Comment analysez l’évolution de la question de la gestion du pétrole et du gaz au Sénégal en 2019, la nature des débats ?
Depuis 2014, année durant laquelle les premières importantes réserves de pétrole et de gaz ont été découverts au Sénégal par les compagnies d’exploration telles que Kosmos Energy et Cairn Energy, le débat s’est installé avec beaucoup de passion, d’interrogations, de suspicions (liée au rôle de Monsieur Aliou Sall et de Frank Timis dans l’acquisition des contrats) et surtout d’extrapolation.
Le Code pétrolier de 1998 avait pour objectif d’attirer les investisseurs, il avait donc beaucoup d’avantages en leur faveur pour leur permettre d’injecter assez de ressources dans l’exploration qui il faut le dire coûte excessivement chère. Depuis les annéées 1960 à nos jours plus de 170 puits ont été forés et seul une quinzaine ont eu des résultats satisfaisants dont ceux de Grand Tortue Ahmeyim (GTA) d’une capacité gazière de estimée plus de 450 milliards de mètres cube (m3), Kayar Offshore Profond, 150 milliards de mètres cubes (m3) et de Sangomar estimé à 563 millions de barils.
L’étendue des découvertes et leurs importances ont eu pour conséquence de nous projeter vers une nouvelle orientation économique avec l’exploitation du gaz à Saint-Louis et du Pétrole à Sangomar. Nous sommes ainsi entrés dans la cours des géants africains en perspectives de l’exploitation de ces hydrocarbures.
Il fallait donc au gouvernement de revoir sa politique et de planifier quant à la gestion de ses revenus pétroliers et gaziers d’où d’abord la mise place par le Président de la République du Comité d’orientation Stratégique pour le Pétrole et le Gaz (COS-PETROGAZ) afin de définir une politique dans la gestion des hydrocarbures. La mise en place de ce comité a abouti à l’adoption d’un nouveau code des hydrocarbures ainsi qu’une loi sur le contenu local au courant de Janvier 2019. Ces nouveaux codes préservent en général, l’intérêt du Sénégal et mettent l’accent sur la participation des entreprises nationales et sénégalaises dans la gestion de ces ressources importantes.
Il est a souligné que la société civile a beaucoup mis l’accent sur les inquiétudes des populations qui seront impactées par l’exploitation du pétrole et du gaz plus particulièrement ceux qui vivent de la pêche artisanal à Sain-Louis, Kayar et Joal. Une certaine psychose s’est installée auprès des communautés qui essayent d’attirer elles aussi l’attention des autorités sur les impacts négatifs d’une telle exploitation sur les ressources halieutiques qui deviennent de plus en plus rares. Et c’est dans ce cadre que les populations de Kayar ont mis en place, avec l’appui de OSIDEA, la plateforme Kayar Vision Future afin d’anticiper sur les impacts et voir comment tirer un profit économique de cette manne gazière.
Il est donc très sain d’avoir le débat pour que toutes les clarifications soient apportées avant le début effectif de l’exploitation. C’est pourquoi nous avons organisé une table ronde entre la société BP et la Société Civile pour renforcer les connaissances des uns et des autres autour du projet GTA.
Comparé à d’autres pays de la sous-région ou d’ailleurs les pas posés par le Sénégal présagent-ils d’une gestion transparente de la manne pétro gazière ? A-t-on assez de garde-fous pour éviter le syndrome nigérian?
Notre chance aujourd’hui c’est d’avoir une société civile très impliquée dans la gouvernance des ressources minérales en général et des ressources minières plus spécifiquement. N’oublions pas qu’avant le pétrole et le gaz, les problématiques liés à l’exploitation minière ont beaucoup fait débats au Sénégal et l’implication des parlementaires à partir de 2014 avec la mise en place du Réseau des Parlementaires pour la Bonne Gouvernance des Ressources Minérales (RGM) en collaboration avec OXFAM, PCQVP, le Forum Civil, ONG 3D, Fondation Ford, OSIWA et autres ont abouti à une révision inclusive du Code minier en 2016 et une meilleure appréciation du travail du comité national pour l’Initiative pour la Transparence dans le secteur Extractif (ITIE).
Partant de cette expérience nous pouvons dire que le Sénégal à l’avantage d’avoir des ressources humaines de qualité et qui ont le sens de la responsabilité pour pousser l’Etat à entreprendre une gestion transparente des revenus pétroliers et gaziers.
Il faut noter que l’implication des politiques dans le combat de la transparence des contrats autour de la plateforme Aar li Niu Bok a eu des effets positifs dont l’implication de la justice pour faire la lumière dans le cadre de ce dossier.
