La problématique de l’habitat social constitue un des piliers du Plan Sénégal Émergent (PSE) mis en place depuis 2014. Quels sont les acquis de l’État pour concrétiser cette ambition ?
Un des axes majeurs du programme de gouvernement de l’alternance politique survenue en 2012 a été le Plan Sénégal Emergent (PSE). Le PSE, document référentiel en matière de développement économique et social du pays, se décline en 3 axes, 27 projets phares et 17 réformes.
Le PSE pose les bases de la redéfinition de la politique d’habitat social à l’horizon 2035 par la combinaison d’un urbanisme curatif, pour corriger les distorsions résultant d’une mauvaise planification urbaine et d’une occupation inappropriée de l’espace, avec une stratégie d’augmentation significative de l’offre en logements sociaux visant à réduire le déficit récurrent.
Le Projet Accélération de l’Offre en Habitat Social est l’un des tous premiers à être démarrés dans le cadre des projets et programmes du premier Plan d’actions prioritaires (PAP I, 2014-2018) du PSE. Le projet fut créé par Arrêté et un Conseiller-Chef de projet fut nommé. Un second projet portant sur l’Écosystème de la Construction était inscrit sur la liste de la deuxième génération de projets du PSE. Ceci illustre une fois de plus la volonté politique des hautes autorités d’élever le sous-secteur de l’Habitat et de la Construction au rang de « priorité nationale ». Cependant, l’insuffisance des financements pour couvrir les coûts des réseaux primaires et, surtout, les contraintes majeures d’accès au foncier n’ont pas permis l’atteinte l’objectif du PSE de production de 15 000 unités d’habitation par an.
Conscient que la croissance économique ne pourrait être équitablement ressentie par les citoyens sans l’inclusion sociale, le gouvernement a initié en 2019 (début de la deuxième phase du PSE) le programme de lutte contre les bidonvilles et l’habitat insalubre. Dénommé Programme Zéro Bidonville (PROZEBID), ce programme vise à améliorer, à l’horizon 2035, les conditions de vie de près de 30% de la population urbaine. Et le projet des 100 000 logements en est la composante phare.
Quel a été l’apport des promoteurs/développeurs privés et publics dans la matérialisation de l’ambition de l’État de faciliter l’accès au logement aux Sénégalais ?
Depuis l’indépendance, la production de logements par les promoteurs privés comme publics n’a jamais dépassé cinq mille (5 000) unités par année. Or, le déficit théorique déjà important (estimé à environ 325 000 logements) se creuse annuellement à hauteur d’au moins 12 000 unités.
Pour accroître l’offre en logements et freiner la tendance déficitaire chronique actuelle, il conviendra de mettre en place les conditions permettant de faire face aux obstacles liés au foncier, au financement, à la méconnaissance du marché du logement, au manque de professionnalisme des ouvriers.
Toutefois, un des nouveaux défis qui conditionnent le plus le succès du projet est la capacité des promoteurs à produire des logements au prix de vente ne dépassant pas 12 millions de FCFA. Les promoteurs se sont, jusqu’à présent, confortablement contentés de mettre sur le marché des logements situés majoritairement dans la fourchette de prix au-dessus des 20 millions de FCFA. Ils font, en effet, plus de bénéfices dans cette catégorie de produits.
Il faudrait donc toute une série de mesures d’accompagnement pour amener les promoteurs à s’intéresser à ce segment du marché visé par le projet :
• Une meilleure ‘solvabilisation’ de la demande ;
• Des incitations fiscales et stimulation par le foncier ;
• Le développement d’un écosystème de la construction.
La question du logement est une problématique qui se pose actuellement avec acuité au Sénégal. Pouvez-vous revenir brièvement sur les contours et ambitions du programme de « 100 000 logements sociaux », initié par l’État du Sénégal ?
