Pouvez-vous vous présenter et le bureau que vous dirigez ?
Je suis le Directeur régional de la Banque Islamique de Développement (BID). Un Bureau implanté et opérationnel depuis presque 5 ans. C’est une structure mise en place dans le cadre de la stratégie de décentralisation. L’objectif essentiel est de répondre, de manière plus efficace, à la demande des pays membres en Afrique de l’ouest pour que la banque puisse mieux remplir son mandat d’appui au développement de ses pays membres.
Quel est le rôle de la BID dans la promotion de la finance islamique ?
La BID est une des institutions pionnières de la finance islamique. On pense que souvent que la finance islamique est récente alors qu’en réalité, elle est aussi ancienne que l’islam. Il faut cependant reconnaître que le monde musulman a subi la colonisation au 18ième et 19ième siècles. Ce qui avait favorisé l’implantation de la finance conventionnelle de manière formelle alors que les transactions de type islamiques se cantonnaient dans l’économie informelle. C’est après les indépendances que des initiatives ont émergé pour la promotion de la finance islamique. En particulier, celle de l’OCI créant la BID en 1975, un instrument de solidarité pour appuyer le développement de ses pays membres tout en exerçant ce mandat à travers le recours exclusif à la finance islamique. D’autres institutions islamiques particulièrement privées étaient déjà actives.
La BID a donc un double mandant celui de promouvoir le développement dans ses pays membres mais également celui de la promotion de la finance islamique. Plus spécifiquement par rapport à ce second mandat, la BID au départ a eu à contribuer à asseoir les bases d’une industrie crédible, comme on dirait Shariah Compliant, développer une offre adaptée de produits et d’instruments pour véhiculer le financement islamique. Un rôle par la suite de plaidoyer et de stimulation de l’expansion dans ses pays membres des instruments et des institutions de la finance islamique, d’encourager et contribuer à la mise en place de l’architecture institutionnelle actuelle étant membre fondateur. Et partout où les gouvernements de pays membres qui le désirent et le manifestent, coopérer de manière transparente et sincère pour la mise en place de cadres règlementaires adéquats, bâtir les ressources humaines qualifiées, contribuer à l’émergence d’acteurs financiers à travers le soutien financier et le renforcement de capacités.
Est-ce que vous pouvez revenir sur l’état de cette industrie dans le monde ?
Il faut reconnaître que depuis 1975, l’évolution a été fulgurante. D’un segment plutôt perçu comme segment d’éthique, force est de constater aujourd’hui qu’il n’est plus l’apanage des pays musulmans. En effet, tant sur le plan de la demande que de l’offre, les acteurs sont de confessions diverses. Je prendrais un exemple, celui de la Malaisie, pays à majorité musulmane dont le système bancaire a une clientèle majoritaire non-musulmane. L’industrie se globalise, renforce son architecture institutionnelle à travers des institutions dédiées telles que Islamic Board Services Board (ISFB), chargé de la mise en place des standards, de la stabilité de de l’industrie, des règles prudentielles etc., AAOFI (Accounting and Auditing Organisation for Islamic Financial Institutions), chargés des standards de gouvernance, de comptabilité et d’audit ; ou encore Islamic International Rating Agency (IIRA) et plusieurs autres agences spécialisées.
L’industrie, d’un stade embryonnaire au cours des années 70 et même 80, est en toujours en pleine phase d’innovation et de croissance. Elle se transforme, se sophistique et développe son offre pour mieux répondre à la demande dans notre contexte actuel, tout en respectant les principes de la Charia.
Des marges de croissance importantes subsistent tels que reflété par son taux de croissance annuelle de 20 à 30% enregistré ces dernières années. Aujourd’hui, le volume des transactions Islamiques a atteint près de 1 800 milliards $ US.
Elle se globalise et s’étend géographiquement en Europe, aux Etats-Unis. C’est vrai, c’est dans les pays du Moyen Orient et de l’Asie où l’essentiel de ces transactions se font ayant été les premiers pays promoteurs ou elle atteint dans certains une influence systémique. Par exemple, les systèmes financiers en Iran et au Soudant sont entièrement islamique. Au Koweit, la part de marché dépasse les 60% et en Arabie Saoudite, c’est près de 40%.
Aujourd’hui, la finance islamique est d’un intérêt certain dans les grands centres d’expertises, les places financières et boursières. Les indices dédiés tel que Dow Jones Islamic Market Indices, le S&P Shariah Indices, le MSCI Global Islamic Indices et le FTSE Global Islamic Indices, qui couvrent les marches d’actions, témoignent de l’expansion de l’industrie.
En Afrique, comment ça se passe ?
L’Afrique dans sa globalité au Nord et au Sud du Sahara ou les problèmes de financement du développement se posent avec le plus d’acuité est resté en marge de la Finance Islamique malgré une forte volonté politique, une demande sociale pressante des populations et des milieux d’affaires. En outre, clairement de plus en plus d’investisseurs s’intéressent à notre continent. La part de marché est moins de 1% actuellement.
Il est vrai que la cause essentielle a été l’absence d’un environnement favorable notamment du cadre règlementaire si important pour une industrie qui fonctionne suivant des principes tel que la finance islamique ou le régulateur et le législateur ont on rôle important à jouer pour assoir les bases de crédibilité nécessaires et de transparence antres les parties en transactions. Nous n’avons pas cette liberté qu’a un banquier ou un assureur traditionnel de pouvoir définir son produit et de le commercialiser.
