Le Sénégal, L’Afrique et le Monde traversent une période de profonds changements où les équilibres géopolitiques se redéfinissent, exigeant de tous, des qualités accrues de flexibilité et d’adaptabilité pour bien tirer son épingle du jeu dans un monde de plus en plus globalisé.
Ces changements sèment le doute et amènent les citoyens à s’interroger sur leur avenir. Interrogation d’autant plus légitime, qu’au Sénégal, après 54 ans d’indépendance, deux alternances démocratiques, une stabilité politique continue, des annulations successives de dettes, une croissance notable des recettes budgétaires, une hausse assidue de l’aide, on est en droit de se demander pourquoi sommes nous, encore, si loin du décollage économique ?
Nécessaire remise en cause
Comment ce pays, capitale de l’Afrique occidentale française, héritière après l’indépendance, des meilleures infrastructures, de la meilleure administration, des meilleurs centres de formation, a t-il pu perdre son avantage comparatif par rapport aux autres anciennes colonies de l’AOF ? On peut encore se demander pourquoi un pays qui a tant d’atouts naturels et un si grand potentiel agricole continue t-il d’importer sa nourriture ? Comment ce pays, à la position géostratégique privilégiée, qui la place au carrefour des routes et marchés du Monde, n’a-t-il pas pu, tirer l’avantage concurrentiel de son positionnement ? Comment se fait il que ce pays à l’élite si bien formée, cultivée et expérimentée, cherche, encore, le chemin de son destin ?
Les questions sont, à la fois, multiples et simples, mais les réponses ont semblé compliquées pour ceux qui ont eu, jusqu’ici, l’honneur de diriger le Sénégal. Après un demi siècle d’indépendance, et toujours dans la précarité, malgré les atouts dont nous disposons, la seule question à la quelle nous devons répondre collectivement est celle ci : comment baliser le chemin pour que les cinquante prochaines années, soient enfin, celles d’un Sénégal, où l’élite, après son examen critique, prend le leadership assumé des réformes politiques, économiques, sociales et culturelle nécessaires au développement du pays, dans un monde qui impose la concurrence comme unique mode de transaction ?
Nécessaire réussite du PSE
Le Plan Sénégal Emergent, PSE, est la réponse des nouvelles autorités pour assurer la transformation économique, devant nous mener à l’Emergence. Référence performative du développement, l’émergence exige des changements structurels pour grandir dans un monde, en compétition et en mutation permanentes, où la productivité, la compétitivité et l’efficacité sont devenues les déterminants existentiels des Etats et des entreprises.
C’est à la lumière de ces réalités qu’il nous faut appréhender le PSE qui est un premier, bon, pas sur le long chemin qui nous conduit à l’émergence. Toutefois, il faut savourer le succès de son financement avec modération, puisque le Sénégal a fait ce qu’il sait faire le mieux, depuis l’indépendance : concevoir des projets et les vendre aux partenaires au développement qui, à chaque fois, impressionnés par la maîtrise du sujet et la force de conviction du Sénégal ont, à tout coup, répondu favorablement.
Le premier défi, auquel le PSE sera naturellement confronté, est celui de l’efficacité de l’Etat. Premièrement, les engagements des bailleurs étant des déclarations d’intention, le Sénégal doit mobiliser rapidement une équipe compétente dédiée et outillée à travailler plus efficacement à la concrétisation des promesses de financement. Deuxièmement, il était établi, avant la rencontre de Paris sur le PSE, que le taux de décaissement moyen des projets, en cours au Sénégal, atteignait à peine, les 50%. Il y aura donc, parallèlement à l’effort de mobilisation des fonds, un travail de correction du mode de gestion des projets actuels pour rehausser le niveau de performance. Troisièmement, les conditions de mise en œuvre et de succès du PSE reposent sur d’importantes réformes publiques. Il faut, en même temps, promouvoir et appliquer des réformes et mettre en œuvre le PSE.
L’Etat du Sénégal ne pouvant se permettre de ne pas réussir la mise en œuvre du PSE, il devra activer tous les leviers utiles, veiller à les agencer intelligemment, et à les coordonner efficacement.
Nécessaire modernisation de l’Administration
C’est en ce sens, que la question de l’efficacité de l’Etat constitue une condition de réussite pour le PSE. Car, de l’efficacité de son administration, dépend le succès des programmes de l’Etat. Or, il est reconnu que l’Administration sénégalaise n’est pas un modèle de performance dans l’exécution de projets. Non pas qu’elle ne compte pas en son sein d’éminents agents compétents et travailleurs, non pas qu’elle ne soit dans les standards d’une administration moderne, mais, simplement, qu’elle a besoin d’être mise à niveau sur le plan technologique, sur l’efficacité opérationnelle et sur la gestion axée sur les résultats pour qu’elle puisse assurer, de façon optimale, le portage des projets de l’Etat.
