Je voudrais rappeler avant tout l’absence d’unanimité qui existe dans la définition des concepts «autosuffisance alimentaire, souveraineté alimentaire, sécurité alimentaire, etc.».
Seule la notion d’autonomie de décision, qui représente le caractère stratégique des enjeux alimentaires et leur dimension de bien public, est partagée entre les différentes définitions qui existent. Autrement, les définitions diffèrent entres elles en fonction du degré d’acceptation du rôle des marchés, de la théorie des avantages comparatifs, du commerce international et des systèmes productivistes dans l’atteinte de la souveraineté alimentaire.
En effet, la sécurité alimentaire est réalisée lorsque « toutes les personnes, en tout temps, ont économiquement, socialement et physiquement accès à une alimentation suffisante, sûre et nutritive qui satisfait leurs besoins nutritionnels pour leur permettre de mener une vie active et saine. ».
Dans cette optique, la carence de la production locale n’explique que l’aspect offre de la sécurité alimentaire. Ainsi, la stratégie d’autosuffisance, fondée sur la production locale, peut ne pas garantir la sécurité alimentaire pour deux raisons :
- D’abord, dans une économie ouverte la production locale d’un pays pourrait être exportée. En effet, il y a un avantage à saisir, qui est le prix élevé que les clients étrangers sont disposés à payer.
- Ensuite, certaines franges de la population pourraient se trouver exclues si elles ne possèdent pas les moyens financiers suffisants pour acheter cette production locale.
La crise alimentaire ne résulte donc pas uniquement du déficit de l’offre locale, mais également du faible niveau de revenus des ménages. C’est ici une question de pouvoir d’achat. Par ailleurs, les restrictions (tarifaires et non tarifaires) renchérissent les importations et affaiblissent les exportations, d’où la difficulté pour les pays africains d’accéder à la sécurité alimentaire. Dès lors, il convient d’éviter l’erreur de confondre autosuffisance et sécurité alimentaire car cette dernière exige non seulement l’existence d’une offre suffisante, mais également d’une demande solvable.
En conséquence, la sécurité alimentaire passe par l’action sur l’offre et sur la demande. Au cœur de toute activité économique, en l’occurrence agricole, se trouve l’acte d’investir.
Or, pour la plupart des pays africains, l’agriculture est pénalisée par la faiblesse du secteur privé. Dans ce sens, l’accélération de réformes institutionnelles pour lever les blocages (foncier, fiscalité, crédit, commercialisation, etc.) aux investissements privés est fondamentale pour développer une agriculture à forte valeur ajoutée et à forte productivité. Pour ce qui est de la demande, l’encouragement de l’agriculture vivrière est primordial pour élever les revenus des agriculteurs et lutter contre la pauvreté. Une réforme de l’environnement institutionnel de l’investissement permettra non seulement la création d’emplois directs, mais également la diversification des activités génératrices de revenus monétaires. Avec les revenus dégagés par une agriculture intégrée au marché mondial, il est possible d’accompagner l’agriculture vivrière, notamment en finançant des projets de développement du monde rural (infrastructures routières et hydriques, formation, technologie et recherche agronomique, etc.). En conséquence, les gains de productivité générés permettront l’amélioration du pouvoir d’achat des ruraux et par corollaire des citadins avec un accès facile aux produits alimentaires. Il doit y avoir une complémentarité entre une agriculture vivrière et celle exportatrice. Qu’il s’agisse de culture vivrière ou exportatrice, le Sénégal ne peut avoir une agriculture diversifiée et compétitive sans un secteur privé responsable et sans une intégration au marché mondial.
L’idée ici n’est pas de contester le droit du Sénégal de réduire le recours à l’extérieur pour se nourrir mais de prévenir contre une approche d’autosuffisance servant d’alibi pour justifier une intervention étatique jusque-là inefficace et coûteuse. La sécurité alimentaire passe plutôt par la diversification et l’ouverture des échanges.
Oumar DIOUF, Ingénieur Agroéconomiste
Email : lomediouf@yahoo.fr
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