1-La loi de finances 2020 est marquée par des innovations majeures, avec notamment la budgétisation par programme. Quels seront les grands axes de ces changements dans l’exécution des finances publiques ?
Il est vrai que le Sénégal vient d’adopter sa première loi de finances en format programme et cela n’est pas sans conséquence. En effet, il s’agit là d’une réforme en profondeur de notre dispositif budgétaire aussi bien en matière de programmation, d’exécution que de contrôle.
Pour le comprendre, c’est dire que le budget de l’Etat, jusqu’alors construit selon une logique de moyens, change ainsi de paradigme et s’adosse désormais à une logique de Gestion axée sur les résultats (GAR). En conséquence, le budget dit de moyens laisse place au budget dit de programme, construit à partir des politiques publiques, décomposées en programmes. A ces programmes, sont associés des objectifs précis, arrêtés en fonction de finalités d’intérêt général et des résultats attendus. L’atteinte de ces résultats est mesurée par des indicateurs de performance conformément aux dispositions de l’article 12 de la Loi organique relative aux Lois de Finances (LOLF). Désormais, le vote du budget se fait par programme géré par un Responsable de programme (Rprog), nouvel acteur, placé sous la responsabilité du Ministre de tutelle. Il aura en charge l’élaboration de la stratégie du programme à travers le Projet annuel de Performance (PAP), la mise en œuvre et la reddition par l’élaboration d’un Rapport annuel de Performance (RAP) transmis à la Cour des Comptes.
Par rapport à l’exécution, la deuxième grande réforme, à côté du budget programme, est la déconcentration de l’ordonnancement. En effet, le ministre chargé des Finances, qui était jusque-là ordonnateur unique du budget de l’Etat en recettes et en dépenses, va perdre ce monopole. Il va demeurer l’ordonnateur des dépenses de son propre département, des charges communes et des charges financières de la dette publique, des dépenses de personnel ainsi que celui des recettes budgétaires, des opérations de trésorerie et des comptes spéciaux du Trésor.
Par conséquent, chaque ministre sectoriel ou président d’institution va devenir l’ordonnateur principal des crédits de son département ou de son institution.
2-Le Budget 2020 a été adopté dans un contexte de consolidation de la croissance économique, en constante hausse selon le Doing Business. Comment s’est comportée l’économie nationale en 2019 et les perspectives pour 2020 ?
L’année 2019 s’est globalement bien déroulée et a été clôturée avec satisfaction comme les six dernières avec une croissance économique de plus de 6%, ce qui nous a permis de maintenir une moyenne de 6,5% sur la période 2014-2019.
L’inflation a été très faible avec 1%, très en deçà du plafond de 3% fixé par les critères de convergence de l’UEMOA. Quant au déficit budgétaire, il est maintenu à 3% en 2019, hors opération exceptionnelle de la SENELEC, contre 3,5% en 2018. Le déficit du compte courant est passé de 8,6% en 2012 à 7% en 2019.
Cette situation économique est nettement meilleure que celle héritée par le Président de la République Macky SALL. La croissance économique était de 1,5% et le déficit budgétaire de 6,8%, tandis que le déficit du compte courant de la balance des paiements s’élevait à 10%.
La gestion budgétaire 2019 est caractérisée par des performances exceptionnelles dans la mobilisation des ressources internes. Les objectifs de recettes de la deuxième Loi de finances rectificative (LFR) 2019 d’un montant de 2 561,6 milliards FCFA ont été atteints avec un glissement annuel de 555,98 milliards FCFA en valeur absolue et de 27,7% en valeur relative par rapport à 2018.
Cette mobilisation des ressources internes et la qualité de la signature du Sénégal ont permis la couverture des charges publiques. Nous avons également eu une exécution satisfaisante des dépenses.
Pour 2020, le budget est arrêté à 4224,97 milliards de FCFA, le déficit budgétaire est maintenu à 3% et la pression fiscale est attendue à 17,7% du PIB. La gestion de la trésorerie sera renforcée en 2020 avec la mise en œuvre de la Stratégie de mobilisation des ressources à moyen terme (SRMT) et une gestion active de la trésorerie à travers des interventions sur le marché monétaire et financier.
3- Peut-on s’attendre à un taux de croissance économique à deux (2) chiffres en 2020 au regard du dynamisme de l’activité économique et de l’existence d’un environnement des affaires interne plus favorable en 2019 ?