Cette performance, attendue de l’administration dépend, d’abord du comportement de l’Etat dans la valorisation des compétences, l’objectivité des processus de nomination, la reconnaissance du mérite et la motivation du personnel. L’un dans l’autre, il n’est pas possible d’améliorer sérieusement la gouvernance, dans le but de rendre l’Etat plus efficace, si nous ne changeons pas radicalement la nature des rapports entre pouvoir politique et Administration.
Nécessaire dépolitisation de l’appareil d’Etat
Depuis très longtemps dans ce pays, la légitimité politique s’est imposée à toute autre forme de légitimité et la plupart des personnes compétentes, animées par l’intérêt général, s’éloignent du champ politique. Le Sénégal regorge de cadres talentueux et déterminés, mais ils sont éloignés des principaux centres de décisions, occupés, pour l’essentiel, par des politiciens professionnels. Pourtant, il est possible de bâtir un Etat efficace et caser, en même temps, la clientèle politique. Le Maroc et le Cap Vert réussissent bien cet équilibre. Chez eux, cette recherche d’efficience dans l’action de l’Etat est permanente et intègre l’ensemble des leviers publics, privés, civils et sociaux sur lesquels le gouvernement s’appuie pour asseoir une gouvernance d’exemplarité.
Autant dire, que vouloir l’appliquer, sera une véritable révolution dans ce pays, où tout est politisé, où le seul modèle référentiel existant pour gravir l’échelon social ou faire prospérer son business est celui de la partisannerie. Ces pratiques sont si ancrées que vouloir les changer, équivaudrait à scier l’arbre sur lequel on est assis.
Nécessaire mobilisation nationale
C’est ce qui m’amène à dire que le mandat du Président SALL est le plus ingrat dans l’histoire politique du Sénégal. D’un côté, il doit répondre à la demande sociale, et de l’autre, il doit changer les habitudes de management au Sénégal pour remettre le pays à l’endroit, contre la volonté des Sénégalais, trop habitués à la politicaillerie et aux passe-droits.
Le chemin risque d’être long, si la classe politique, la société civile et l’intelligentsia ne prennent pas la pleine mesure de l’effort de reconstruction nationale. Le chantier est énorme et le niveau des changements nécessaires est tel qu’il va falloir mobiliser toutes les intelligences et toutes les bonnes volontés du pays autour du projet commun. La seule façon d’ancrer cette dynamique, condition essentielle à la transformation économique espérée, est de transcender les contingences politiciennes et de s’appuyer sur des coalitions développementalistes fortes.
En fait, il nous faut bâtir une nouvelle conscience citoyenne pour que chacun, où qu’il se trouve s’implique dans l’amélioration de la gouvernance. Le renouveau mental et culturel, attendu, est si important qu’il ne peut y avoir de progrès dans le développement du Sénégal tant que la masse critique des vecteurs de changements [compétence, rigueur, intérêt général, mérite] ne prenne le dessus sur les facteurs de résistance aux changements [népotisme, flagornerie, incompétence, situation de rente].
Nécessaires réformes publiques
Pour dire vrai, le mandat du Président SALL est un sacerdoce au sens premier du terme et son chemin de croix est lui de se terminer. Il ne lui suffira pas de mettre en place un Etat efficace pour mettre le Sénégal sur les voies de l’émergence, il lui faudra, également, amorcer des réformes publiques majeures. L’évaluation de l’efficience de la dépense publique dans le secteur de l’éducation, par exemple, confirme ce que nous savons déjà. Que le Sénégal consacre 33% de ses dépenses courantes pour former des diplômés chômeurs. Que malgré l’effort financier consacré, l’école sénégalaise forme une élite dont le curricula ne correspond pas aux besoins du pays. Que 80% des dépenses de l’éducation couvrent des frais de fonctionnement d’un personnel enseignant plus souvent en grève qu’en classe.
Que faire ? Devons nous continuer à accepter cette situation sans réagir ? Que faire ? Dois-je continuer à me plaindre des insuffisances de nos dirigeants et du système ou dois-je me battre pour qu’émerge, enfin, dans ce pays, un débat public impliquant toutes les parties prenantes, en vue de tracer le chemin critique le plus logique pour les secteurs nécessitant des réformes majeures, au regard de nos capacités, de notre vision et des réalités du monde ?
L’exigence de rupture exprimée par le peuple sénégalais à l’élection du 25 mars 2012 interpelle toutes les composantes de la société. Elle interpelle, particulièrement, une élite bien pensante qui, comme moi, s’installe tous les soirs dans son salon, pour dénoncer, entre quatre murs, les dérives, les incohérences et les contre performance du régime.
