Qui parle de réglementation, parle aussi de formation mais jusque-là, c’est un peu le ventre mou. Alors, que faire pour renouveler ce challenge ?
Il faut dire qu’il y a de plus en plus d’écoles de formation qui introduisent des modules de finance islamique. J’interviens à Sup de Co, au CESAG, IFACE… Sup de Co était allé plus loin en introduisant un Master en finance islamique mais il y a un problème de marché. Un master, c’est un investissement très lourd, soit 2 ans de formation avec plus d’un million de frais de scolarité. Mais, si après, vous avez des difficultés pour trouver même un stage, ce n’est plus intéressant. Le fait que le marché soit très limité, est un frein à son développement. Il faut commencer par créer les conditions d’éclosion du marché, ensuite on pourra parler de la formation proprement dite.
Pour revenir à l’espace UEMOA, entre la finance islamique et celle classique, peut-on parler de complémentarité ou de concurrence ?
En fait, il peut y avoir les deux. Dans un premier temps, il y a des clients qui ne veulent pas rentrer dans le système financier classique pour des raisons religieuses que l’on doit respecter. Le fait d’ouvrir des institutions financières islamiques permettra à ceux-là d’entrer, de manière formelle, dans le système financier. Ils vont ouvrir des comptes, demander des financements pour leur consommation, investissement… Alors, l’introduction d’institutions financières islamiques va permettre de compléter le système et d’attirer des clients qui, autrement, ne seraient pas dans le système, donc c’est une complémentarité.
Mais une fois bien installée, avec une réglementation adéquate, des ressources humaines compétentes, la finance islamique pourrait proposer des produits plus intéressants pour les particuliers, les entreprises et même les gouvernements. Chacun va voir où se trouve son intérêt. Il y a des gens qui ne sont pas intéressés par la variable religion mais qui vont regarder les variables rendement/efficacité.
Les flux de pétrodollars de la finance islamique servent-ils à financer le développement des pays africains de la Oummah ?
Oui mais pas comme on le souhaitait ! C’est vrai qu’il y a la BID dont les grands contributeurs sont l’Arabie Saoudite, l’Iran et les autres pays du Golfe. Il y a aussi la coopération bilatérale entre ces pays du Golfe et les pays africains mais ça n’a pas encore atteint le niveau souhaité. Le commerce intra-OCI représente moins de 20% du total. On peut accuser les deux parties. Les Africains d’abord parce que les Etats ne font pas énormément d’efforts pour améliorer leur environnement des affaires. Vous avez vu notre classement dans le Doing Business. Ces gens font du business et comme tels, ils regardent le rendement, les coûts et risques. Si nos pays ne présentent pas un visage attrayant et attractif, c’est sûr que les investisseurs préfèrent aller ailleurs. D’autre part, beaucoup de pétrodollars dans les pays du Golfe investissent dans les Bourses à Londres, à New York ; ces investissements n’ont pas d’impact sur le développement de la Oummah.
Que faire pour inverser la tendance, pour qu’il y ait plus de financements islamiques dans nos pays ?
D’abord, il y a nécessité de revoir le cadre réglementaire, juridique pour donner un signal fort en direction des investisseurs islamiques potentiels, leur montrer que nous sommes en train de faire des efforts pour tirer profit des financements islamiques. Il y a aussi l’environnement des affaires à améliorer et la promotion de la Destination Sénégal…Ensuite on pourra capitaliser sur nos bonnes relations avec les pays du Golfe en particulier.
Quelles sont les opportunités de la finance islamique pour le Sénégal ?
Je dirais que les opportunités de la finance islamique sont à plusieurs niveaux. Au niveau le plus élevé, vous avez la politique budgétaire de l’Etat qui a l’obligation de financer les infrastructures. Dans le document de Stratégie National de Développement Economique et Social (SNDES), les besoins financiers sont revus à la hausse à quelque 8 427 milliards F CFA avec un gap de financement de plus de 2000 milliards à trouver. Là, les Sukuks et fonds d’investissements islamiques peuvent être d’un grand apport. Ensuite, les Sukuk permettent de toucher tous les investisseurs, individuels et institutionnels.
Il faut dire que les Sukuk peuvent financer des infrastructures qui génèrent des revenus comme les autoroutes à péage et d’autres qui n’en génèrent pas comme les écoles, hôpitaux… Pour ces deux types d’infrastructures, il y a la possibilité de faire des montages de Sukuk pour les financer. Et c’est intéressant dans la mesure où, à chaque émission d’un Sukuk, il faut qu’il y ait un actif sous-jacent. Ainsi, les Sukuk permettent de lier les financements au développement économique.
