La négociation est un des actes les plus fréquents de la vie de l’homme d’affaires et du dirigeant d’entreprise, surtout au moment de nouer une relation commerciale ou développer une affaire, résoudre des conflits à l’amiable.
Il s’agit d’une notion polysémique qui renvoie à une série de discussions et d’échanges de points de vue, plus connue sous le nom de « pourparlers », que l’on entreprend pour parvenir à un accord : le plus souvent, sous la forme d’un contrat. S’agissant du contrat, dans son acception la plus commune, il se définit comme une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent, envers une ou plusieurs autres, à exécuter une prestation déterminée[1]. Lorsqu’il est valablement conclu, le contrat crée un lien irrévocable entre les parties qui sont tenues dès lors de l’exécuter, conformément à leurs engagements respectifs[2].
C’est pourquoi, la négociation se traduira bien souvent, pour l’homme d’affaires prudent et diligent, en un préalable à tout engagement, une étape cruciale, voire une démarche quasi-systématique, surtout lorsque l’on sait que l’homo economicus est un agent rationnel qui n’entreprend que des actions qui lui procurent une utilité supérieure à ce qu’elles lui coûtent effectivement, même si dans une approche moderne, il sera peut être appelé à faire sa part rapport aux exigences de responsabilité sociétale.
La négociation est, en effet, une étape décisive dans la conclusion d’un contrat. C’est une opportunité pour les parties de s’assurer que leurs intérêts seront pris en compte dans le contrat envisagé et que les risques juridiques et financiers ont été préalablement identifiés et maîtrisés. C’est aussi le moment de s’assurer, avant la signature du contrat, que l’autre partie dispose des autorisations et agréments requis, de même que de la capacité technique et financière nécessaire à l’exécution correcte de ses obligations. Durant cette période, chacune des parties peut vérifier la véracité des informations fournies par l’autre, et requérir, au besoin, des garanties supplémentaires, d’autant plus qu’il est généralement admis qu’ « en commerce, il trompe qui peut ». De la même manière, l’adage « si tu veux la paix, prépare la guerre » suffit à illustrer l’intérêt que revêt une conduite habile, prudente et diligente d’une négociation.
Pour mieux comprendre les enjeux de la phase des négociations, il convient de rappeler qu’une fois conclu, le contrat engage non seulement le patrimoine de l’une et/ou l’autre des parties, mais bien plus encore : la responsabilité civile[3] et parfois pénale de la partie défaillante. En outre, ce serait une erreur de croire que la négociation n’engage en rien les parties tant que la signature du contrat n’est pas intervenue[4] et que chacune d’entre elles pourrait se rétracter à toute étape des pourparlers sans au préalable respecter un certain formalisme. En effet, la négociation obéit à des règles dont le non-respect peut engager la responsabilité civile de la partie défaillante et ouvrir droit à réparation au profit de la partie lésée.
Pour une meilleure préparation et une conduite habile des négociations, surtout lorsqu’elles impliquent d’importantes sommes d’argent, le juriste doit pouvoir conseiller l’homme d’affaires ou le dirigeant sur le choix des conditions et modalités de déclenchement des négociations ainsi que celui du format et des étapes de la négociation, une démarche subtile. A ce stade, il est important que les parties soient suffisamment conscientes des risques de responsabilité précontractuelle, aussi bien en cas d’échec que de réussite des négociations.
Quid des conditions et modalités de déclenchement des négociations ?
S’il est vrai que la négociation est une étape décisive dans la préparation et la rédaction du contrat, il n’existe toutefois pas de scénario préconçu pour son déclenchement.
En effet, l’initiation des négociations se fait par une invitation à des pourparlers, susceptible de revêtir diverses formes. C’est le point de départ de la période précontractuelle, période qui se situe avant la signature du contrat et qui correspond aux premières prises de contact.