Le taux de croissance du PIB est projeté à 6,8% en 2020. Avec la poursuite de la mise en œuvre de la deuxième phase du PSE, la croissance devrait connaître une acclération, portée par l’activité dans l’agriculture, les services et une hausse des investissements dans les hydrocarbures.
Ces importantes avancées et les bonnes perspectives sont confirmées par nos partenaires. Le Conseil d’administration du Fonds monétaire international a approuvé, il y a quelques jours, un nouvel Instrument triennal de coordination des politiques (ICPE) pour le Sénégal. Pour le FMI, les performances économiques du Sénégal au cours de la première phase du Plan Sénégal Emergent ont été solides. La croissance a été robuste dans le contexte d’une amélioration de l’environnement des affaires. Les perspectives économiques restent donc favorables.
4- L’atteinte des objectifs d’émergence en 2035 contenus dans le Plan Sénégal Emergent (PSE) demeure un souci constant des autorités publiques. Le Sénégal est-il sur la voie pour concrétiser cette ambition ? Quelles sont les nouvelles orientations dégagées pour y parvenir ?
Le Président de la République Macky SALL a signé un nouveau Contrat de gouvernement avec le Peuple sénégalais, qui lui a renouvelé sa confiance en 2010. Ce contrat est articulé autour de cinq initiatives majeures : le PSE Jeunesse, le PSE Economie, sociale et solidaire, le PSE Société numérique inclusive, le PSE Vert qui vise la reforestation durable du territoire national et enfin le PSE Cap sur l’industrialisation. Il est composé de 3 nouveaux programmes sectoriels. Le programme «Zéro Bidonville», dans le cadre duquel s’inscrit le projet de construction de 100 000 logements sociaux. Le programme «Zéro Déchet» et le programme «Villes créatives» pour placer la créativité et les industries culturelles au cœur de la Cité. Il y a également 5 accès universels : à l’eau, à l’assainissement, à la santé, à l’éducation et à l’énergie.
Pour les infrastructures, nous avons construit 1 762 km de routes revêtues sur la période 2014-2018. Il y a également l’augmentation des projets de construction d’autoroutes, de corridors régionaux et internationaux, le développement d’un système de transport multimodal moderne et rapide avec la mise en service du TER en juin 2020 et le démarrage du Bus Rapid transit qui sera complété par un système de modernisation du transport urbain, interurbain, régional et international.
A cela, il faut ajouter la construction et la mise en service d’un aéroport international (AIBD) qui enregistre des bonds importants et occupe la 13ème place de tous les aéroports d’Afrique en termes de satisfaction générale des passagers et il occupe la 4ème place au classement des différents aéroports d’Afrique de 2 à 5 millions de passagers. La réhabilitation en cours des aéroports régionaux et des aéroports secondaires viendra compléter ce hub aérien qui constitue un des facteurs majeurs de l’Emergence au Sénégal.
En outre, la mise en place d’une compagnie aérienne forte qui a obtenu son TCO (Autorisation d’exploiter le ciel Européen de l’Autorité Européenne de la sécurité Aérienne) va nous permettre d’être compétitifs sur les lignes vers tous les pays membres et associés de l’Union Européenne.
Dans le domaine de l’énergie, la mise en service de nouvelles capacités a permis d’atteindre 1 130 MW en fin 2018 et le nombre de localités rurales électrifiées est passé de 1 648 à 4 583 entre 2012 et 2018, soit plus qu’un doublement en six années. Dans la même période, le taux d’électrification rurale est passé de 27 à 42,3%, soit une évolution de 15,3%.
En matière d’agriculture, les productions de pomme de terre et d’oignon couvrent les besoins nationaux sur une période de 7 à 8 mois, tandis que les exportations horticoles connaissent une hausse de plus en plus remarquable avec le développement de l’agrobusiness.
En termes d’orientation, nous allons consolider ces acquis considérables obtenus et nous orienter vers d’autres pistes avec la satisfaction de la demande énergétique avec l’exploitation rationnelle des gisements de pétrole et de gaz et poursuivre ainsi la satisfaction en quantité plus importante de la demande régionale et sous-régionale en hydrocarbures. Nous allons poursuivre les grands chantiers autoroutiers avec la construction de l’Autoroute Mbour-Kaolack et de la Côtière en partenariat public/privé. Egalement, il s’agira de mieux encadrer les ICS dans la production de phosphates, d’engrais et d’acide phosphorique et créer les conditions de décollage de la SOTEXKA et NSTS, mais aussi être en concertation permanente avec le secteur privé national qui doit davantage être mis à contribution pour diversifier et densifier le tissu industriel et contribuer à la création d’emplois pour les jeunes et les femmes. Enfin, œuvrer pour une couverture des besoins alimentaires du Sénégal et augmenter les volumes d’exportations pour l’ensemble des filières porteuses ainsi que pour les produits halieutiques qui sont déjà sur une trajectoire de succès.
