«Je jure devant Dieu et le peuple malien de préserver, en toute fidélité, le régime républicain, de respecter et de faire respecter la Constitution et la Loi, de remplir mes fonctions dans l’intérêt supérieur du peuple, de préserver les acquis démocratiques, de garantir l’unité nationale, l’indépendance de la patrie et l’intégrité du territoire national. Je m’engage solennellement et sur l’honneur à mettre tout en œuvre pour la réalisation de l’unité africaine.» C’est en ces termes que le nouveau Président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, conformément à l’article 37 de la Constitution du Mali, a prêté serment ce 4 septembre devant la Cour Suprême, à Bamako. Elu le 11 août 2013 avec «une majorité claire et nette» de 77,62%, il avait auparavant reçu, au cours d’une courte cérémonie de passation de service, les grands dossiers de la nation des mains du Président par intérim, Dioncounda Traoré.
Retour sur une élection historique
L’élection du «Mandé Massa» (prince du Mandé), Ibrahim Boubacar Keïta dit IBK, marque en quelque sorte, le «retour du pouvoir à la maison». Le petit-fils de Soundiata, roi du Mandé, est «né pour gouverner». Gouverner et rien d’autre, quels qu’en soient l’âge et l’endroit qui l’a vu naître. Ambassadeur, Ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Premier Ministre, Président de l’Assemblée nationale… Le titre de Président de la République était le seul grand titre de ce 21e siècle qui manquait dans son palmarès. Une grande différence de voix entre lui et son adversaire Soumaïla Cissé, pourtant candidat malheureux en 2002 face à Amadou Toumani Touré, le président déchu le 22 mars 2012. En effet, sur un total de 3,034 millions de suffrages valablement exprimés, IBK en obtient plus de 2 millions, soit 77,62% contre 679 069 (22,28%) pour Soumaïla Cissé.
Cette victoire sans bavure du 3ème Président de la République, démocratiquement élu, est considérée, aujourd’hui, comme celle du peuple malien. Un peuple révolté et impuissant face à l’affront des groupes armés de tous acabits dans le septentrion du pays. Pour laver cet affront, le candidat IBK a su conquérir le cœur et les esprits de ses concitoyens à travers le slogan «Le Mali d’abord», inventé par le leader de l’ex-junte, le capitaine Amadou Haya Sanogo, promu Général. En empruntant cette expression fétiche pour rétablir «l’honneur et la dignité du Mali», le président du parti Rassemblement pour le Mali (RPM) ne pouvait que bénéficier de la confiance des Maliens, désabusés par une crise qui n’a que trop duré. D’où leur mobilisation exceptionnelle lors de ces élections avec un taux de participation de 48,98% au 1er tour et 45,78% et 48% au 2nd tour. En plus de cette forte mobilisation des Maliens et cette brillante élection, il y a deux hommes qui auront agréablement surpris le monde entier. Il s’agit du Président par intérim, Dioncounda Traoré, pour son esprit de dépassement durant toute cette crise, et du Candidat Soumaïla Cissé, pour sa nouvelle forme de félicitation innovée après le 2nd tour. Un geste élégant qui a permis au Mali de faire l’économie d’une crise post-électorale, sport favori des vaincus en Afrique. Cela a augmenté le crédit que la communauté internationale et l’ensemble des observateurs avisés ont fait au Mali. «Bravo le Mali. Aucune bavure dans la mouvance électorale», comme dirait l’autre. «Le vin est tiré, il faut maintenant le boire», pourrait-on ajouter.
