L’exercice 2016 est terminé et celui de 2017 bien entamé. Pouvez-vous revenir, pour REUSSIR, sur les chiffres-clés de la banque ?
2016 a été, pour le Crédit Agricole du Sénégal, une excellente année. Comparée à 2015, des progrès importants ont été réalisés avec un résultat bénéficiaire de 1,3 milliard FCFA, soit +71% (763 millions FCFA 2015).
Cela a permis de renforcer les moyens de la banque par une affectation de la totalité du résultat net aux réserves pour renforcer les fonds propres de la banque et ainsi mieux préparer les réformes à venir. En réalité, les réformes de Bâle 2 et Bâle 3 visent à renforcer les fonds propres des banques et créer les conditions d’une meilleure résilience du système bancaire de l’Union.
Aussi, le Total Bilan a cru de 3%, à 249,5 milliards FCFA au 31 décembre 2016, contre 242,5 milliards un an plutôt, traduisant le maintien d’une activité soutenue pour la banque. Pour les Ressources de place, la CNCAS représente entre 4 et 5%, contre 6 à 7% pour les Emplois du système bancaire national. On a recours au marché monétaire pour combler le gap entre les Ressources et les Emplois.
Par ailleurs, nous avons pu améliorer nettement le coefficient d’exploitation, qui est passé de 53 à 49%. Il faut noter que nous sommes sur une dynamique de performance, notamment au niveau du réseau avec l’option de décliner le budget global en budget par centre de profit. Chaque agence a son propre budget, obtenu à partir du budget global, aussi bien en Ressources qu’en Emplois, avec un monitoring mensuel, qui permet de voir l’atteinte ou non des objectifs. A partir du siège, les agences sont aiguillonnées, avec des indications sur les priorités, là où elles doivent mettre l’accent, de sorte qu’au mois le mois, on suit le niveau de l’activité et surtout l’évolution des indicateurs de mesure des objectifs fixés. En effet, nous avons développé des outils performants permettant de mesurer l’exploitation sur le terrain.
Nous avons surtout travaillé avec les équipes sur ce changement de paradigmes au point qu’aujourd’hui, chacun sait qu’il est évalué sur la base des résultats obtenus. Une nouvelle prise de conscience qui rassure. En même temps, il y a un vrai renforcement des capacités des exploitants et de toutes les équipes travaillant sur les différents corps de métiers tels la monétique, le marketing bancaire, les services de transfert d’argent, le recouvrement, etc.
Tout cela devrait nous permettre d’aborder les ajustements réglementaires en termes de défis posés à la profession les années à venir. La banque d’aujourd’hui évolue très vite avec notamment la digitalisation et l’utilisation accrue des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Cela nous pousse à avoir une démarche proactive vers un nouveau modèle de banque sur lequel nous devons prendre notre part, en sachant que nous sommes le banquier du monde agricole, avec nos spécificités et potentialités, pas toujours exploitées et que nous voulons valoriser maintenant…
En 2016, nous avons conclu, avec l’Agence Française de Développement (AFD), un accord de prêt de 15 millions d’Euros sur 15 ans, avec un différé de 5 ans et à un taux bas. Avec la Banque Arabe pour le Développement Economique de l’Afrique (BADEA), nous avons obtenu une ligne de financement de 10 millions USD, sur 8 ans, avec un différé de 2 ans et à des conditions acceptables.
Ces conventions de financement permettent de renforcer, avec la collecte intérieure, les ressources de la banque et de faire face à une demande importante du secteur agricole, mais aussi celle née de la diversification vers la PME/PMI qui doit monter en puissance dans notre stratégie globale réactualisée.
Quant à 2017, au premier semestre, nous sommes sur de bonnes tendances. Nous avons pu, grâce aux outils de monitoring, suivre l’activité, chaque mois. Notre particularité, ce sont des activités saisonnières, pas bien distribuées dans l’année. Cela joue sur le compte d’exploitation à fin juin, naturellement. L’essentiel des crédits distribués se fait au 2ème semestre de l’année du fait de l’hivernage et de l’activité de commercialisation des produits agricoles, financés, pour l’essentiel, à partir de juin de chaque année.
