1-Quelle analyse faites-vous de la situation économique du Sénégal pour l’année 2019 ?
L’année 2019 reste, pour le Sénégal, sur la lancée des quatre dernières années avec un taux de croissance légèrement supérieur à 6%. Il s’agit là d’une première qu’il faut maintenir à défaut de l’améliorer. En effet, c’est en réalisant une croissance soutenue, durable et inclusive qu’un pays peut espérer sortir une frange importante de la population de la pauvreté et de l’exclusion.
Cela requiert une transformation profonde de nos économies à partir d’une meilleure gouvernance économique et politique de nos pays fondée sur une vision claire et une stratégie cohérence.
2-Si sur le plan macro-économique on peut dire que les signaux sont au vert avec un taux de croissance stabilisé à un peu plus de 6% depuis maintenant 4 ans. Est- ce qu’on peut en dire de même pour l’économie réelle ?
Le secteur tertiaire demeure largement majoritaire dans la contribution au PIB avec plus près de 60%, suivi du secteur secondaire avec 22% et le secteur primaire avec 18%.
Cette situation révèle que le secteur primaire, avec 60% de la population a une productivité très faible alors que les services qui tirent l’économie sont réputés moins déterminants que le secteur secondaire dont la contribution au PIB ne cesse de décroitre.
Le taux de chômage se situe à 15,8% accompagné d’un taux de sous-emploi très élevé, notamment en milieu rural. L’économie sénégalaise ne produit pas beaucoup alors que la population active augmente rapidement avec l’arrivée de plus de 200.000 jeunes sur le marché du travail.
3-Le Sénégal dans la deuxième phase de son PSE, opte pour une croissance inclusive qui prend en charge tous les secteurs de la vie active de l’économie nationale. Est-ce là une réponse appropriée pour corriger cette hérésie d’économie extravertie que le Sénégal subit ?
Oui, une croissance inclusive est nécessaire pour avoir une croissance qui débouche sur le développement, à savoir l’amélioration du bien-être de la population par la création d’emplois générateurs de revenus, notamment en faveur des populations les plus humbles qui pourront sortir de la pauvreté et de l’exclusion, la réduction des inégalités sociales et l’amélioration des conditions de vie et d’existence par une meilleure prise en charge des besoins essentiels, d’éducation, de santé, de logement, d’assainissement, …
Si la phase 2 du PSE y arrive à enclencher une croissance inclusive, alors le Sénégal aura connu une avancée significative par rapport aux années précédentes. Cela suppose une transformation structurelle de l’économie qui inverserait la tendance de la décroissance de la contribution du secteur secondaire par le redressement effectif, d’abord, des entreprises en difficulté avant de créer les unités industrielles qui permettraient de sortir d’une spécialisation internationale marquée par une forte présence de produits de base.
Le secteur est celui qui, non seulement crée le maximum d’emplois, mais aussi est à l’origine de la création de valeur ajoutée en plus de permettre une meilleure valorisation des produits manufacturés dont les cours sont les plus favorables sur les marchés mondiaux.
4- Quelle stratégie de gestion de la dette a mis aujourd’hui le Sénégal pour le financement de son économie en tant que pays en développement ?
La mobilisation de l’épargne est relativement faible au Sénégal où les dépôts à vue sont prédominants par rapport aux dépôts à terme qui sont à la base d’un financement d’une économie sur la base de l’épargne intérieure.
Par ailleurs, les marchés financiers qui sont des instruments efficaces de financement de l’économie à long terme pour les projets très couteux et à rentabilité lointaine, sont encore peu développés dans nos économies.
Cela entraine un recours aux autres formes de financement, à savoir la dette extérieure et les investissements directs étrangers (IDE). Ces dernières années, le Sénégal s’endette de plus en plus au niveau des marchés financiers supposés pratiquer des taux d’intérêt plus élevés et de délais de remboursement plus courts contrairement au financement multilatéral beaucoup plus concessionnel.
Le risque, bien sûr, c’est un surendettement matérialisé par un service de la dette (intérêt plus principal) de plus en plus pesant sur les finances publiques au détriment d’investissements nécessaires à une bonne dynamique de l’économie nationale.
5- Est-ce que l’investissement direct étranger ne constitue pas un goulot d’étranglement pour le secteur privé national sénégalais qui ne parvient pas à avoir accès aux grands marchés publics de l’État ?
De notre point de vue, non. L’Afrique ne représente que 2% de l’IDE dans le monde avec seulement 54 milliards de dollars US en 2018, selon le rapport sur l’investissement dans le monde de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), sur 1300 milliards de dollars. En sortant la part de pays comme le Nigéria, l’Afrique du Sud, l’Égypte ou le Maroc, des flux d’IDE en Afrique, il ne reste presque plus rien pour les autres pays.
Si l’on sait que l’IDE ne génère pas de remboursement et que c’est l’investisseur qui prend le risque, il reste au continent africain de relever un certain nombre de défis tels que les infrastructures matérielles et immatérielles, le capital humain à travers la formation professionnelle et technique qui permet de disposer d’une main d’œuvre ayant les qualifications requises, la qualité des produits en mettant l’accent sur l’innovation, l’environnement des affaires et, aujourd’hui, plus que jamais la sécurité sur le continent.
Le Sénégal, avec des flux annuels d’IDE se situant entre 311 millions en 2013 et 532 millions en 2017, n’est qu’un marginal bénéficiaire d’IDE comparativement aux principaux pays africains qui reçoivent entre 4000 et 7000 millions d’IDE. Cependant, avec la découverte du gaz et du pétrole, le Sénégal pourrait sensiblement augmenter ses parts dans les prochaines années.
Il sera alors déterminant, pour tirer profit des IDE entrant sur le continent de mieux négocier avec nos partenaires pour un transfert de technologie, le relèvement du contenu local, l’intégration du secteur privé local et son renforcement en capacités techniques et financières par le biais de diverses stratégies largement éprouvées dans différentes parties de la planète, en Asie, notamment qui ont beaucoup mis à profit les IDE dans le processus de développement économique et social de leur pays. Il faudra, par ailleurs amener les investisseurs à s’orienter vers les secteurs que nos pays ont identifiés comme prioritaires et porteurs de développement.
6-Conformément aux directives de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa), le Sénégal va migrer en 2020 vers un nouveau système de gestion des finances publiques à travers le budget programme. Qu’est-ce qu’on peut attendre de cette transition dans l’exécution du budget ?
L’entrée en vigueur de ce nouveau système de gestion des finances publiques à travers le budget programme marque une étape supplémentaire du schéma d’intégration de l’UEMOA avec l’approfondissement du dispositif de surveillance multilatérale des politiques macroéconomiques des Etats membres. En effet, comme le précise la Direction Générale du Budget (DGB), le budget de l’Etat, jusqu’alors construit selon une logique de moyens, change ainsi de paradigme et s’adosse désormais sur une logique de gestion axée sur les résultats (GAR).
En conséquence, le budget dit de moyens laisse place au budget dit de programme, construit à partir des politiques publiques, décomposées en programmes. A ces programmes sont associés des objectifs précis, arrêtés en fonction de finalité d’intérêt général et des résultats attendus. L’atteinte de ces résultats est mesurée par des indicateurs de performance.
Au total, le budget programme devrait aider à une meilleure mise en œuvre des politiques publiques grâce à une plus grande implication de tous les acteurs et la possibilité mieux cerner l’efficacité et l’efficience des politiques publiques.
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