Afin de lever toute équivoque sur l’intention de l’initiateur de la négociation ainsi que sur ses besoins, il est préférable que l’invitation aux pourparlers soit formalisée. Ce formalisme est également important pour les besoins de pré-constitution de preuves du contenu des échanges des parties durant la période des pourparlers.
Le choix de la forme que prendra l’invitation aux pourparlers dépendra de l’imagination de la partie initiatrice mais aussi et surtout du niveau de clarification de ses besoins. Ainsi, l’invitation aux pourparlers pourra prendre l’une des formes suivantes :
- un mail ou un courrier,
- la transmission au partenaire d’une offre générale de vente ou de service,
- une annonce publicitaire,
- un appel d’offres ou à candidatures ou à manifestation d’intérêts.
L’offre de négocier doit, par ailleurs, respecter certaines conditions. Elle doit être claire, transparente et sans équivoque, sans toutefois qu’il s’agisse par exemple d’une commande ferme, précise et non équivoque. Dans le cas contraire, il ne s’agirait plus d’une simple invitation à des négociations, mais d’une véritable offre de contracter qui, dès lors, engage son auteur dans le cas où l’offre rencontre l’acception de son destinataire[5].
Quel format adopter et quelles étapes prévoir dans la conduite des négociations ?
La négociation peut être conduite de manière spontanée et informelle ou alors dans un cadre formel et conventionnel.
Le dernier cas de figure offre plus de garanties quant au respect des futurs engagements réciproques. Sous ce sillage, la négociation peut être ponctuée d’accords préparatoires ou de contrats préalables, destinés à servir de canevas et de cadre de discussions en vue de la conclusion d’un contrat définitif.
En fonction du degré de sensibilité de l’opération envisagée, de la technicité que requiert celle-ci, de l’importance des investissements et d’autres facteurs notamment, les parties peuvent envisager de conclure un contrat de négociation ou accord de pourparlers, et éventuellement un ou plusieurs autres contrats improprement appelés avant-contrats qui préparent le futur contrat et/ou des contrats qui obligent à la conclusion d’un contrat définitif.
Les contrats de négociation ont pour objet de déterminer les conditions et le canevas suivant lesquels les négociations seront conduites.
Ces contrats ont l’avantage de définir et circonscrire les aspects ci-après :
- l’objet des pourparlers ;
- les personnes habilitées à conduire les négociations pour le compte de chacune des parties et les limites de leurs mandants respectifs ;
- les dates de début et de fin des négociations ;
- les différentes étapes de la négociation ; et éventuellement
- les précontrats qui peuvent aider à la préparation du contrat définitif, à préciser les documents et/ou informations à communiquer, les conditions de confidentialité, le partage des coûts des dépenses engagés (études, expertises, …), les essais techniques, ainsi que les modalités et conditions de l’échange des consentements.
En dehors des contrats de négociation, les parties peuvent décider de conclure un ou plusieurs contrats qui obligent à la conclusion d’un contrat définitif, tels que la promesse unilatérale ou synallagmatique de contrat.
Elles peuvent aussi décider de passer par des contrats qui préparent un contrat définitif, tels que les contrats cadre, les accords de préférences, les précontrats techniques comportant des clauses de confidentialité, d’études, d’expertise, d’informations préalables, de protections particulières des droits intellectuels tels que les droits d’auteurs et propriétés industrielles, entre autres.
Quid de la responsabilité précontractuelle des parties lors des négociations ?
La responsabilité de l’une ou l’autre des parties peut être engagée du fait de manquements situés durant la période des négociations et qui leur sont imputables. Il s’agit de la responsabilité dite précontractuelle, qui se situe avant la conclusion du contrat.
Cette responsabilité peut être engagée en cas d’échec ou même de réussite des négociations. L’échec des négociations est bien entendu la cause la plus plausible de contentieux entre les parties, compte tenu du fait qu’en principe quand le contrat est conclu c’est que les parties sont déjà d’accord sur la forme, les conditions et modalités de leur collaboration.