En plus d’être une composante du PROZEBID (Projet Zero Bidonvilles), le projet « 100 000 logements » s’inscrit dans une nouvelle volonté de promouvoir l’habitat social initiée depuis le changement de régime politique intervenu en 2012.
Avec 50% des logements destinés au social, logement ne dépassant pas 12 millions de FCFA et 20% plafonnés à 15 millions (logement économique destiné à la Diaspora), le projet entre dans la catégorie des projets et programmes classés « d’Habitat Social » et reconnus comme tels par l’Etat. Concernant plus particulièrement les logements sociaux, ils seront réservés en priorité aux demandeurs primo-accédant solvables, mais se trouvant au plus bas de l’échelle des revenus. A l’inverse de la pratique courante dans le marché libre où les promoteurs immobiliers et les banques privilégient les demandeurs les plus solvables (donc aux revenus les plus élevés), ici c’est la règle de la discrimination positive en faveur de la « Cible sociale » qui sera appliquée. C’est la même logique du plafonnement des revenus à 450 000 FCFA qui sera poursuivie avec comme objectif de faire bénéficier l’accompagnement des pouvoirs publics aux ménages les moins nantis, car ils ont moins de chance que les autres de se loger sur le marché libre.
Quel est le coût du programme des 100 000 logements ? Pouvez-vous revenir sur le montage financier de ce programme ?
Le coût global du projet est estimé à 2 320 milliards de FCFA à supporter par les différents acteurs, chacun à la hauteur de ses capacités financières et de ses responsabilités professionnelles dans la chaîne de valeurs. Dans une initiative aussi encadrée et formalisée que ce projet, il faut s’attendre à ce que toutes les transactions financières au premier degré se fassent à travers des institutions de financement (banques et autres). Les banques et, dans une certaine mesure, le Trésor public seront donc au cœur des opérations de financement du projet au double titre de gestionnaires des comptes clients et d’émetteurs de créances.
Il est attendu que ses acteurs de premier plan (Etat, promoteurs, acquéreurs) contribuent au financement du projet comme suit :
• L’Etat contribuera sous forme d’exonérations (manque à gagner) fiscales et de participation à la prise en charge des travaux de viabilisation primaires (directement en tant que maître d’ouvrage ou par l’intermédiaire de la SAFRU ou de sociétés de même nature).
• Les promoteurs cofinanceront, avec leurs efforts propres, les premières activités de leurs programmes en contrepartie des crédits revolving octroyés par les banques.
• Les acquéreurs contribueront sous forme d’apport personnel en contrepartie de la mise en place des crédits acquéreurs.
Il reviendra ensuite aux banques et Systèmes de Financement Décentralisé (SFD) de mobiliser le reste du besoin en financement constitué dans un premier temps de 500 Mds sous forme de crédits revolving de courte durée (de 2 à 3 ans) pour les promoteurs et, dans un second temps, d’environ 1 000 Mds de FCFA sur une plus longue durée (de 10 à 20 ans) sous forme de crédits acquéreurs pour toutes les catégories de logements (social, économique et standing). Les crédits promoteurs seront débloqués presque entièrement dans les deux premières années du projet, tandis que les crédits acquéreurs ne seront mis en place (au plus tôt) qu’à compter de la fin de la première année. Sur ces bases et si le projet se réalise sur une durée de cinq ans, l’on peut raisonnablement considérer qu’il nécessitera des engagements bancaires à hauteur de 250 Mds de FCFA par an (y compris le bridging finance). Ceci reviendrait à quintupler les crédits annuels que les banques allouent actuellement au financement de l’habitat. C’est un grand bond en avant qui doit passer l’obstacle majeur de mobilisation de ressources de longue durée compatibles au besoin en financement des acquéreurs.
Cela signifie que les banques et établissements financiers devront explorer d’autres ressources auprès de structures appropriées comme les Caisses de refinancement, les partenaires multilatéraux (BAD, BID, Banque Mondiale), les Fonds d’investissement, l’émission d’obligations, les marchés hypothécaires secondaires, etc.
