Dans cette politique de facilitation de la pénétration de la Turquie en Afrique, une mission de journalistes africains a séjourné en fin mars 2013 à Ankara et à Istanbul et était coordonnée et dirigée par M. Amadou Mahtar Ba, PDG de l’Initiative des Médias d’Afrique (AMI), basée à Naïrobi (Kenya) et qui s’active beaucoup à renforcer les relations entre l’Afrique et la Turquie par le canal des médias. D’ailleurs, en mai 2012, en partenariat avec la Direction Générale de l’Information et de la Presse (DGIP), rattachée à la Primature, il avait été organisé à Ankara, un grand Forum Turquie-Afrique des médias, qui avait accueilli plus de 350 patrons de médias africains. C’était sous l’égide du Vice-Premier Bülent Arinç.
Ce dernier a par la suite, répondu favorablement à l’invitation d’AMI en venant participer au Forum des leaders de médias d’Afrique (AMLF), organisé à Dakar en novembre 2012. Une occasion unique où l’homme d’Etat turc a pu échanger avec près de 500 dirigeants de médias, en provenance de toutes les régions d’Afrique. Aussi avec le Premier ministre et le Président de la République du Sénégal qui avaient présidé à l’ouverture et à la clôture de cette grand’messe annuelle de la presse africaine.
Un recentrage diplomatique sur l’Afrique
Deux mois après, en janvier 2013, le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, à la tête d’une forte délégation de 300 hommes d’affaires, a effectué une tournée africaine qui l’a menée au Gabon, au Niger et au Sénégal. Durant cette tournée, il a été beaucoup question de redynamisation et de renforcement des relations entre la Turquie et l’Afrique qualifiée de «l’étoile brillante du 21ème siècle».
D’ailleurs, c’est une décision très stratégique, prise depuis 2008, des autorités turques de s’ouvrir plus fermement vers le continent de l’avenir, surtout que l’Union Européenne continue à snober ce grand pays musulman de 75 millions d’habitants, à cheval entre l’Europe et l’Asie, à la civilisation millénaire et qui porte les vestiges vivaces de l’ex-empire ottoman.
Dans le cadre de la rénovation de la politique étrangère turque, l’Afrique semble désormais être un allié fondamental pour aider la Turquie à s’affirmer sur la scène internationale. Elle lui permet de redéfinir son identité internationale afin de passer du statut «d’allié de l’Occident» au rôle actif et constructif «d’acteur global».
Ainsi, à partir de 2002, le gouvernement dirigé par le Parti de la Justice et du Développement (AKP, islamiste modéré) a commencé à effectuer les premiers ajustements diplomatiques. 2005 est décrétée «Année de l’Afrique». Le PM Erdogan se rend en visite officielle sur le continent, en Afrique du Sud et en Ethiopie, à Addis-Abeba, siège de l’Union Africaine. Ce qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait fait. Une nouvelle initiative diplomatique en 2007 : la Turquie organise le Sommet des Pays les Moins avancés (PMA), parmi lesquels figurent 33 Etats africains. L’année d’après, en 2008, Ankara a organisé le 1er Sommet du partenariat Turquie- Afrique, auquel ont participé 53 pays avec une forte représentation de chefs d’Etat et de gouvernement, de ministres et ambassadeurs, de médias et d’ONG du continent. D’ailleurs, Ankara prépare activement la 2ème édition qui va avoir lieu en octobre prochain.
Les relations diplomatiques de la Turquie avec l’Afrique ont complètement changé en l’espace d’une décennie. Ankara a triplé le nombre de ses ambassades et en compte dorénavant 31 (voire 34 en fin 2013) dont 15 ont été inaugurées entre 2009 et 2010. Dans le même temps, 21 pays africains ont ouvert une représentation diplomatique à Ankara et couvrant d’autres pays limitrophes et une quinzaine d’autres pays ont souhaité établir une ambassade à Ankara.
Disposant du statut privilégié d’observateur au sein de l’Union Africaine, le pays a participé à 5 missions de maintien de la paix en Afrique tandis qu’une douzaine de ses frégates ont patrouillé, dans le cadre de la flottille internationale de lutte contre la piraterie, au large des côtes somaliennes. D’ailleurs, le PM Erdogan y a effectué une visite à but «humanitaire» avec, dans ses bagages, une assistance médicale remarquable. Il faut y ajouter les nombreux projets sociaux, financés par leur Agence de Coopération et du Développement international (TIKA) dans ce pays et une dizaine d’autres pays africains afin de consolider les relations d’assistance et de solidarité entre les peuples.