Dans d’autres pays en Afrique, les populations ont dû subir pendant des années le diktat des leaders politiques avant d’être conscients de la dilapidation de leurs ressources. Aujourd’hui le Nigéria, le Ghana et d’autre pays ont dû tirer des leçons de la mauvaise gestion de ce secteur et ont dû prendre des mesures par voie parlementaire pour essayer d’améliorer la gouvernance. Le Tchad ainsi que le Gabon sont une catastrophe mais nous, ici au Sénégal, malgré tout nous anticipons sur ces questions cruciales afin d’éviter la malédiction du pétrole. Les dirigeants ont dû faire beaucoup de bench marking et ont été obligés de dialoguer avec la société civile et les différentes parties prenantes pour essayer de les rassurer.
Ce qui est une bonne démarche même si il faut implication des parlementaires et que les contrats pétroliers et gaziers passent par l’Assemblée Nationale, qui a en charge le suivi des politiques publiques, afin de nous assurer que l’intérêt socio-économique du pays est préservé.
Mais nous ne sommes pas à l’abri parce que le contexte géopolitique et fragile et la montée de l’extrémisme dans la sous-région peut impacter sur la gestion de ces ressources naturelles.
Avec votre expérience dans le domaine, quelles améliorations juridiques peut-on apporter au dispositif législatif sénégalais pour plus de contrôle dans la gestion de la manne tirée du pétrole et du gaz ?
Je pense que le cadre juridique avec le nouveau Code pétrolier est bien campé. Nous avons aussi la loi sur le contenu local et le projet de loi gazier est en cours. On peut tous les améliorer à l’avenir tenant compte peut être de nouveaux facteurs en cours d’exploitation. La loi n’étant pas statique, des amendements peuvent être apportés çà et là. C’est une expérience nouvelle pour le Sénégal même si le gaz est exploité depuis des décennies par la société Forteza.
Le vrai combat et dans la mise en œuvre des décrets d’application de la loi sur le contenu local. L’exploitation comprenant trois phases : upstream, midstream et downstream, il y a différents régimes pour les sociétés qui veulent participer dans l’exploitation des hydrocarbures et qui se différencient par leurs expériences au niveau international. En amont (upstram) c’est généralement des sociétés étrangères qui ont des capacités techniques et financières assez énormes qui entre en jeu. La quasi-totalité des entreprises sénégalaises ne peuvent intervenir à ce niveau. Elles peuvent par contre intervenir dans le niveau intermédiaire pour le transport et autres services en haute mer (middle stream qui correspond à une régime mixte) où en aval ( downstream) qui correspond à un régime exclusif qui est réservé aux entreprises nationales qui intègre les prestations intellectuelles, les assurances, le management administratif etc.
C’est à ce niveau qu’il faut veillé à définir ce qu’est une entreprise sénégalaise et une entreprise nationale. Quels pourcentages les sénégalais déteindront –ils dans ces différentes sociétés ? Comment va s’opérer le mode de transfert technologique afin que des sénégalais dans l’avenir aient l’expertise requises pour fournir certaines prestations. Comment créer une taxe para fiscale qui sera exclusivement dédiée aux entreprisses communautaires afin qu’elles puissent intégrer la chaîne de valeur de l’écosystème de l’économie pétrolière et gazière.
L’Etat, à travers le ministère de l’énergie et le COS-PETROGAZ, travaille de manière inclusive pour une bonne mise œuvre du contenu local et c’est pour cette raison que le Conseil National pour le Contenu Local (CNSCL) va être mis sur pied pour veiller à la bonne gestion des ressources mais surtout que les entreprises sénégalaises puissent en tirer profit.
Il y aurait probablement une loi sur la répartition des revenus. Cette loi aura est déterminante dans la gestion de la manne financière parce qu’elle aura à définir les secteurs prioritaires dans lesquels nous allons investir les ressources financières tirées du pétrole. Il est aussi prévu dans le cadre de cette loi le fond pour les générations futures. A ce stade cette loi est encore embryonnaire.
Le gouvernement vente le concept de « local content » pour rassurer les Sénégalais sur le fait qu’ils ne seront pas exclus des marchés et emplois liés aux métiers du pétrole et du gaz mais avons-nous les ressources humaines adéquates en qualité et en quantité ?
De mon point de vue les ressources humaines sont disponibles. Les sénégalais sont présents dans beaucoup de secteurs stratégiques dans le monde y compris le secteur des hydrocarbures. La question est de savoir est ce que l’Etat aura les moyens de bien mettre en œuvre le contenu local et éviter les pièges des grandes compagnies pétrolières qui vont essayer de récupérer le maximum de leurs investissements souvent en surfacturant l’achat du matériel d’exploitation et dans les coûts de production.
J’aurais plutôt suggéré au président de la république de mettre en lieu et place du Conseil National de Suivi du Contenu Local (CNSCL) une agence à l’image de l’ARTP et qui sera l’Agence de Régulation du Contenu Local (ARCL) et qui sera une autorité administrative indépendante capable de faire non seulement le suivi, mais de sanctionner sévèrement tout en boostant les entreprises sénégalaises à travers le Fond d’Appui du Contenu Local. Aujourd’hui l’ARTP gère le Universel des Télécommunications, il faut juste reprendre le même dispositif et veiller à ce que les marchés et les emplois liés aux métiers du pétrole et du gaz dans le cadre du contenu local, reviennent aux sénégalais.
