De la responsabilisation pour une nécessaire resocialisation
Ce qui nous impose une deuxième question cruciale qui porte sur le modèle et le système éducatifs. La classe intellectuelle et les parents d’aujourd’hui devront retravailler le processus de socialisation du Sénégalais nouveau. Parentale ou scolaire, l’éducation est une entreprise consciente et explicite de transmission de valeurs et de normes et contribue donc de manière importante à la socialisation. Si celle-ci inclut le travail éducatif, elle ne s’y réduit pas, car l’individu est confronté quotidiennement à des interactions positives et négatives de la société sénégalaise, en pleine mutation. L’exercice de recadrage du processus de socialisation est si urgent que chacun de nous veut protéger ses enfants d’un environnement urbain sénégalais où les valeurs dominantes sont sécrétées par l’analphabétisme, l’informalité, la survivance et le mimétisme.
Pour faire face, il faut, comme Jean Paul Sartre, pendant la résistance, convaincre les intellectuels de la responsabilité de leur condition, de la nécessité pour chacun d’eux d’assumer le destin collectif et du devoir de s’engager dans la lutte présente comme seul acte de liberté possible. Pour Sartre, « l’engagement est également une obligation morale pour celui qui, refusant le confort de l’attitude contemplative ou de la foi, tire les conséquences éthiques et politiques de son être en situation. C’est particulièrement le cas de l’intellectuel et de l’écrivain, qui parce qu’ils ont le pouvoir de dévoiler le monde, se doivent de s’engager ».
C’est dans cette perspective que Soumaila Cissé, alors Président de la Commission de l’UEMOA, avait réuni un panel de haut niveau de leaders africains pour tracer les options stratégiques de l’UEMOA à l’horizon 2020. A ce jour, je n’ai pas encore vu un seul pays de la région profiter de cette notable contribution intellectuelle, encore d’actualité pour tout Etat de l’Union. Je partage avec vous quelques unes des perles.
Des chantiers qui attendent les intellectuels
Education et culture : miser d’abord sur l’éducation et la formation avec un accent particulier sur l’enseignement technique et professionnel, la scolarisation et la formation des filles, l’enseignement et la recherche scientifique, l’intégration des valeurs et des cultures locales dans les curricula.
Développer la technologie et l’innovation : mettre en pratique des politiques d’adaptation et d’innovation pour sauter des étapes, accroître la productivité du monde rural et la compétitivité de l’industrie, assurer une énergie fiable et propre, utiliser les technologies de l’information dans l’enseignement, la santé, les prestations de services publics et les services financiers.
Renforcer la gouvernance publique et privée : rendre effectif le respect des droits humains et de la démocratie, par un environnement porteur pour les investissements privés, par des infrastructures modernes, par des services publics performants, par une justice rapide et efficace, et par une bonne répartition des compétences entre administrations nationales et celle de l’union, guidée par des notions de masse critique et de mutualisation.
Prendre conscience du défi démographique : la croissance démographique de l’Afrique est la plus élevée du monde. Toutefois, compte tenu des effets de l’éducation et du planning familial, la stabilisation pourrait être atteinte dans la seconde moitié du siècle. Ce qui nécessite une prise de conscience collective du défi et le choix volontariste de méthodes appropriées. La proportion exceptionnelle de jeunes reste un puissant atout de décollage économique, à condition que les populations soient instruites et formées et que des politiques économiques favorables soient mise en place.
Du Président SENGHOR au Président SALL
Tous ces axes d’intervention prioritaires ont besoins d’être précédés, accompagnés et renforcés par des recherches, des avis d’experts, des réflexions d’intellectuels d’ici et d’ailleurs. Pendant que nos intellectuels ont déserté le champ de l’investigation et de la diffusion des idées, le monde n’a jamais été aussi dépendant de la production intellectuelle. Thomas Sowell, un des plus importants économistes de l’heure au Etats unis qui vient de publier « Les intellectuels et la société », dit ceci : « il n’y a probablement jamais eu une époque de l’histoire où les intellectuels ont joué un rôle plus important dans la société. Quand les intellectuels qui génèrent des idées sont entourés de nombreux autres qui diffusent largement ces idées – que ce soit comme journalistes, enseignants, assistants aux législateurs ou commis aux juges – l’influence des intellectuels sur la façon dont une société évolue peut être énorme ».
Le Sénégal a de tout temps été un pays de grande prodigalité intellectuelle. Mais depuis le départ du Président Senghor, cette valeur ajoutée distinctive du Sénégal et de son peuple s’est éteinte. Si le Président SALL pouvait, sur le modèle senghorien, refaire de Dakar et du Sénégal le centre nerveux du continent et de la pensée sur la condition de l’homme noir, ce serait fantastique. Voilà un chantier nécessaire à livrer dans le projet d’émergence et qui va, dans le même temps, accélérer la cadence puisque, du rayonnement international du Sénégal, dépend la richesse de ses partenariats internationaux.
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