En plus, avec l’appui de l’Etat, les banques pourront accéder à des fonds spéciaux comme le Fonds pour l’Habitat Social, les Fonds de pension et les Fonds de dépôts et consignation.
Quel contenu mettez-vous dans le concept « logement social » ? Les ménages aux portefeuilles peu garnis pourront-ils accéder à ces logements sociaux ? Et selon quelles modalités ?
Bien qu’étant une propriété à usage privé, le logement a toujours préoccupé les pouvoirs publics parce qu’également facteur de stabilité sociopolitique et source de valeurs économiques et financières. L’Etat du Sénégal a très tôt affiché sa volonté de s’attaquer à la question de l’habitat par la création de sociétés immobilières publiques (SNHLM, SICAP). Cependant, cette volonté avait une portée limitée, tant sur le plan politique que sur la catégorisation de la cible bénéficiaire. A l’époque, et pendant longtemps, il n’y avait pas de département ministériel spécifiquement dédié à l’habitat ou au logement et l’expression « Logement à loyer modéré » illustrait plus un mode de gestion immobilière encadrée (location simple ou location-vente) qu’une véritable politique de l’habitat du grand nombre.
La volonté politique a connu un tournant historique au début des années 80 avec la création de la Banque de l’Habitat du Sénégal (BHS), la libéralisation de la profession de « Promoteur immobilier » et la vulgarisation des coopératives d’habitat. Pour abonder les ressources de la BHS, l’État lui accorda, pendant une dizaine d’années, une subvention annuelle d’un milliard de FCFA en contrepartie de la bonification des taux d’intérêt et du rallongement de la durée des crédits, notamment au bénéfice des emprunteurs à faibles revenus. Depuis lors, la volonté de promouvoir « l’habitat social » a toujours été exprimée, mais sans en donner une définition formelle/officielle. C’est ainsi que les logements étaient classés, selon leurs prix de vente, en Très économique, Economique, Moyen standing et Standing.
En terme commercial, la demande réelle, c’est la demande solvable. Ainsi, pour transformer les besoins de se loger en demandes effectives de logement, il faudra accroitre la solvabilité des candidats au logement. Le projet favorisera cet accroissement en agissant soit directement sur l’acquéreur, soit indirectement à travers l’accompagnement en amont sur le promoteur ou la coopérative.
Les actions directes sur l’acquéreur comprennent :
• L’octroi de crédits hypothécaires de longue durée à partir de ressources longues en provenance par exemple des Fonds de pension, de la Caisse de Dépôts et de Consignations, des compagnies d’assurance ;
• La bonification des taux d’intérêts des prêts bancaires à partir d’allocations prélevées sur le Fonds pour l’Habitat Social. Ce fonds déjà créé est alimenté à partir d’une taxe spéciale sur les ventes de matériaux de construction, notamment le ciment ;
• La garantie des crédits bancaires en permettant aux revenus faibles ou irréguliers de recourir au Fonds de Garantie du Logement social (FOGALOG) créé en 2015 ;
• La baisse substantielle des frais d’engagement, de notariat, d’enregistrement et autres.
S’agissant des actions indirectes en faveur de la solvabilité à travers les promoteurs, elles concernent :
• L’accès gratuit, ou à coût réduit, au foncier dans les pôles urbains, ZAC ou autres assiettes dans les territoires des communes ;
• La participation des pouvoirs publics à l’allégement des coûts d’aménagement, notamment par la prise en charge de la réalisation des réseaux primaires à travers la SAFRU (ou sa réplication), les sociétés concessionnaires ou le remboursement en nature des promoteurs par la plus-value foncière ;
• Les allègements fiscaux, exonérations d’impôts, etc.
Outre la garantie et la bonification, le Fonds pour l’Habitat Social pourrait aussi être utilisé pour le financement du coût de réalisation des voiries et réseaux hors sites et primaires des programmes d’habitat social.
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