
Pour la célébration des 20 ans de la Dévaluation du franc CFA, REUSSIR pose le débat sur le bilan sur les résultats de cet ajustement monétaire mais surtout sur les perspectives de l’arrimage du FCFA par rapport à l’euro. Par incidence, on s’est interrogé sur les questions de politique monétaire liées à la parité fixe, au change fixe mais ajustable, au change flottant, au placement des réserves de change au niveau du Trésor français sans compter les questions de croissance et de compétitivité de nos économies, notamment en termes d’exportation…
Pour ouvrir le débat, Mamadou Lamine Diallo, économiste et financier de renom, soutient que la dévaluation du franc CFA n’a pas résolu la question de la compétitivité de nos économies et qu’il faut désormais tendre vers une monnaie ouest-africaine, voire continentale, pour faire face aux multiples enjeux de l’émergence et de la mondialisation.
Quel bilan peut-on faire de l’évolution du franc CFA depuis sa création jusqu’à la veille de la dévaluation et un peu les raisons qui ont poussé à cet ajustement monétaire ?
Le bilan ? Ce serait assez long à faire, le franc CFA ou son ancêtre a été créé au 19ème siècle. Mais, ce qu’il faut retenir, à la veille de la dévaluation, nous étions arrivés à un niveau très faible des réserves de change dans la zone franc dans son ensemble. Il faut dire que le système du FCFA était basé, à l’origine, sur la libre convertibilité entre le FCFA de l’UMOA, celui de la BEAC et celui des Comores. Depuis 1993, cette disposition a été supprimée. Dans la zone franc, les pays mettent en commun leurs réserves de change, à hauteur de 75%, puis maintenant à 50%, dans un compte d’opérations du Trésor français qui est rémunéré bien entendu. La France garantit à ces pays la faculté de disposer des devises autant qu’ils le souhaitent et leur garantit également un taux de change fixe vis-à-vis de sa propre monnaie, le Franc français, puis l’euro, à condition que leurs réserves de change couvrent au moins 20% des engagements à vue.
A la veille de la dévaluation, pour la première fois, dans l’ensemble de la zone, les réserves étaient bien en dessous de 20%. Donc, la France, au lieu de leur faire des prêts pour relancer leurs économies, a préféré plutôt une dévaluation de 50% du FCFA. Il faut rappeler que dès la fin des années 70, les Etats ont commencé à avoir des déficits budgétaires qu’ils ne pouvaient plus financer et à accumuler des arriérés intérieurs et extérieurs. C’est la raison pour laquelle dès 1979, le Sénégal d’abord, puis les autres pays sont entrés dans des formes d’ajustement structurel avec le FMI et la Banque mondiale ; le FMI pour soutenir les balances des paiements des Etats. Il y a eu une période d’ajustement interne, très longue et douloureuse. On a cherché à baisser le niveau général des prix pour rendre les économies plus compétitives et obtenir des devises. Ce qu’on n’a pas pu obtenir.
Le dernier acte en 1993, c’était le Plan Sakho-Loum avec une diminution du salaire des fonctionnaires qui n’a pas été accepté par les secteurs sociaux. C’est pourquoi, on s’est résolu à dévaluer le FCFA de 50%. Maintenant, on peut aller plus loin et voir pourquoi nos économies n’ont pas été performantes mais c’est un autre débat… On peut dire, sur la longue période, que les pays de la zone franc restent sous-développés et leur niveau de croissance économique est resté quasiment égal à celui de leur croît démographique.
Sur ces 20 dernières années, peut-on dire que les objectifs visés par la dévaluation ont-ils été atteints ?
Les objectifs étaient doubles. A court terme, rétablir l’équilibre des finances publiques et à moyen et long terme, rendre l’économie plus compétitive et relancer l’économie par les exportations.