L’actualité, c’est le nouveau dispositif bâlois et le nouveau plan comptable bancaire. Quelle appréciation en faites-vous ?
Les réformes sont nécessaires, dans la banque comme d’ailleurs dans tous les secteurs de la vie économique. L’essentiel, c’est d’avoir des réformes inclusives allant dans le sens d’améliorer le financement des économies tout en permettant au système bancaire d’être plus résilient, plus fort pour répondre aux défis à venir. Mais, les réformes doivent être contextualisées et adaptées à notre environnement économique, financier et sociologique.
Il nous faut des réformes ‘smart’ que nous pouvons absorber, qui puissent aboutir à une meilleure qualité de services, avec une clientèle toujours plus exigeante. Le Régulateur doit être capable d’accompagner ce travail. Nous avons un écosystème dans lequel chaque acteur a un rôle à jouer et chacun doit pouvoir comprendre et s’aligner sur les réformes.
On craint une restriction des volumes de crédits. Comment rassurez-vous la clientèle qui appréhende les conséquences de l’application de la réforme ?
Avec les réformes Bâle 2 et Bâle 3, ce qui est nouveau, c’est que jusque-là, nous étions supervisés sur un modèle qui se concentrait principalement sur les risques de contrepartie, plus précisément les défaillances sur les crédits à la clientèle.
Aujourd’hui, on introduit deux autres types de risques : le risque opérationnel et celui de marché qui seront évalués. Chaque banque, en fonction de ses risques intrinsèques, doit faire une pondération, c’est-à-dire une affectation de fonds propres. On sent techniquement que ces réformes peuvent être lourdes de conséquences. En plus du risque antérieur, calculé avec le ratio Cooke, il y a deux autres risques. Se faisant, l’assiette d’évaluation des risques est plus élargie et plus fine. Et les exigences en termes de pondération avec des fonds propres n’en seront que plus fortes. Et le premier pilier de la réforme qui traite de l’exigence minimale de fonds propres appelle nécessairement au renforcement des fonds propres des banques. Plus ils sont importants, plus la banque aura la capacité à respecter la réglementation et donc à continuer à distribuer des crédits à l’économie. On comprend bien alors la hausse du capital minimum exigé par le régulateur pour exercer en tant que banque dans la Zone et qui est passé de 5 à 10 milliards FCFA.
Le second pilier de la réforme va conférer des prérogatives importantes au Régulateur sur ses possibilités de supervision. On va lui donner des moyens exorbitants pour assurer le contrôle et la supervision du système bancaire.
Le troisième pilier, relatif à la transparence et la discipline de marché, traite l’importance qui sera désormais accordée à la communication financière. Obligation sera faite, dorénavant, aux banques de communiquer leurs comptes sociaux, deux fois dans l’année dans des médiums publics, comme cela se fait déjà dans d’autres Zones.
La réflexion sur la baisse prétendue du volume des crédits est axée sur le fait que les banques vont devoir disposer de beaucoup de fonds propres et de qualité pour pouvoir octroyer des crédits à la clientèle publique, comme privée. La BCEAO a l’obligation de faire en sorte que les concours à l’économie ne soient pas diminués, au risque de compromettre nos objectifs de croissance macroéconomiques, quelle que soit, par ailleurs, l’obligation de régulation qu’elle doit aussi jouer pleinement.
Les banques ont besoin de faire du crédit pour faire du chiffre d’affaires. Si ces crédits sont insuffisants, elles ne pourront pas faire des revenus. De ce point de vue, les impacts sont attendus. Et si le Régulateur est trop dur, certaines banques diront qu’elles ne peuvent accorder plus de crédit, n’ayant pas suffisamment de fonds propres en couverture des risques. Dans la pratique, avant de faire du crédit, il faudra d’abord avoir les fonds propres de couverture. Heureusement, nous savons que la Banque Centrale est consciente qu’il faudra gérer une phase de transition, plus ou moins longue, selon les capacités des banques à s’ajuster.
