Adama Dieng est Secrétaire Général adjoint de l’ONU et Conseiller Spécial de Ban Ki-moon pour la prévention du génocide. Dans cette contribution, il tire la sonnette d’alarme sur les violations des droits humains qui se multiplient à travers le monde. Il invite les dirigeants du monde pour que des mesures concrètes et urgentes soient prises face à la souffrance humaine. Il est temps d’agir !
Alors que vient de s’achever à Genève (le 10 décembre) la 32ème Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge, les conflits armés en cours à travers le monde continuent d’infliger l’horreur et la souffrance aux civils innocents dans les pays en proie aux conflits. Il est également regrettable que la souffrance soit perpétrée par ceux ayant pour principale obligation de respecter les règles relatives à la conduite des conflits armés, en particulier la protection des civils et le ciblage exclusif des objets d’utilité militaire. Les récents événements à Kunduz en Afghanistan, où des civils ont perdu la vie et un hôpital a été partiellement détruit, appellent nos efforts concertés pour s’assurer qu’en déclarant ou en menant des conflits armés, l’un de nos objectifs principaux soit de minimiser les pertes en vie humaine. En effet, ce qu’il s’est passé à Kunduz n’est pas un cas isolé. Au Yémen des attaques incessantes sur des structures médicales ont été dénoncées par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). En Syrie, des installations sanitaires ont aussi été attaquées par les Forces syriennes et alliées. Nous continuons de voir des développements similaires dans d’autres pays touchés par des conflits comme le Nigeria, la République centrafricaine, le Soudan du Sud, et ailleurs. Ce qu’il y a de commun à toutes ces régions est que les civils sont touchés de façon indiscriminée et dans la plupart des cas, ils paient de leur vie.
Malgré cette réalité, en tant que communauté internationale avec la responsabilité d’arrêter ce carnage, la tragique perte de vies civiles et le nombre croissant de déplacés, nous ne manquons pas d’instruments internationaux pour nous rappeler notre responsabilité inhérente à protéger les civils pendant les conflits armés, ainsi que les objets non militaires qui sont le plus souvent indispensables à la fourniture de services sociaux aux personnes, comme les écoles, les centres de santé ou les bureaux clés du gouvernement. Les Conventions de Genève et leurs protocoles, dont nous pouvons dire qu’ils font partie du droit international coutumier, interdisent toutes atteintes portées à la vie des personnes civiles. En outre, le droit international humanitaire précise très clairement que les dommages collatéraux ne doivent pas être disproportionnés par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu au moment de l’attaque. De même, le droit international des droits de l’homme prévoit des garanties minimales applicables à toutes les personnes, y inclut les civils et leurs biens pendant un conflit armé. En général, nous avons les bases nécessaires sur lesquelles nous pouvons construire et renforcer notre engagement à protéger les civils et les objets non militaires. En effet, la Commission d’enquête créée par le Conseil des droits de l’homme afin d’enquêter sur les événements de Gaza, il y a quelques années, a clairement fait savoir que les acteurs étatiques et non étatiques, ont une obligation inhérente à respecter le droit international humanitaire et les normes internationales des droits de l’homme applicables pendant un conflit armé. Nous avons donc besoin de volonté politique afin d’assurer que ces engagements soient respectés.
