La rédaction de Reussirbusiness vous propose ce portrait de Ibrahima Cheikh Diong réalisé par nos confrères de afrique.lePoint.fr et consacré à un des plus fidèles chroniqueurs de Reussir le magazine.
Le gabarit d’un boxeur, mais la touch urban style en plus. Toujours tiré à quatre épingles, Ibrahima Cheikh Diong cache bien son jeu. Ne vous fiez pas à la nonchalance qu’il adopte quand il intervient dans un débat, c’est un « gros bosseur ». « Pour moi, se préparer à parler devant une audience, c’est faire preuve de respect vis-à-vis de ceux qui viennent nous écouter, mais aussi vis-à-vis des problématiques que l’on va aborder. Donc, quand je dois animer un débat, je me prépare, en effet. Tout en sachant que le rôle du modérateur n’est pas de faire son show. Il s’agit surtout de montrer qu’on est sérieux ici. » « Ici ». Ibrahima Cheikh Diong parle de l’Afrique, un continent sur lequel il a acquis une solide expertise. Résultat : il est un modérateur attitré de nombre de débats pointus dans les plus grands forums internationaux consacrés au continent.
Pourtant très à l’aise face aux décideurs de ce monde, Ibrahima Cheikh Diong est paradoxalement d’une grande discrétion. Et c’est dans l’ombre qu’il joue les intermédiaires entre les gouvernements africains et les partenaires internationaux depuis plusieurs années. Pour ce faire, il a fondé un cabinet panafricain basé à Dakar, Africa Consulting and Trading (ACT), une manière pour lui de mettre au service de l’Afrique plus de vingt années d’expertises acquises dans le privé comme dans le public, jusqu’au cœur du pouvoir, au Sénégal, ainsi qu’aux États-Unis et en Asie. Et de prôner « l’excellence » de tous les instants pour l’Afrique, à ses yeux la seule façon de passer efficacement à l’action.
« Je voulais faire partie de la solution »
« J’ai eu la chance, dans mon parcours, d’avoir démarré dans un pays francophone, en l’occurrence le Sénégal, avant d’aller étudier en Asie, puis aux États-Unis », dit-il. Une ouverture à différentes cultures qui façonnera son parcours. Diplômé en génie civil, en finances et en relations internationales, il développe très tôt une double compétence de technicien et d’analyste qu’il ne tardera pas à mettre en pratique. « Professionnellement, j’ai eu de belles expériences », explique-t-il avec le recul. Aux États-Unis, notamment, où il restera vingt ans, s’initiant aux méthodes de travail anglo-saxonnes. « Une bonne école où il est très difficile d’atteindre un certain niveau sans excellence », note-t-il. Puis il change de décor. Direction les grandes institutions internationales, la Banque mondiale et une de ses filiales, la Société financière internationale (SFI). C’est là qu’il décide de rentrer au pays. « J’ai vite compris qu’il faut entrer dans l’action, mais de l’autre côté. Sachant que les gouvernements africains ont des problèmes de capacité, je voulais faire partie de la solution. »
Après l’expérience dans le privé, celle au gouvernement
En 2007, il commence donc à travailler pour le gouvernement, en tant que ministre, conseiller spécial du président en charge de la Chine et des grands projets. Il intègre ainsi le cercle des super-conseillers des Wade, père (Abdoulaye) et fils (Karim). « Quand je suis arrivé, j’ai apporté un standard international et j’ai vite compris que là où je pouvais ajouter de la valeur, c’était dans l’organisation. Dans nos pays, on perd énormément de temps à cause du manque d’organisation. Vous avez une idée, elle n’est pas structurée, on n’a rien pour en apprécier la faisabilité. Résultat, deux ans plus tard, on en parle encore ». Et c’est précisément pour cela que Karim Wade fera appel à lui. « Karim Wade, comme son père, apprécie l’expertise et déteste la médiocrité. Il avait constitué autour de lui une bonne équipe avec ce rôle extrêmement important de reprendre les idées du président et de les transformer en réalité, avec tout ce que la comporte : les conceptualiser, les promouvoir, les financer…. Et si, aujourd’hui la communication me passionne, c’est justement parce que quand j’étais au gouvernement sénégalais, chaque fois qu’on faisait des road shows à travers le monde, je présentais les projets. Il y avait une telle complicité, une telle complémentarité entre Karim et moi-même, lui la touche politique, moi le technocrate, que nous arrivions à rassurer les investisseurs qui se disaient on a en face de nous des gens sérieux. Cela a été une expérience géniale, pas que de la théorie, mais avec de vrais projets structurants, motivée par cette envie d’ajouter du professionnalisme au sein d’un État et c’est ce qui s’est passé », poursuit-il.