Globalement, nous pensons qu’au 1er janvier 2018, ce ne sera pas la fin du monde, on sera là à faire notre activité de banquier. Ce sera en fin mars, fin avril 2018, suite aux premiers reportings des activités, que tout le monde, y compris la Banque Centrale, va observer très clairement l’impact de la nouvelle réglementation sur les banques.
Toutes les banques s’y préparent, la CNCAS n’est pas en reste. Elle a mis en place un Comité ad hoc Bâle 2 & Bâle 3 qui y travaille, avec comme président, le Directeur financier et comptable et toutes les directions concernées par cette réforme qui y sont représentées. Nous avons également des groupes de travail qui réfléchissent sur des thématiques spécifiques. L’activité crédit sera beaucoup impactée, de même que les procédures, les modalités de déclassement, de qualification des créances en souffrance seront revues. Pour me résumer, je retiens qu’il va falloir adapter cette réforme à notre contexte. Partout où nous sommes allés, dans d’autres Zones, nos partenaires, y compris des régulateurs, nous ont suggéré d’adapter ces réformes à notre environnement.
Inchallah, la CNCAS sera prête à l’échéance du 1er janvier 2018 !
Est-ce à dire que vous n’avez pas de problème particulier en tant que banque locale, sans un grand groupe derrière ?
Non, pas trop, c’est une question d’habitude…. Nous avons toujours été conscients que nous sommes seuls, c’est-à-dire sans maison-mère et sans partenaires stratégiques qui apporteraient des solutions toutes faites. Ce qui signifie que nous devons travailler plus que les autres. Aussi, toutes les réformes de la BCEAO, que ça soit sur les moyens de paiements, la mise en place de la monétique régionale, le Bureau d’information sur le crédit ou autres, ont été conduites en interne avec nos équipes. Nous prenons nos dispositions en mettant en place des équipes-projets qui se mettent au travail. Et c’est ce que nous sommes en train de faire pour le projet Bâle 2 et Bâle 3. Et on est dans le timing…
Avec Bâle 2 et Bâle 3, et le durcissement du système de cotations, des PME risquent tout bonnement de disparaître du fait de leur incapacité de lever des crédits. Qu’en est-il réellement ?
La cotation, en tant que telle, existe depuis toujours, même avant le dispositif bâlois qui est attendu. La cotation des risques est un mécanisme permettant aux banques de pouvoir gérer les risques sur les contreparties et dont on sait qu’elles sont des profils risques différents. C’est vrai qu’elle prendra une dimension tout autre avec Bâle 2 et Bâle 3. Les experts du Comité de Bâle ont conçu cette réforme dans une logique de renforcer plus les mécanismes de prévention des risques systémiques. En fait, ce qui s’est passé avec la crise des subprimes a montré la fragilité du système bancaire occidental. Ils disent qu’il faut anticiper, c’est-à-dire avant même la survenance de la crise, qu’on puisse la gérer en mettant des éléments de contrôle a priori qui permettent la distribution d’un crédit de qualité conforme aux normes et attentes du superviseur. Cela demande des efforts de tous les acteurs : la banque, les entreprises sur leur gestion et leur gouvernance, les particuliers, tous les emprunteurs en somme…, afin de mieux maîtriser les risques liés à l’environnement. C’est cela qui aidera le système bancaire à avoir des contreparties de qualité. Ainsi, la question du financement ne se poserait pas, du moins pas avec la même acuité.
Maintenant, il s’agit de voir comment faire pour opérer l’ajustement et le temps qu’il faut pour que tout le monde s’aligne.
Concernant l’accès des PME/PMI au crédit, c’est un défi de toujours avant même la réforme. Mais les acteurs ont ensemble mis en place un nouveau dispositif sous l’égide de la BCEAO en vue d’améliorer sensiblement le financement de nos petites et moyennes entreprises, créatrices de richesses et pourvoyeuses d’emplois.