Certes, la nature et la composition sans cesse changeante des parties belligérantes et les progrès en matière de technologie militaire sont des défis pour notre rôle de protection efficace des civils et des objets non militaires lors d’un conflit. Alors qu’auparavant, les conflits armés connaissaient principalement la participation des armées nationales directement responsables devant les autorités de l’Etat, aujourd’hui, en plus de cela, nous sommes de plus en plus témoins de groupes n’ayant pas d’affiliation étatique, et pour certains aucune volonté de respecter le droit international humanitaire dans la conduite des conflits armés et qui sont des acteurs clés des conflits armés nationaux et internationaux. Nous avons également constaté que la technologie joue de plus en plus un rôle central dans la conduite des hostilités armées. Par exemple, aujourd’hui, il n’est plus rare qu’un Etat s’appuie sur des drones et d’autres technologies militaires qui n’impliquent pas d’avoir des combattants armés sur le terrain. Malgré l’utilisation de ces technologies, les civils ne sont pas épargnés. En effet, aujourd’hui, les parties belligérantes prennent plus de précautions pour protéger leurs forces armées contre les préjudices, qu’elles ne le font pour protéger les civils. Il est donc extrêmement important que le développement technologique et la précision dont nous sommes les témoins aujourd’hui, aillent de pair avec une capacité accrue de protéger les civils pour minimiser et, à la fin, éviter les pertes en vie humaine chaque fois que cela est possible.
Il est important que ceux qui sont impliqués dans les conflits armés, qu’ils soient des acteurs étatiques ou non étatiques, s’engagent à respecter le droit international humanitaire et les normes internationales des droits de l’homme applicables pendant un conflit armé. C’est un des moyens par lequel nous pouvons garantir la sécurité des civils et des objets non militaires comme les hôpitaux et les écoles qui sont essentiels à la vie de la population. La poursuite des violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme en Afghanistan, en Libye, au Soudan du Sud, en République centrafricaine, en Syrie et au Yémen démontrent la nécessité que nous réaffirmons notre croyance fondamentale dans le rôle de droit international humanitaire à préserver la sûreté et la sécurité des personnes ne participant pas directement aux conflits armés. Encore plus important est le fait que la responsabilité pour ces crimes devrait faire partie de notre stratégie à court et à long terme pour agir contre les violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme lors des conflits armés tant au niveau national qu’international. Cela est particulièrement important lorsque l’on tient en compte le fait qu’en plus des commandes militaires structurées, il existe également des groupes armés, avec peu ou pas de chaîne de commandement définie, dans lesquels ceux qui commettent de telles violations pourraient être tenus responsables. Comme l’a rappelé Ban Ki-moon, le Secrétaire général de l’ONU : « A la faveur de l’initiative ‘les droits de l’homme avant tout’, nous sommes résolus respecter la promesse du ‘Plus jamais ça’ et à tirer les leçons des échecs du passé, c’est-à-dire, dans la pratique, mettre les droits de l’homme, la protection des populations et la prévention des atrocités criminelles au centre de notre action. Aussi, a-t-il ardemment souhaité l’utilisation la plus large possible du Cadre d’analyse adopté par mon Bureau pour appuyer des stratégies de prévention aux niveaux national, régional et international.
La destruction continue des objets ayant une utilisation civile exclusive, y compris les patrimoines culturels, devrait également être condamnée et leurs auteurs tenus responsables conformément aux normes du droit international applicables. La récente destruction des temples culturels de Palmyre et du mausolée de Tombouctou par des groupes armés en Syrie et au Mali ont privé l’humanité de trésors inestimables. Nous sommes heureux de constater que, pour la première fois, la Cour pénale internationale ait pris des mesures contre les individus suspectés d’être impliqués dans ce crime odieux contre le patrimoine culturel au Mali. Nous espérons que la communauté internationale continuera de soutenir la Cour pénale internationale et les autres institutions internationales ou régionales afin de contribuer efficacement à la question de la responsabilité pour ces violations. De même, les États impliqués dans les conflits armés continueront à prendre les mesures nécessaires pour distinguer clairement les cibles militaires, des civils et des objets civils. Et, bien sûr, la pleine responsabilité sera établie contre les personnes ayant commis de telles violations. Puisse l’avertissement conjoint sans précédent qu’ont lancé le Secrétaire-général des Nations Unies, Ban Ki-moon, et le Président du CICR, Peter Maurer, sur l’impact des conflits actuels sur les civils, être entendu. Ils ont bien raison de demander que des mesures concrètes et urgentes soient prises face à la souffrance humaine et à l’insécurité. Il est urgent d’agir !
Crédit Photo: francais.islammessage.com
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