Nécessaire renouveau mental et culturel
C’est pourquoi il est arrivé, je crois, ce moment où une génération doit offrir son engagement à la construction d’une société sénégalaise, désormais résolument engagée vers le progrès. Pour ceux d’entre nous, cadres et dirigeants compétents, qui en possédons les talents, le temps est venu de s’engager activement en politique, pour que des hommes politiques, techniquement outillés, aux expériences professionnelles éprouvées, prennent le leadership.
Pour ceux qui, comme moi, n’en possèdent pas les talents, le temps est venu de s’engager dans le débat public pour éclairer les Sénégalais sur les enjeux majeurs et faire émerger les idées remarquables sur lesquelles l’Etat peut s’appuyer pour bâtir une nation prospère, riche du courage, du patriotisme, de l’intégrité et du génie créateur de ses enfants.
C’est le temps pour l’émergence de leaders qui incarnent un renouveau mental et culturel, qui fonde la construction du Sénégal sur les valeurs du travail, de la rigueur, du mérite et du partage. Ces valeurs constituent les fondements de la productivité, de la compétitivité, de l’efficacité et du progrès social, sans lesquels, aucune nation ne peut devenir émergente.
Nécessaire concentration sur l’investissement
Le monde change et le Sénégal doit s’y préparer avec une vision ambitieuse animée d’un sentiment d’urgence. Nos dirigeants doivent comprendre que le monde se réorganise de façon permanente et dynamique. Avec la globalisation des marchés, des changements majeurs ont bouleversés l’ordre économique mondial, rendant plus concurrentielles les relations internationales. Chaque jour que Dieu fait, les pays sérieux, grands et petits, rivalisent d’intelligence, de stratégies et de tactiques, pour attirer l’investissement.
Sur ce point, tout le monde est à la même enseigne : on a besoin d’investissements pour créer la croissance, car, c’est la croissance qui crée des emplois, et, c’est avec les emplois que l’Etat peut taxer les revenus. Aussi, plutôt que de se plaindre du Doing Business, le Sénégal devrait se concentrer sur l’attrait de l’investissement et entreprendre une action gouvernementale, vigoureuse et transversale, de suivi opérationnel de la mise en œuvre de toutes les décisions relatives à la mise aux standards internationaux de notre environnement des affaires.
Nécessaire promotion du secteur privé
Ce qu’il nous faut considérer aussi, c’est que l’investisseur étranger ne vient pas dans un pays avec l’intention de supporter, à lui tout seul, 100% du risque d’investissement. Il va s’attendre à y trouver des partenaires privés avec lesquels il peut partager le risque d’investissement. Cette catégorie est plutôt rare sur la place de Dakar. Or, pour véritablement capitaliser sur l’investissement privé direct, nous aurons besoin de près de 200 entreprises sénégalaises, solides, capables de partager le risque d’investissement.
Ce qui signifie que pour aller jusqu’au bout de sa logique d’émergence, le gouvernement devra se doter d’une stratégie nationale de l’entrepreneuriat pour accompagner le secteur privé et aider au développement de grandes entreprises capables d’exploiter, en partenariat, les opportunités d’investissement ici et dans la région.
La nécessité d’une stratégie gouvernementale en matière d’entrepreneuriat est d’autant plus prégnante, que plusieurs indicateurs sont préoccupants, notamment la faiblesse relative des intentions d’entreprendre, le déclin de grandes industries (ex ICS, SONACOS) et des grandes filières (tourisme, pêche, etc.).
Nécessaire adoption d’attitude
On voit bien que si le Sénégal veut devenir émergent, toutes les décisions de l’Etat, dans tous les domaines, doivent être, désormais, regardées sous l’angle de leur impact vis-à-vis du PSE et de l’attrait des investissements. Maintenant qu’une ligne d’avenir est tracée, le grand défi du Président SALL sera de s’y tenir avec détermination et discipline, pour amener ses équipes à mettre le focus sur l’efficacité de l’Etat et la bonne gouvernance, tout en gardant le cap sur l’émergence. Pour cela, il faut avoir une attitude. Laquelle ?
Celle qui, de l’avis du Président Eisenhover des Etats Unis, en pleine transformation économique, « consiste pour chaque décision, à peser à la lumière d’une considération plus large : la nécessité de maintenir l’équilibre entre économie publique et économie privée, l’équilibre entre le coût et le gain espéré, l’équilibre entre nos exigences essentielles en tant que nation et les devoirs imposés à chaque citoyen, l’équilibre des actions du présent et le bien-être du futur».
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