L’Islam comme vecteur directeur
Stratégiquement positionnée, la Turquie est en train de se poser comme un vrai modèle dans les relations internationales. Médiateur en Afrique du Nord aux lendemains des «Printemps arabe», interlocuteur direct dans le conflit syrien, Ankara souhaite s’assurer un rôle identique en Afrique subsaharienne en se constituant comme la 3ème grande force entre l’Occident (UE, Etats-Unis) et l’Orient (Chine, Inde) avec comme cheval de bataille, le concept «gagnant-gagnant» dans les relations économiques et le principe de non-ingérence dans le domaine politique.
Dans une telle conquête des cœurs et des esprits, la dimension religieuse est bien mise en valeur, la Turquie se positionnant comme l’héritière directe de l’Empire ottoman pour utiliser son prestige auprès des musulmans d’Afrique. En visite à Dakar, le PM Erdogan a cherché à recréer une histoire commune en faisant le récit des tirailleurs sénégalais, combattant pour la France contre l’Empire ottoman dans les Dardanelles en 1915. Ayant entendu l’appel à la prière, ils ont abandonné les armes pour aller prier et ont refusé de combattre contre «leurs frères» musulmans.
Il faut dire aussi que l’influence turque passe également par la multiplication des écoles turques (comme Yavuz Selim à Dakar), plus d’une centaine, implantées un peu partout, dans 34 pays du continent. Elles permettent de former de futurs interlocuteurs turcophones et turcophiles. Déjà, plus de 500 étudiants bénéficient de bourses pour poursuivre leurs études supérieures en Turquie, l’objectif étant d’atteindre le millier dans un proche avenir.
Un business florissant et exponentiel
Mais on ne peut comprendre fondamentalement la politique entreprenante du gouvernement turc dans cette région du monde que si on prend en compte l’activisme débordant de son secteur privé, notamment l’organisation patronale Tukson, une confédération regroupant 46 mille membres et 120 mille sociétés. Ses réussites ont contribué à atténuer le scepticisme initialement affiché par la plupart des observateurs turcs. En outre, l’atonie des marchés occidentaux les ont incités à investir les marchés africains. En 10 ans, les échanges commerciaux ont triplé tandis que s’intensifiaient les liens avec les capitales du continent noir.
Le PM Erdogan a rappelé son objectif ambitieux d’atteindre 50 milliards $US de volume d’échanges commerciaux avec l’Afrique en 2015, contre 17,5 Mds en 2011 (comprenant un volume d’exportations turques qui s’élevait en 2011 à 12,1 Mds). Il a prévu de poursuivre l’accélération exponentielle des échanges commerciaux entre les partenaires entamée en 2002. À cette époque, ceux-ci ne représentaient que 2 Mds de dollars…
Sur le plan de la coopération multilatérale, Ankara compte parmi les membres non-régionaux de la Banque Africaine de Développement (BAD) et envisagerait d’établir d’ici 2019 une zone de libre-échange avec la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC), une union douanière entre le Kenya, l’Ouganda, la Tanzanie, le Burundi et le Rwanda.
Pour mieux comprendre l’ambition africaine grandissante de la Turquie, il faut voir le développement rapide du réseau de Turkish Airlines, une compagnie aérienne parmi les meilleures au monde et détenue à 49% par l’Etat. Elle dessert actuellement 33 villes dans 23 pays africains avec un objectif de 40 destinations dans les années à venir. Au départ des capitales africaines, la plupart des vols affichent complet avec plein d’hommes et de femmes d’affaires, venus faire la razzia des souks du Grand bazar. Un haut lieu du business où on rencontre une forte colonie sénégalaise…
La Turquie est devenue le nouvel eldorado de nos modou modou surtout que l’Islam facilite leur intégration dans un pays où ils peuvent également tirer profit de la notoriété et de la baraka d’un compatriote, Moussa Sow (Fenerbahce), qui y est une véritable idole locale. D’autres footballeurs comme Mamadou Niang, Issiar Dia ou encore Didier Drogba (Galatasaray) continuent encore de tisser, sportivement, la légende séculaire entre les deux peuples turc et africains…
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