Pages sombres et défis de la reconstruction
Après le départ des islamistes et l’élection d’IBK à la Présidence, le Mali se doit d’aller sur de nouvelles bases. Nouvelles bases démocratiques et nouvelles assises dans le cadre de la coopération bilatérale et multilatérale. Le nouveau gouvernement doit mobiliser les 3 milliards d’euros promis à la Conférence de Bruxelles afin de poser les nouveaux jalons de son développement. L’Ecole, la Santé, la Sécurité alimentaire, les Infrastructures routières… sont quelques-unes des priorités auxquelles IBK doit faire face. S’y ajoute la restauration de l’autorité de l’Etat au nom de laquelle le coup d’Etat militaire, dirigé par le capitaine Amadou Haya Sanogo, avait été orchestré. A 3 semaines de l’élection présidentielle, ce coup de force de la junte a sombré le pays dans une situation inconfortable. Il s’en est suivi l’occupation des groupes islamistes du Mouvement pour le Djihad et l’unicité en Afrique de l’Ouest, aidé par Boko Haram et AQMI après les premières attaques rebelles en janvier 2012. Les deux tiers du pays ont été occupés par les groupes armées qui, d’une part, demandaient l’indépendance de la partie occupée et, d’autre part, l’application de la Loi islamique. Le Mali, devenu donc sanctuaire des groupes islamiques, était au centre de tous les débats à travers le monde. Le péril planait sur l’ensemble des pays du Sahel. Le Mali, «humilié» dans son intégrité, a fait appel à la communauté internationale. Avec donc le soutien de la France et de l’Afrique, les groupes armés ont été bousculés vers les frontières voisines. La communauté internationale a crié victoire. La menace terroriste a faibli, mais la question sécuritaire reste encore d’actualité. D’où la justification du déploiement de la force onusienne dans le pays. La Mission des Nations Unies est là pour la sécurisation du pays, l’application de l’Accord d’Alger signé entre le Mali et le MNLA et la restauration du processus démocratique. Cette dernière question ne peut avoir une réponse favorable que lorsque la population malienne, sortie massivement, pour exprimer sa volonté de redonner à la démocratie la place qui lui revient. Cette même population devrait jouer le jeu de la lutte contre la corruption devenue «une tradition» dans le pays. «Il n’est pas rare d’entendre dire qu’une personne est maudite lorsqu’elle occupe des postes de responsabilité et ne fait rien au-delà de son salaire», s’indigne Mamadou Tamboura, jeune fonctionnaire malien.
Soliloque d’un jeune Malien à IBK
Le jeune ingénieur statisticien malien basé à Dakar, Sidiki Guindo, qui avait prédit la victoire d’IBK à travers plusieurs sondages d’opinions, avise le nouveau Président. D’abord, qu’il sache que ce n’est pas un simple fauteuil qu’on vient de lui remettre, mais un ensemble de défis à relever. «A mon avis, actuellement, les attentes du peuple malien sont largement supérieures aux capacités réelles du pays, donc le risque de déception est grand.» Ensuite, qu’il sache choisir ses collaborateurs. «Mieux vaut être seul que mal accompagné. Parmi ceux qui le suivent aujourd’hui, il y en a certainement qui ne guettent que leurs propres intérêts.» Aussi, qu’il accorde une place importante à la statistique en particulier et à la quantification des phénomènes en général. Avec un tableau de bord en début et en fin de mandat pour lui permettre de mesurer ses efforts, pendant les 5 ans qu’il va passer au pouvoir. Il est aussi important de mesurer, de manière périodique, l’opinion publique sur les différentes actions menées par le gouvernement et ne pas se limiter aux laudateurs. Ensuite, il recommande au nouveau président d’«éviter l’erreur monumentale, commise dans beaucoup de pays africains, précisément l’ingérence illégale de la famille nucléaire (souvent à travers la Première Dame) dans des affaires internes de l’État. Celle-ci doit continuer de vivre sans se mêler des affaires internes de l’État. Notre pays a connu assez de dérapages dans ce sens».
Quelle contrepartie pour la communauté internationale ?
Les Maliens sont curieux de savoir quelle sera la contrepartie de la communauté internationale dans la gestion de crise malienne. Pour la première fois, toute la communauté internationale et des partenaires bilatéraux et multilatéraux d’un pays en conflit ont fait l’unanimité pour traquer le terrorisme et le narcotrafic. Cette victoire contre ces deux phénomènes suffit-elle comme récompense de la communauté internationale ?
Le Mali a-t-il signé des accords en douce avec la communauté internationale, en multilatéral et la France en bilatéral, surtout à propos de la question touareg et la gestion du Nord ? Autant de questions cruciales qu’on pose dans les discussions à Bamako.
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