Le Budget 2020 qui a été adopté par l’Assemblée nationale est une illustration parfaite des objectifs d’émergence contenus dans le PSE, puisqu’il est conforme aux orientations stratégiques déclinées dans celui-ci. Le Sénégal est effectivement sur la bonne voie de concrétiser son ambition de devenir un pays émergent. Certes, il reste encore à faire, mais nous sommes bien sur la trajectoire de l’émergence dans plusieurs domaines.
5- Malgré les assurances de l’Etat, le niveau de la dette intérieure et extérieure fait toujours l’objet de débats. Quelle analyse en faites-vous ? Doit-on s’inquiéter de leur niveau ?
Au 31 décembre 2019, le stock de la dette publique totale est arrêté à 7 339 milliards FCFA et il est projeté à 8 076,6 milliards FCFA en 2020. Le ratio d’endettement public se situe à 54,9% au terme de la gestion 2019 et est prévu à 54,5% à fin 2020, un taux qui est bien en-dessous de la norme UEMOA de 70%.
Le FMI a dernièrement procédé à l’analyse de viabilité de la dette du Sénégal. Le risque de surendettement de notre pays est passé de faible à modéré, ce qui est le statut actuel de tous les pays de la zone UEMOA. Cela s’explique essentiellement par l’extension du périmètre du champ de la dette du secteur public aux organismes publics que sont les agences, établissements publics et sociétés nationales.
Toutefois, notre pays maintient ses ratios d’endettement à des seuils viables et soutenables. Le retour à un profil de risque faible est projeté pour 2022. Ce caractère temporaire de la dégradation a un impact très limité sur les conditions de financement sur les marchés de capitaux. Il est utile de préciser que cette mesure n’entraîne pas de limitation d’endettement, autre que le respect du plafond de financement défini dans la Loi de finances.
De même, l’accès aux ressources de financement de nos partenaires classiques ne sera pas limité. La stratégie d’endettement pour les années à venir mettra l’accent sur le financement par le marché local, le choix de devises stables et la couverture contre le risque de change conformément à la stratégie d’endettement à moyen terme.
Il faut rappeler que le 02 décembre dernier, s’est tenue au Sénégal une conférence internationale sur les liens entre le Développement durable et la Dette soutenable. Cette conférence a débouché sur ce qui a été appelé le consensus de Dakar avec trois principaux points : l’endettement n’est pas mauvais en soi, il peut même être une excellente chose pour qui sait s’en servir. Ensuite, un Etat doit faire des choix judicieux dans ses conditions d’endettement, tout en ne perdant pas de vue ses capacités intrinsèques de remboursement. Enfin, le produit de l’endettement doit être utilisé, en priorité, dans des projets porteurs de croissance, générateurs d’emplois et, au final, productifs en recettes fiscales.
Si notre pays a été choisi pour abriter une conférence réunissant le FMI, la Banque mondiale, l’Organisation des Nations Unies, d’autres institutions internationales réputées, plusieurs Chefs d’Etat et des experts du monde entier, sur un tel sujet, c’est bien parce que le Sénégal est respecté, dans sa manière de gérer sa dette publique.
S’agissant spécifiquement de la dette intérieure, il y a eu des obligations impayées en 2017 et 2018, particulièrement dans les secteurs de l’Energie et des Bâtiments et Travaux publics (BTP), dont une bonne partie a été réglée par l’Etat dans le cadre de la deuxième Loi de finances rectificative (LFR) 2019 et le reste a fait l’objet d’un plan d’apurement sur trois 3 ans avec 112,6 milliards en 2020 ; 123,7 milliards en 2021 et 111,8 milliards en 2022.
6- La pertinence de cet endettement est remise en cause par rapport au choix des projets à financer et de leur impact sur la vie des citoyens. Cette critique est-elle fondée ?
Loin s’en faut. Sous la direction du Président de la République, le Sénégal mène une politique d’endettement judicieuse pour assurer la soutenabilité des finances publiques tout en favorisant le développement économique. Le recours à cet endettement résulte de notre option dans la phase 1 du PSE d’assurer des investissements à fort impact sur la croissance, l’emploi et d’offrir un cadre propice à l’investissement privé.
