il crée avec la société civile peuvent aider à combattre plus efficacement la pauvreté, les inégalités et l’exclusion sociale. Aussi, l’implication des organisations de la société civile aux processus politiques est essentielle pour élaborer des politiques inclusives et efficaces. Elles contribuent ainsi à la construction d’Etats plus légitimes et comptables de leurs actes, ce qui débouche sur une cohésion sociale accrue et des démocraties plus ouvertes et plus fortes.
Ce qui signifie en clair que pour marcher vers l’émergence, notre Etat doit disposer d’une tête forte et bien faite, de bras solides, de mains agiles et, s’appuyer, comme il faut, sur ces deux jambes que sont le secteur privé et la société civile. Si, l’Etat clame partout son choix, pertinent, de centrer le secteur privé au cœur de nos stratégies de développement pour en faire le moteur de la croissance, il ne prévoit aucune articulation opérationnelle lui permettant de s’appuyer, aussi, sur le secteur de la société civile. C’est encore plus grave en ce qui concerne la promotion de la société civile comme un levier indispensable dans le dispositif national de transformation économique et sociale du pays. Pire, la société civile est généralement perçue par les gens au pouvoir comme une opposition en embuscade ou comme le terrain de germination d’opportunistes en manque de statut.
Cette perception cache, à tort, la forêt des réalisations, hautement appréciées par les populations et obtenues grâce aux activités des organisations de la société civile dans l’éducation, l’agriculture, les infrastructures, la santé, etc. Qui n’est pas fier du succès mondial du Sénégal dans la lutte contre le sida et dont le mérite revient en grande partie à la société civile ? Nous ne sommes pas non plus peu fiers de la liberté d’expression, de pensée, d’association et du pluralisme, devenues des valeurs sacrées de la société sénégalaise, au prix d’âpres combats pour les libertés.
Pourquoi la société civile doit crédibiliser sa posture
S’il est sain de dénoncer les comportements déviationnistes ou l’attitude obstructionniste de certains syndicats, ce serait, de la part de l’Etat, une grave erreur d’appréciation de ne pas donner à la société civile la pleine mesure de son rôle dans le projet de transformation économique et sociale. Au Sénégal, le débat, pour ne pas dire la polémique, sur le concept de la société civile est loin d’être tranché. Aussi bien la classe politique, les médias et le secteur privé ne sont pas unanimes et beaucoup manifestent leur scepticisme à l’égard de cette société civile dont on doute de la neutralité et du désintéressement.
Or, dans une démocratie, la société civile organisée est constituée d’organisations qui n’aspirent pas à exercer directement le pouvoir, mais qui se présentent comme une force de proposition, de mobilisation et d’influence, ce qui permet de faire évoluer les décisions politiques. Aussi, la société civile sénégalaise doit éviter la confusion des genres. Sa valeur distinctive réside dans son indépendance d’esprit et d’action.
Surtout, elle ne doit pas ternir le travail que mènent, quotidiennement, auprès des populations, ses 12000 associations communautaires, sportives, religieuses, professionnelles légalement enregistrées et ses 320 organisations non gouvernementales agréées. Que dire alors de ces milliers de personnes qui, dans l’anonymat total, aident, à travers, le lien familial, le lien de voisinage, le lien d’enfance, le lien religieux et le lien social des millions de personnes à manger, à se soigner, à se loger, à préparer la rentrée scolaire, à acheter les semences, à démarrer un petit commerce ou à se raccorder au réseau d’assainissement.
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