Si se former est une chose, accéder à un emploi décent en est une autre. Et c’est, sans doute, le plus difficile de nos jours. Ce qui repose, avec acuité, la question de l’adéquation entre les offres de formation et les demandes du marché de l’emploi.
Selon une étude de la Banque Mondiale, publiée il y a deux ans, au Sénégal, seuls 35% des étudiants du Supérieur sont inscrits dans des domaines demandés sur le marché de l’emploi. Autrement dit, 65% des formations dispensées ne sont pas demandés par le marché. Pis, selon Professeur Pape Guèye, Secrétaire Exécutif de l’Autorité Nationale pour l’Assurance Qualité de l’Enseignement Supérieur (ANAQ-SUP), une autre étude très récente, sur l’alignement de la formation sur les besoins du PSE, révèle que le Sénégal est encore à +65% de chômage des diplômés du Supérieur. «Soit, ils ont des compétences pas en adéquation avec le milieu du travail ou elles sont insuffisantes», révèle-t-il.
Un diagnostic qui interpelle tous les acteurs. Comme le reconnaît Aboubacar Sy (SUPDECO), pour qui, les écoles doivent répondre à la demande du marché. «Quand nous lançons une filière, c’est en fonction d’une demande implicite ou explicite. Nous ne pouvons pas ne pas nous adapter. Si vous ne le faites pas, vous formez des chômeurs. Aujourd’hui, la problématique de la formation, ce n’est plus d’acquérir les techniques de management, ça c’est fini ! Avec Internet, quelqu’un de motivé peut apprendre tout cela. Il faut former des hommes, des cadres capables d’incarner des valeurs», reconnaît-il.
Malgré les nombreux efforts entrepris ça et là, comme l’introduction du système LMD, il y a un besoin de professionnalisation à tous les niveaux et une approche par les compétences avec des référentiels de formation qui sont définis ensemble par l’entreprise et les établissements. Professeur Guèye trouve «faible» le taux d’atteinte des standards. Car, soutient-il, il y a beaucoup plus de théorie que de compétences réelles acquises.
Les filières techniques pour relever le défi
«On ne peut pas relever le défi de l’emploi en laissant de côté les filières techniques. Il faut que la formation prenne conscience de la nouvelle dimension de l’entreprise.» Ce diagnostic de M. Didier Acouhetey, patron d’Africsearch et organisateur des Salons de recrutement AfricTalents, témoigne, à suffisance, de l’urgence, pour les écoles de Commerce, de s’adapter aux nouvelles réalités.
Mais, selon Moustapha Guirassy (IAM), les écoles de Commerce doivent être plus lucides et avoir moins de complexe à se connecter, sans aucune faiblesse, au quotidien des populations et pas seulement aux seules et rares entreprises formelles du pays ou du continent. «Les questions liées à l’élevage, la pêche, l’agriculture,… les défis sociaux et environnementaux doivent être au cœur des préoccupations des enseignements. C’est ainsi seulement que l’éducation sera inclusive et impliquera le maximum d’acteurs et d’intérêts», diagnostique-t-il.
Une tâche qui s’annonce quand même assez ardue. En effet, à l’ANAQ-SUP, +67% des bacheliers ont un Bac L (Littéraire). Ce qui rend, a priori, la ruée vers les filières techniques presque impossible. «Il y a ce besoin urgent de mettre, dès le moyen-secondaire, le focus sur les Sciences, technologies, mathématiques… Après le Bac, c’est un peu trop tard», estime le Professeur Guèye.
Toutefois, même si le nombre de bacheliers scientifiques reste encore faible, il n’en demeure pas moins qu’ils représentent quand même près de 30%. Mais ils semblent échapper aux établissements d’enseignement supérieur privé.
La formation des formateurs en question ?
Si beaucoup estiment que les filières de formation doivent être adaptées aux besoins pressants de l’entreprise, il se pose aussi la question de l’évolution perpétuelle de la demande du marché.
Selon Mme Yaye Astou Thiam Tall (ETICCA), si le secteur rencontre encore ces difficultés d’adéquation, c’est parce qu’il y a une insuffisance de formateurs qualifiés et un recours quasi-automatique à des enseignants issus des universités, sans vraie expérience du monde professionnel. «Il est possible de remédier à ces problèmes, mais il est impératif de revenir aux fondamentaux, à savoir : remettre l’ingénierie pédagogique à sa place. Les écoles doivent concevoir des parcours sur mesure, adaptés aux exigences des entreprises et qui prendraient en compte leurs mutations perpétuelles. Accorder plus de place aux approches par les compétences, aux techniques d’apprentissage in situ (au sein des entreprises), favoriser chez l’apprenant l’autonomie qui regroupe la capacité à diagnostiquer une situation et à proposer une solution adaptée…», estime-t-elle.
Didier Diop (SUP’INFO) abonde dans le même sens, en prônant une synergie entre l’Entreprise, les Ecoles et l’Etat. «La relation avec l’Administration doit être améliorée. On est dans un flou en termes de reconnaissance, d’équivalence et d’accompagnement. La Direction de l’Enseignement Supérieur fait des efforts, mais il faut qu’on agisse ensemble, en harmonisant nos efforts», soutient-il.
Selon ce responsable des Ressources Humaines d’une société de la place, il y a un réel déséquilibre en termes de niveaux des produits qu’ils reçoivent en stage. «L’idéal pour une entreprise, c’est de recruter un jeune, mais encore faudrait-il qu’il soit compétent. La remarque, à quelques exceptions près, c’est leur niveau assez faible. D’ailleurs, on préfère débaucher des compétences affirmées. Est-ce l’école qui est en cause ? En tout cas, le constat est que la formation est encore trop tournée vers la théorie», diagnostique-t-il.
Dans le même sillage, M. Djimbira, Formateur en Communication à SUPDECO, est convaincu qu’il reste encore à faire. «D’après l’UNICEF, 2 étudiants sur 10 restent en Europe après leurs études, ce n’est pas négligeable. Il faut, chez nous, que les vrais acteurs viennent dans les écoles pour partager leurs expériences. M. Amadou Niang, ancien ministre du Commerce, après son mandat, est venu enseigner dans les écoles, et c’est un exemple à encourager», dit-il. Non sans reconnaître qu’à elles seules, les écoles ne peuvent résoudre le problème. C’est pourquoi, il préconise la création d’incubateurs à confier à des professionnels. «Il faut que nos écoles comprennent ce qui se fait à l’international. Aujourd’hui, près de 50% des programmes sont dispensés en Anglais, on est en retard dans ce domaine. Il y a la micro-finance et d’autres choses qui bougent mais que les établissements n’ont pas encore suffisamment intégrées», lance-t-il.
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