Les prémices d’une bonne gestion de nos ressources sont déjà jetées avec la création de l’Institut National du Pétrole et du Gaz (INPG) mais à lui tout seul il ne pourra pas faire face à toutes les formations dont le secteur a besoin.
Des réformes majeures devraient être engagées dans le secteur de l’Education, de l’Enseignement supérieur et de la formation professionnelle pour repenser la vision socio-économique de notre développement. La baisse des coûts de l’électricité à travers le programme Gaz to Power aura pour conséquence immédiate la relance de l’agrobusiness et offrira l’opportunité aux différents secteurs de créer de PME-PMI qui pourront acheter des technologies de pointe pour être plus compétitifs sur le marché. La priorité sera la formation professionnelle et non l’enseignent général.
Nous devons très vite apprendre à faire la transition économique pour diversifier notre économie à l’image de Dubai et pour cela il faut une réelle volonté politique et une administration complétement réinventée, l’Ecole Nationale d’Administration (ENA) devra revoir ses curricula, pour répondre efficacement aux urgences qui nous attendent
Quelle politique doit mettre en place l’Etat pour justement promouvoir le transfert de technologies et de compétences des grandes compagnies qui vont exploiter le pétrole au Sénégal afin de créer une masse critique de Sénégalais capable de faire tourner la machine même sans les majors?
Comme j’ai eu à le dire il faut mettre en place une politique qui va privilégier la prise de participation des sénégalais dans le capital des entreprises nationales afin que tout investisseur étranger qui veut participer dans l’exploitation de nos ressources soit obligé de travailler avec nos ressources humaines.
Faire en sorte que le transfert de technologie soit effectif au bout d’un certain nombre d’année et que le management des entreprises soient composées à plus de 80% de sénégalais. Nous ne pourrons pas, nous tous, trouver du travail dans ce secteur qui est très complexe, mais nous pouvons créer les conditions pour qu’ils impactent directement ou indirectement d’autres secteurs et plus spécifiquement celui de la recherche dans un sens large (technologie, environnement, santé, agriculture, élevage).
Le réel développement c’est quand nous parviendrons dès le début à mettre en marche des entreprises communautaires qui pourront absorber des parts de marchés au niveau local allant de 25 à 50 millions. Ainsi le pouvoir d’achat local boostera la chaîne de valeur économique et une masse critique de sénégalais sera capable de faire tourner la machine économique non seulement au niveau national mais surtout sous régional. Il ne faut surtout pas occulter l’importance de l’investissement au niveau des infrastructures routières, ferroviaires, portuaires et aéroportuaires.
Le Président de la République qui sera élu en 2024 aura fort à faire pour mettre cette vision en marche. Si par extraordinaire Dieu me confie les reines de ce pays, la première chose que je ferai est de m’entourer de toutes les compétences requises. 2024 sera une transition économique majeure pour notre cher Sénégal et nous nous devons de préparer toutes forces vives pour ne pas rater le grand virage
Abordez la question du pétrole et du gaz sans prendre en compte celle de la préservation de l’environnement serait une grande erreur. Comment analysez-vous l’approche Sénégalaise, si elle existe ?
En effet ce serait une grande erreur. En tant qu’ancien membre du Réseau des Parlementaires pour la Protection de l’Environnement du Sénégal (REPES) et ayant levé au nom du réseau prêt de 400.000 euros pour renforcer la loi sur la reforestation, les impacts environnementaux me tiennent à cœur.
C’est pourquoi lors de l’étude lancée par notre observatoire sur la transition des jeunes et des femmes vers les métiers du pétrole et du Gaz à Saint Louis et à Kayar, nous avons pris en compte la dimension environnementale. C’est après avoir écouté les pêcheurs de KAyar exprimer leurs torpeurs et leurs inquiétudes que nous avons décidé de les accompagner pour mettre en place une plateforme qui portera le plaidoyer sur la protection des ressources halieutiques durant l’exploitation du GAZ même si celle-ci se trouve à 110 km des côtes.
Ce même impact psychologique est ressenti à Saint-Louis où les pêcheurs font à l’inconnu. L’Etat, en collaboration avec BP et l’Université Gaston Berger, doit mettre un centre environnemental technologique pour le suivi des impacts sur les ressources maritimes et qui annuellement fera l’inventaire du littoral pour avoir une bonne appréciation des changements possibles qui peuvent affecter notre pêche.
Les défis majeurs sont devant nous mais j’ai bon espoir que nous pourrons exploiter nos ressources et faire en sortes que les revenus soient partagés équitablement avec les populations qui sont aujourd’hui dans l’expectative.
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