Il faut comprendre que la mise en œuvre de projets et programmes structurants a contribué de façon décisive aux croissances économiques records enregistrées sur la période 2014-2019, sans remettre en cause la capacité du Sénégal à faire face aux charges de sa dette.
Le recours à l’endettement s’est notamment traduit par des réalisations physiques importantes dans les secteurs prioritaires de l’économie comme les infrastructures routières, l’énergie, l’agriculture, l’hydraulique. Ces résultats qui sont visibles à l’échelle du territoire national ont requis des financements sur emprunts.
C’est dans ce cadre que le Sénégal a été présent sur le marché financier international en 2014, 2017 et 2018 pour lever des ressources nécessaires à la mise en œuvre de projets et programmes d’investissements structurants qui ont contribué de façon décisive aux taux de croissance économique records de plus de 6,5% enregistrés sur la période 2014-2019, sans remettre en cause sa capacité à faire face aux charges de sa dette, à court, moyen et long terme. Cette augmentation de la richesse nationale a été possible grâce aux réalisations physiques importantes au profit des populations.
7- La mobilisation des revenus fiscaux demeure un problème dans notre pays, malgré les efforts de communication, n’est-il pas le moment d’élargir l’assiette fiscale par des mesures de recouvrement plus actuelles, mais aussi plus contraignantes pour le contribuable ?
Sur la mobilisation des recettes fiscales et douanières, nous avons connu quelques difficultés sur le premier semestre de l’année 2019. A partir de la première LFR 2019, adoptée en juillet, nous avons pris des mesures hardies dans le cadre d’une stratégie efficace pour redresser la situation et atteindre nos objectifs de recettes et un glissement annuel de près de 25% par rapport à 2018.
Ces résultats sont le fruit d’une meilleure maîtrise de l’assiette taxable, mais surtout des réformes visant à mieux encadrer le secteur informel. Il s’agit, à ce propos, de l’application des valeurs de correction consensuelles entre les divers acteurs de l’économie et dont l’objectif est de protéger le tissu industriel local et de sécuriser l’importation de certains produits porteurs de recettes.
Les résultats satisfaisants découlent également d’un meilleur maillage du territoire tant du point de vue de la lutte contre la fraude commerciale que du point de vue du dédouanement de proximité. Cela a permis notamment de capter immédiatement à la frontière les recettes issues des importations par voie terrestre. Les efforts fournis dans la dématérialisation des procédures de dédouanement avec le déploiement de GAINDE INTEGRAL nous valent également des motifs de satisfaction dans la prise en charge de nos missions.
Cependant, dans le contexte de la transition fiscale qui sera accentuée par la Zone de libre-échange continentale (ZLECA) et la baisse tendancielle de l’aide publique au développement, les ressources intérieures sont la clé du développement durable. C’est en cela que l’élargissement de l’assiette fiscale est impératif pour la réalisation de nos ambitions d’émergence en maîtrisant le déficit budgétaire et les emprunts.
En réalité, c’est le civisme et la justice sociale qui sont en jeu quand on parle d’élargissement de l’assiette. Il s’agit de parvenir à la juste répartition des charges publiques entre les citoyens dans un cadre solidaire matérialisé par une discrimination positive au profit des couches sociales défavorisées.
A contrario, lorsque certains acteurs exigent de bénéficier de l’investissement public sans prendre leur part dans l’effort de construction nationale par le paiement de l’impôt, cela crée un déséquilibre dangereux pour tous. Le Président de la République, Son Excellence M. Macky Sall, a beaucoup insisté là-dessus lors de son adresse à la Nation, le 31 décembre dernier.
C’est pourquoi nous avons engagé un processus d’élaboration d’une Stratégie de Mobilisation des Recettes à Moyen Terme (SMRT) pour la période 2020-2025. Il s’agit de fédérer, dans un cadre cohérent, l’action des administrations financières (Douane, Impôts et Trésor) pour articuler les objectifs de recettes avec les dépenses nécessaires. Nous voulons replacer le citoyen au cœur de la construction nationale, parce que le développement n’est possible qu’avec l’acquittement conséquent de la contribution de chaque personne au financement des charges communes à travers l’impôt. Ainsi, notre stratégie d’élargissement de l’assiette consiste, d’une part, à mieux structurer l’action administrative du point de vue amiable comme coercitif et, d’autre part, à promouvoir la conformité fiscale comme une valeur citoyenne
( Fin première partie)
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