Parmi leurs réalisations, en plus de la relance d’Air Sénégal, la construction du nouvel aéroport Blaise-Diagne et d’autres programmes dans l’énergie, les transports ou encore la coopération internationale. Le binôme fonctionne bien jusqu’à la disgrâce du clan Wade. Le fils prodigue se retrouve alors jugé et incarcéré à Dakar pour des faits de corruption. « Un sujet sensible, en dira brièvement Ibrahima Diong. Je ne sais pas grand-chose des aspects de gouvernance, les politiques en diront plus, mais moi, je peux parler de l’homme que j’ai connu et qui a beaucoup de respect pour la qualité. Du matin au soir, on travaillait sur le Sénégal. C’est le mérite de Karim d’avoir su attirer des compétences sénégalaises, et autres, ce qui a permis de réaliser beaucoup de grands projets au Sénégal », témoigne-t-il.
ATC, une autre façon de se mettre au service de l’Afrique
Son passage au gouvernement amènera Ibrahima Diong, retourné à Londres, à conseiller le groupe BNP Paribas sur l’Afrique. « J’étais la personne qui facilitait les relations entre la banque et les États. Mon expérience gouvernementale mais aussi de banquier classique intéressait », dit-il. De quoi s’inscrire dans le sillage d’une vocation toute trouvée. Il rentre en 2012 au Sénégal et crée Africa Consulting and Trading (ACT). « Un cabinet de conseil qui capitalise sur toute mon expérience : mettre à la disposition des États africains, des privés, mon expertise dans la mobilisation des ressources et aussi une meilleure compréhension des situations. Je ne vais pas juste présenter des dossiers. Je peux leur dire, j’ai été de l’autre côté, je comprends. Ça crédibilise. Tu sais de quoi tu parles, ce qui est faisable et ce qui ne l’est pas », explique-t-il. Fort de cette triple expérience, publique, privée et institutionnelle, Ibrahima Chekh Diong peut jouer de sa solide connaissance des enjeux continentaux, de ses atouts comme de ses lacunes. « Les personnes que vous élisez ne sont pas forcément celles dont vous avez besoin. Malheureusement, en Afrique, on perd énormément de temps entre cette phase où l’on élit un candidat et celle où celui-ci va monter une équipe et lancer un programme, alors qu’il y a des compétences, qui ne viennent pas du milieu politique, mais qui peuvent être utiles et apporter cette expertise qui fait si souvent défaut. Si on ne sort pas de cette logique électorale, on va continuer à perdre du temps. On reste sur des effets d’annonce parce qu’on n’est pas au niveau. »
À nouvelle génération, nouvelle attitude
Cela dit, observe-t-il, on assiste aujourd’hui, sur le continent, à un changement d’attitude porté par une nouvelle génération d’Africains ouverts à de nouvelles méthodes de travail. « J’ai participé à beaucoup de forums, on passe du temps à se plaindre que l’État ne fait rien, c’est ce genre d’attitude dont on doit se débarrasser. Même si de plus en plus on entend d’autres discours. Avec de la motivation, de l’autodétermination, du rêve. C’est cet esprit qu’il faut encourager. Car l’Afrique de demain, c’est comme ça qu’elle se fera. » Une mutation qui se ressent déjà du côté des décideurs. « Le continent est arrivé à un tel niveau de développement qu’aujourd’hui les gens attendent des solutions. Un banquier qui travaille avec un État africain ne peut plus rester dans la théorie. Les gens ont besoin de ressources pour construire les infrastructures, les centrales électriques, les écoles, faire de l’agriculture… Les gouvernements africains sont de plus en plus exigeants. » Et de souligner : « Ce qui est intéressant aujourd’hui, quand tu prends les 15 pays de l’espace de la Cedeao, tous les présidents ont été élus démocratiquement. Il y a un nouvel état d’esprit en termes de gouvernance politique, mais également en termes de compétences, dans les gouvernements, les administrations. Je ne suis pas une exception, on compte beaucoup de personnes qualifiées et expérimentées. Ce qui fait que les investisseurs qui viennent aujourd’hui, ces partenaires potentiels, ont face à eux des gens sérieux, ce qui les pousse à être plus rigoureux. L’Afrique a mis en concurrence plusieurs nations, la Chine, les pays européens, les pays émergents, ce qui est très important, car ça permet de préserver ses intérêts, de choisir les plus compétitifs, ceux qui répondent le plus à vos besoins, sans être dans des situations où vous avez des contrats de 20 à 30 ans non négociés… ».
« Un nouveau type d’Africain émerge »
S’agissant de la jeunesse, il met en garde : « La nature n’aimant pas le vide, quand la jeunesse a le sentiment de ne pas être utilisée, écoutée, elle se tourne vers les premiers prédicateurs venus ». Suivez mon regard… Ibrahima Cheikh Diong tempère quand même, car il « observe l’émergence d’un nouveau type d’Africain avec un rêve réaliste, une attitude, au coeur des problèmes mais avec des solutions, et non plus dans une perspective de main tendue ». Et de poursuivre son analyse : « Ces jeunes vont aller tellement vite que les États vont être obligés de les suivre, parce qu’ils vont créer des business, prendre de la place dans nos économies et c’est là qu’on aura les vraies transformations. » Pour Ibrahima Cheikh Diong, le processus est bien en marche et il s’agit d’en être un acteur inspirant notamment en direction des jeunes, « en prenant la parole », conclut-il.
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