Aussi, dans la classe moyenne, il y en a qui ne souhaitent pas vraiment traiter avec les banques classiques pour des raisons religieuses. Avec des banques islamiques, on leur permet d’intégrer le système financier formel et de favoriser l’inclusion financière et de relever le taux de bancarisation.
Enfin, il y a des institutions de Zakat et Waqf qui pourraient jouer un rôle très prépondérant dans la lutte contre la pauvreté, particulièrement, si elles sont intégrées aux institutions de micro-finance.
Ces sukuk sont-ils compétitifs, comparés aux financements classiques ?
Prenons le cas de la Malaisie qui a un marché dynamique pour les deux, des obligations et des Sukuks. Sur le marché, les émissions de Sukuk dépassent largement celles des obligations. . A côté du financement des infrastructures des Etats, les entreprises peuvent bénéficier aussi des Sukuks pour leurs besoins d’investissement. De même la banque centrale peut utiliser les Sukuk comme instruments de politique monétaire.
Quel rôle peut jouer une micro-finance islamique ?
La micro-finance islamique, comme classique, offre des services financiers à des gens peu solvables, selon la conception des banques classiques. Il y a différents types de produits Charia-compatibles pour satisfaire leurs besoins. Là aussi, on règle deux problèmes ; celui du financement et celui du détournement d’objectifs. On règle le problème à travers l’intégration d’institutions de charité à la micro-finance. Lorsqu’un pauvre sollicite un financement, c’est peut-être pour un besoin de production mais peut-être pour un besoin de consommation immédiate. La micro-finance classique ne permet pas la prise en charge correcte de ces aspects alors qu’avec la micro-finance islamique, on peut y intégrer des institutions de charité, c’est-à-dire une partie des fonds du Waqf et de la zakat destinée aux pauvres est versée à l’institution de micro-finance. On peut en prendre pour financer des besoins en consommation et en formation. Les fonds d’institution de micro-finance seront utilisés pour des activités productives. Le financement va comporter deux parties, une gratuite et une autre qui vise à faire du profit. Pour dire qu’il y a ce modèle-là, même si ce n’est pas appliqué à 100%, c’est la vision qui est importante.
Et l’assurance islamique ?
C’est une manière de satisfaire les besoins en gestion de risques tout en évitant les aléas de l’assurance classique. Je vous ai dit que l’assurance classique est rejetée par la plupart des juristes. L’assurance islamique est plutôt mutuelle, les gens cotisent et assument ensemble les risques ; éventuellement, en cas de surplus, ils vont se les partager. C’est une assurance plus mutuelle que commerciale.
Alors, ces perspectives de développement dans notre zone UEMOA?
Il faut une réglementation claire et adaptée pour permettre l’établissement et le fonctionnement optimal d’institutions financières islamiques. Du point de vue fiscal, il y a aussi des efforts à faire car les transactions dans la finance islamique ont, en général, un aspect commercial. Ce qui nécessite une fiscalité adaptée. De ce point de vue, il y a lieu de saluer les avancées du Sénégal qui a pris en compte la finance islamique dans le nouveau code général des impôts. Naturellement, le processus doit être porté par des ressources humaines compétentes.
Qu’est-ce que vous pensez de l’expérience de la BIS ?
Une banque islamique, c’est des produits, des opérations et une gouvernance qui respectent les principes de la Charia. A la BIS, on a des produits basés sur l’intérêt. C’est inconcevable pour une banque islamique !
Il faut reconnaître que, depuis quelque temps, la BIS est en train de faire des efforts pour islamiser certains de ces produits. Mais en l’absence d’un Chariah Board et d’un contrôle chariah régulier et systématique des produits et opérations, rien ne prouve l’islamité même de ces produits présentés comme islamique par la BIS. A mon avis, la BIS ne mérite pas encore d’être considérée comme une banque islamique.
Les perspectives de développement dans la zone UEMOA ?
J’espère qu’elles seront bonnes au vu des opportunités. On a suivi la déclaration du ministre des finances qui annonce le lancement de Sukuk, l’année prochaine, pour financer des infrastructures. Il y a la perspective de mettre sur pieds une institution de micro-finance islamique au Sénégal. Comme le chef de l’Etat est en train de promouvoir les fonds d’investissement, il serait bon aussi de penser à un fonds d’investissement islamique qui serait alimenté par des fonds internes. Certains compatriotes souhaiteraient investir dans ces fonds pour y réaliser des investissements Charia-compatibles. Certainement, il y aura des étrangers, des institutionnels ou des particuliers qui souhaiteraient mettre leur argent là-bas. Ça pourrait être un autre instrument à utiliser pour favoriser l’investissement et pour venir en appui aux PME, étant en conformité avec la Charia.
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