Cependant, des efforts sont attendus des PME/PMI. En effet, le dernier recensement de l’ANSD a révélé que 95% d’entre elles sont dans l’informel. Pis, elles n’ont pas d’états financiers ni de bilans. Dans ces conditions, comment leur faire du crédit ? C’est un problème de fond qu’il faut attaquer si on veut promouvoir le crédit aux PME. Je crois que tout le monde a sa part du défi. C’est bien d’avoir la réforme, car chacun va montrer de quoi il est capable, dans l’intérêt de nos économies…
Comment procédez-vous pour maîtriser les risques, suite au fort niveau de provisionnement qui a découlé d’une mauvaise appréciation des risques ?
La maîtrise des risques sera un élément essentiel pour la réussite de la réforme bâloise. Plus que jamais, c’est à ce niveau que cela va se jouer pour les banques, dont l’activité principale est la prise de risques. Paradoxalement, nous devons en prendre plus, même si nous ne devons prendre que les bons risques. Il s’agit de savoir où se situe le bon risque ? Je reste convaincu que les défaillances notées procèdent de plusieurs causes. Certaines dépendent un peu de l’environnement économique et social. Il y a aussi le fait que nous, banques, ne connaissons pas suffisamment nos clients. Il nous faut faire l’effort de mieux les connaître. C’est très profond. A mon avis, connaître le client permet de bien faire du crédit. Nous devons les sensibiliser et les accompagner pour que, dans leurs besoins de crédit, ils puissent exprimer l’essentiel, le conduire dans les meilleures conditions. Cela permet d’avoir un niveau de dégradation des portefeuilles de crédit plus faible.
Maintenant, il y a comme un effet de cycle. Quand on est dans une phase de croissance accélérée de l’économie, avec une participation assez importante des banques, comme en 2008 avec les projets d’infrastructures et la GOANA, avec la dynamique de la commande publique qui est montée assez haut, à la fois directement sur l’Etat en termes d’emprunts, mais aussi indirectement sur les PME ayant reçu des commandes et que les banques devaient accompagner. Et malheureusement, tout cela n’a pas toujours abouti, car ne s’étant pas déroulé dans les meilleures conditions. Tout le monde se rappelle les dépassements budgétaires en 2008 où on a fait des décotes sur les créances des PME qui ont créé des problèmes d’impayés. Les PME concernées ont eu beaucoup de difficultés à honorer leurs engagements bancaires.
Chaque fois qu’il y a un boom, on fait des crédits et on en fait encore et encore… Personne ne s’attend derrière qu’il y ait une crise. Et à un moment donné, c’est comme si c’est le système lui-même qui ne peut plus digérer et certains équilibres ne s’autorégulent plus. Après, il faut des ajustements pour revenir à la situation normale. C’est un peu la situation actuelle, mais le contexte a changé. L’Etat a un projet très ambitieux (PSE) et souhaite un accompagnement du système bancaire et des partenaires au développement. Mais, compte tenu des enjeux et des réformes, les banques sont conscientes que plus jamais, ce qui s’est passé ne devrait plus se reproduire…
Il faut le reconnaître qu’il y a eu des défaillances, liées indirectement au fait que la puissance publique n’a pas pu respecter les engagements pris, dans les délais. Et en période de crise, les délais de règlement s’allongent pour tout le monde. Et c’est toute la pertinence d’avoir des politiques économiques vertueuses qui ne génèrent pas de la non-performance après, parce qu’on ne peut pas s’imaginer les banques n’accompagnant pas une économie en croissance, alors que si on fait beaucoup de non-performance, cela se traduira par des provisionnements…
Maintenant, nous concernant, nous sommes dans un secteur particulier, l’agriculture, où on peut faire une excellente année en termes de pluviométrie et s’il ne pleut pas l’année suivante, c’est sûr qu’on prendra notre part d’impayés. Dans ce cas, que faire ? Il y a cette problématique qui nous interpelle au quotidien. Heureusement, l’Etat est là quand c’est nécessaire. L’Etat doit pouvoir soutenir cette population qui n’a pas choisi d’être agriculteur, mais qui fait partie du pays et fait face à des situations difficiles relevant de situations qui les dépassent. C’est souvent des sinistres relevant d’un déficit de pluviométrie, des attaques d’oiseaux granivores… et là, c’est l’Etat qui est interpellé.
La suite de l’entretien à retrouver dans le magazine
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