En effet, l’un des faits générateurs les plus fréquents de la responsabilité précontractuelle est la rupture du processus de négociation, plus précisément celle qui intervient de manière abusive que l’on appelle la rupture abusive ou fautive des négociations.
Il s’avère que même si les parties ont la liberté de rompre une négociation en cours, cette rupture reste cependant encadrée. Lorsque les négociations sont menées sur une période plus ou moins longue et/ou qu’elles sont suffisamment avancées ou qu’elles nécessitent au moins pour l’une des parties d’engager des frais, la rupture du contrat doit intervenir pour des motifs sérieux, suffisamment justifiés et respecter un certain formalisme. Ainsi, la Cour d’Appel de Versailles, dans un arrêt en date du 18 mars 2004, a jugé dans le cadre d’une cession d’actions, que le concessionnaire avait manqué à « son obligation de loyauté envers son partenaire qu’il avait maintenu de manière fautive dans l’illusion d’un très prochain dénouement de l’opération de cession de ses actions, alors même qu’il avait satisfait à l’essentiel de ses exigences ».
La négociation n’est donc pas un espace de non droit. Les parties restent ainsi tenues à une obligation de bonne foi, d’information et de loyauté, chacune à l’égard de l’autre. L’appréciation, par le juge, du manquement à cette obligation, est faite de manière souveraine. La rupture sera souvent considérée comme fautive lorsqu’elle intervient :
- de manière brutale, après une longue période de négociation pouvant faire penser qu’un contrat pourrait être conclu entre les parties ;
- l’une des parties maintient l’autre dans l’illusion de la signature d’un contrat, en le laissant engager des frais, alors même qu’il savait qu’il ne conclurait pas le contrat ;
- sans motif légitime, même s’il n’y a pas dans l’immédiat une preuve de l’intention de nuire.
Dans les cas ci-dessus visés, la partie fautive sera tenue de réparer le préjudice subi par la partie lésée. Cette réparation pourra ainsi couvrir toutes les dépenses engagées en vue de la préparation du contrat, les opportunités manquées et le trouble commercial subi du fait du comportement fautif de l’autre partie.
Pour ces différentes raisons, les engagements dans le cadre des négociations, surtout pour l’initiateur, doivent être pris avec mesure et les conditions de conclusion d’un contrat définitif clarifiées.
En résumé,
Au regard des développements ci-dessus, il convient de noter que les négociations d’affaires, même si elles sont libres dans la limite du respect de l’ordre public et des règles impératives, demeurent encadrées par le droit. Elles constituent un grand enjeu dans la préparation des contrats, surtout lorsqu’ils impliquent de lourds engagements financiers. Il s’agit d’une démarche subtile qui implique de comprendre ses rouages et ses modalités, pour l’atteinte optimale des objectifs de ses initiateurs. Il est également essentiel de comprendre les différentes implications des actes réalisés durant cette période, pour prévenir toute faute et donc toute responsabilité de ses initiateurs. Des conseils en interne ou extérieur à l’entreprise, peuvent très souvent se révéler d’une grande aide.
Jean AIME
Juriste d’affaires & spécialiste de la Conformité – LBC/FT
DEA en droit économique et des affaires, Université Gaston Berger
Responsable Juridique et Conformité, April Africa
Responsable pays de l’ACCPA (Association of Certified Compliance Professionals in Africa)
[1] Article 40 du Code des Obligations Civiles et Commerciales du Sénégal (COCC) et article 1101 du Code Civil français.
[2] Article 96 du COCC « le contrat légalement formé crée un lien irrévocable entre les parties ».
[3] Articles 118 et 199 du COCC.
[4] Article 241-1 l’AU/DCG : le comportement des parties, lorsqu’il indique suffisamment leur accord, peut conduire à la déduction de la formation du contrat.
[5] Article 78 du COCC « Le contrat se forme par une offre ou sollicitation suivie d’une acceptation » et article 241 de l’AU/DCG
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