Mais nous sommes conscient que les grands chantiers ouverts à cet effet par la BCEAO avec laquelle d’ailleurs nous coopérons et qui serait plus en mesure de vous donner plus de détails permettront dans un avenir proche de capitaliser sur la finance islamique pour diversifier et approfondir les services financiers dans l’espace UEMOA.
Est-ce à dire que tous les contraintes et contingences ont été levées ?
Je pense que la BCEAO est en train de dérouler sa stratégie de manière très professionnelle et très volontariste pour mettre en place au plutôt ce cadre réglementaire.
Et au Sénégal, êtes-vous satisfaits de l’évolution de cette finance islamique ?
Au Sénégal, il y eu a toujours une volonté de promouvoir cette industrie de services et une bonne coopération à titre bilatérale s’est établie avec la Banque Islamique de Développement dans ce domaine, particulièrement pour les aspects de son ressort. Le résultat est d’ailleurs significatif. Je citerais en exemple, l’existence d’une banque islamique, la promotion de la micro-finance islamique, assez pratiquée dans le pays. Plus récemment, la règlementation a évolué pour assimiler la fiscalité des produits islamiques à celle des produits bancaires. Nous travaillons ensemble pour la création de la première institution de micro-finance, totalement islamique en Afrique de l’Ouest. Une loi est en cours d’approbation pour développer les produits Waqf. La première transaction Sukuk (obligations islamiques) est en train d’être lancée pour le Gouvernement. C’est pour vous dire que le Sénégal est également pionnier dans la région.
Et la coopération économique entre la BID et le Sénégal ?
Nous avons une excellente coopération. Le Sénégal est un pays très dynamique au sein même de notre institution qui joue un rôle de plaidoyer constant pour nos grands chantiers. Au plan bilatéral, c’est pratiquement notre 1er client en Afrique de l’ouest. Nous avons un portefeuille relativement consistant de 16 projets pour un montant de près de 400 millions de dollars (200 milliards FCFA) en cours d’exécution aligné sur les priorités du pays.
Comment percevez-vous les perspectives au Sénégal ?
Elles sont plus ou moins balisées. Actuellement, nous sommes en train de dérouler notre cadre de partenariat stratégique sur la période 2013/ 2017. Nous avons pris un engagement fort pour soutenir le gouvernement à faire face aux défis du développement du pays. Nous sommes un des premiers bailleurs de fonds du pays.
L’évolution de la finance islamique en Afrique et dans le reste du monde ?
Je pense qu’avec les processus engagés au niveau de la BCEAO, nous avons de belles opportunités dès lors que le cadre réglementaire sera mis en place. Je pense que la finance islamique peut contribuer à diversifier et renforcer le financement du développement en Afrique. N’oublions pas que le paysage financier global est en train de changer et que certaine places financières émergentes en Asie et au Golfe deviennent très actives et que la finance islamique peut être un instrument d’accès à certaines place financières. En outre, une chose dont a n’en a pas beaucoup parlé est le lien intrinsèque entre la finance islamique et l’économie réelle, si importante pour la création de richesse indispensable au développement de l’Afrique sans parler des instruments spécifiques de solidarité sociale tels que le Waqf et la Zakat.
Dans le reste du monde, la dynamique est lancée, la finance islamique s’y installe sans avoir la prétention de concurrencer ou de se substituer à la finance conventionnelle. C’est un segment complémentaire et de diversification. C’est tout au plus une contribution du monde musulman à l’Humanité. La finance islamique n’est pas seulement un instrument pour les musulmans.
Le mot de la fin ?
Nous sommes dans une zone dynamique avec un potentiel important pour l’émergence qui est tant recherchée par nos gouvernants mais qui fait face à de multiples défis dont notamment, de manière pressante, la création massive d’emplois. Pour cela, la création de richesses, la transformation de nos économies, pour être plus productives et plus compétitives, sont un passage obligé. J’insisterais à cet égard que les services financiers islamiques peuvent modestement y contribuer de par les caractéristiques intrinsèques des produits. Il y a un principe de base dans la finance islamique, c’est qu’un actif ou une création de richesse est toujours sous-jacente à un financement. C’est une industrie qui finance l’économie réelle. Ce dont on a le plus besoin dans notre contexte économique est social. La finance islamique peut être un levier pour renforcer notre base productive et sa transformation. Prenons les banques islamiques en Turquie, un pays émergent. En regardant leur bilan, vous verrez que 85% de leurs portefeuilles sont liés à des activités productives. En outre, vous n’êtes pas sans savoir la valeur sociale de la solidarité dans notre contexte culturel en Afrique.
La finance islamique fournit des instruments tels que la Zakat, le Waqf, etc., parfaitement adaptés à nos sociétés au plan culturel et qui peuvent être des leviers puissants car à fort rendement social pour notre développement et notre cohésion sociale.
Je fais un appel à nos penseurs, hommes d’affaires pour innover à partir de notre héritage culturel. Pourquoi pas des Fonds Waqfs de micro-finance, d’emplois, d’assurance sociale villageoise, d’éducation pour les plus démunis, comme ils en existent ailleurs et qui ont prouvé leur résilience, en termes de soutenabilité et de pérennité.
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