Concernant les finances publiques, leur rétablissement a été assez rapide. Dès 1998/ 1999, l’Etat du Sénégal a accumulé des surplus budgétaires et il n’y avait plus d’arriérés intérieurs. Le niveau de la dévaluation était si élevé qu’il a accru automatiquement les recettes de l’Etat. Du moment que le gouvernement a réussi à contenir les dépenses, on est arrivé à contenir le déficit budgétaire moyennant quelques apports des partenaires extérieurs. Le niveau d’inflation est passé de 30% en 1994 à 5% en 1995 et c’est revenu à ses niveaux historiques, relativement bas.
L’autre aspect, c’est la compétitivité de l’économie qui ne s’est pas bien passée. Aujourd’hui, le Sénégal a une balance commerciale extrêmement déficitaire. On exporte pour 1000 à 1100 milliards contre 2500 milliards d’importations. Aussi, le déficit du compte courant reste très élevé, environ 10% du PIB. Il n’y a pas de secteurs à l’exportation qui se sont développés…
Au contraire, les secteurs traditionnels tels l’huile d’arachide, l’acide phosphorique, la pêche et le tourisme sont en train de décliner. Les secteurs qui ont pris le relais de la croissance, c’est plutôt les télécommunications, le BTP et le commerce avec la libéralisation des prix. Sur les télécoms, le ministre Pape Ousmane Sakho et le président Diouf ont été visionnaires en libéralisant le secteur et en ouvrant le capital de Sonatel. Ça a permis à la croissance économique sénégalaise de franchir un palier historique, de 3% à 5% jusqu’à 2004-2005. Mais ce ne sont pas des secteurs exportateurs, mais plutôt des biens non échangeables. Aujourd’hui, c’est la diaspora qui envoie l’équivalent de 700 milliards FCFA par an et qui permet à la balance des transferts d’être excédentaire et d’atténuer le déficit du compte courant de la balance des paiements.
Aujourd’hui 50 ans après les indépendances, la parité fixe est-elle encore pertinente ?
Une question éminemment politique qui dépend des ambitions de croissance et d’émergence économique de nos élites dirigeantes. Dans un système de parité fixe, il n’y a pas de politique monétaire. Le triangle d’impossibilité de Mundell dit que vous ne pouvez pas avoir, à la fois, un taux de change fixe, une liberté de circulation des capitaux et une politique monétaire. Ainsi, la politique économique du gouvernement repose sur la politique budgétaire. L’instrument de la politique monétaire n’est pas utilisé. Encore que j’ai soutenu, à la BCEAO, quand j’y travaillais, qu’à cause des rigidités nominales et réelles présentes dans les économies et compte tenu du fait que la liberté des capitaux n’est pas aussi fluide que le dit la théorie, il y a des espaces et des marges de manœuvres de la politique monétaire. Nous pouvons faire des efforts si, effectivement, nous avons une meilleure compréhension de nos économies. La Banque centrale fait des efforts pour essayer de fixer le taux d’intérêt dans l’économie même si les canaux de transmission ne sont pas aussi fluides.
Voilà comment il faut poser le problème. Dans notre zone, le taux d’inflation faible arrange les classes moyennes dirigeantes occidentalisées. Ça leur permet d’importer, à moindre coût et d’avoir un niveau de vie occidental sans la même productivité du travail et leur permet aussi d’exporter plus facilement leur épargne à l’extérieur.
Maintenant si on veut, c’est ça le fond du débat, et j’en profite pour répondre à ceux qui demandent de rapatrier les devises placées au Compte d’Opérations, que cela n’a pas de sens au plan économique puisque les devises placées au compte d’opérations du Trésor français, sont la contrepartie de la masse monétaire en circulation. Le vrai enjeu, c’est se demander si on a des ambitions de croissance plus élevées et si nous devons avoir une politique monétaire plus active. C’est comme ça qu’il faut poser le débat. A partir de là, voir le système à mettre en place au sein de l’UEMOA ou de la CEDEAO, telle que défendu au sein des Assises nationales.
Avec ces ambitions d’émergence, quel serait, selon vous, le meilleur système monétaire ?
D’abord, il faut que ce soit clair qu’on a ces ambitions d’émergence parce que c’est plus de tension en termes de temps de travail, de productivité, d’efficacité et de compétence. Il faut sortir du clientélisme politique qui a cours dans ce pays depuis la colonisation. Il faut poser le débat comme ça, sinon, le reste est tout simple, techniquement, c’est-à-dire faut-il un système de change flottant, ou ajustable ou avec flexible sous conditions. Plusieurs techniques sont possibles surtout qu’effectivement, notre commerce extérieur a beaucoup évolué. On exporte au Sénégal plus vers les pays africains, puis asiatiques et européens. C’est cela la structure des exportations du Sénégal. On peut imaginer plusieurs systèmes possibles mais le débat de fond, c’est de savoir si les élites politiques, qui dirigent nos Etats, sont prêtes à avoir une politique monétaire plus active qui suppose une coordination responsable entre politique budgétaire et politique monétaire.
Aujourd’hui, les enjeux de la mondialisation, avec l’arrivée des puissances telles que la Chine, l’Inde, la Turquie, le Brésil, en face de l’Union Européenne, doivent nous amener à nous projeter en avant en se demandant quelle doit être la vocation économique de l’Afrique de l’ouest ? Ensuite, quels instruments politiques et économiques dont-on doit disposer ? C’est tout le sens de notre travail aux plans économique et politique. Malheureusement, la discussion n’est pas encore posée au sein des élites politiques dont le niveau de débat reste bas et centré sur les problèmes de chocs de personnalités et de clientélisme politique. C’est vraiment dommage !
Pour aller dans cette option de monnaie unique à l’échelle de la Cedeao, il faut nécessairement une jonction avec le Nigéria la puissance régionale. N’y a-t-il pas un risque de naïrisation de nos économies et de perte d’influence du FCFA et de la France ?
Il faut dire qu’effectivement, une des grosses difficultés, c’est le Nigéria qui doit faire des efforts pour assainir ses finances publiques, notamment le secteur pétrolier. Personne ne comprend qu’au Nigéria, un pays producteur de pétrole avec soit- disant des raffineries, il y ait des queues dans les stations-services. La cause est le système politique qui bloque les réformes. Si le Nigeria mettait de l’ordre dans son économie, sa monnaie deviendrait forcément relativement forte. Et la future monnaie ouest-africaine, l’Eco, se ferait autour du naïra et du FCFA, le taux d’équilibre de l’Eco serait entre les deux. A partir de là, s’entendre pour savoir comment piloter l’Eco, à savoir un taux de change ajustable, flottant, ou Fixe, est un problème technique qui peut être géré assez facilement dans nos banques centrales, avec suffisamment de cadres bien formés et aussi patriotes.
Vu ces réalités, la monnaie unique à l’échelle du continent, n’est-ce pas un leurre ?
Je ne pense pas. La monnaie est une institution et a une dimension très politique. L’idée de la monnaie commune est liée à celle d’une entité politique au niveau continental. C’est la question des Etats-Unis d’Afrique qui est encore posée, depuis Krumah jusqu’à cette résolution des chefs d’Etat en 2005 qui dit qu’il faut aller vers les Etats-Unis d’Afrique. Comment y aller ? C’est très compliqué. Quand j’étais à la Commission de l’Union africaine, j’avais défendu l’idée, avec le Président Alpha Oumar Konaré, qu’il faut aller vers des monnaies régionales, mettre en place des comités pour la Banque centrale régionale, pour le Fonds monétaire africain régional et pour la Banque d’investissement. Et les comités avaient été mis en place.
Dans cette perspective, il ne faut point baisser les bras. Nous faisons face à des Etats-continents comme la Chine, l’Inde, l’UE qui se construit, les USA n’en parlons pas. En face, il nous faut des entités politiques beaucoup plus fortes et unies. Nous ne considérons pas que l’idée des Etats-Unis d’Afrique doit être rejetée et par conséquent, l’idée d’une monnaie unique africaine…
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