2. Le problème de la gratuité de l’usage de l’autoroute, de la cherté des tarifs du péage et du niveau de participation de l’opérateur privé au financement
L’autoroute Dakar Diamniadio a été livrée le 1er août 2013, et inaugurée par Son Excellence le Président Macky Sall. Mais, les adeptes de la théorie des biens publics sont très vite montés au créneau à travers certains médias, après l’ouverture de l’autoroute en se demandant, à juste titre, pourquoi, l’Etat n’a pas pris en charge la part de l’opérateur privé (61 milliards FCFA) et financé intégralement l’infrastructure sans recourir à un opérateur privé.
Je sais qu’il ne fait, aucun doute, dans l’esprit de ceux-là qui se posent cette question que l’infrastructure demeure la propriété de l’Etat et que le concessionnaire (SENAC SA) a seulement un droit de construire, d’exploiter, d’entretenir pour ensuite procéder au transfert de l’infrastructure à l’Etat au terme de la durée de la concession tout en se faisant rémunérer directement par l’usager par la collecte de péage.
Mais, en posant le problème du financement de l’autoroute sous cet angle (bien public), les défenseurs de cette théorie posent moins et de bonne foi, le problème de la propriété de l’infrastructure que celui de son usage qu’ils souhaiteraient être gratuit. De telles réactions sont tout à fait normales, compréhensibles même de la part de simples usagers dans un pays qui inaugure son premier péage autoroutier et dont les populations ont une forte culture de la gratuité. En s’acquittant du péage, ces dernières ont donc le sentiment d’avoir à payer une somme, en plus des impôts normaux
Concernant le niveau de participation de l’opérateur privé, jugé très faible par certains, il y a lieu de signaler qu’en général, les formes de recours au partenariat public privé pour le financement des infrastructures concernent seulement le financement de l’infrastructure elle-même et son entretien. La participation de l’opérateur privé à ce financement peut, dans ce cas, se faire selon trois formules : financement intégral ou quasiment de la construction et de l’entretien ; financement partiel de la construction et financement de l’entretien et enfin, financement de l’entretien uniquement.
Le choix entre ces trois formules de participation est arrêté librement, au départ, par l’Etat suivant sa politique de financement des infrastructures.
L’Etat pouvait cependant, s’il estime, dans le cadre de ce partenariat public privé pour la construction de l’autoroute, que l’usager ne devrait pas payer, pour diverses raisons, opter pour un modèle de concession à péage fictif où il rémunérerait lui-même l’opérateur en fonction du trafic. Mais cette option, beaucoup moins risquée pour l’opérateur, a été, à juste titre, écartée dans les études de faisabilité au profit du péage réel.
Qu’une infrastructure offrant aux usagers une meilleure qualité de service (temps de transport nettement réduit, meilleure sécurité, plus grand confort etc.), soit tarifée, ne doit pas, à notre avis, gêner outre mesure.
Qu’un opérateur privé finance tout, ou une partie, d’une infrastructure, surtout en période de rareté des ressources publiques tout en garantissant son entretien, pendant toute la durée du contrat, ne doit pas également poser problème, car il permet ainsi à l’Etat, en plus de se départir momentanément du lourd et coûteux fardeau du financement de l’entretien, d’une part, d’orienter l’argent qu’il devrait débourser vers d’autres services et biens collectifs et d’autre part, d’élargir et de diversifier son champ de couverture des besoins en services et biens publics.
A ces facteurs, s’ajoute, et pas des moindres, la nécessité impérieuse, pour le Sénégal, de s’adapter à l’environnement économique international. Le Sénégal ne pouvait pas rester en marge du contexte de globalisation des économies qui dicte la nécessité de diversifier les sources de financement des infrastructures (bailleurs de fonds institutionnels classiques, nouveaux bailleurs de fonds et les financements innovants).
La problématique, qui doit donc être posée, une fois le principe de l’instauration du péage acquis et accepté pour les raisons citées plus haut, c’est le niveau des tarifs à adopter. Mais, à en croire la réaction de la plupart des personnes interrogées, ces tarifs sont chers par rapport aux revenus des usagers, mais aussi élevés par rapport aux tarifs pratiqués ailleurs en Afrique et même en France.
A ce titre, il y a lieu de signaler que les péages prélevés sur les usagers doivent permettre au concessionnaire, sur une période donnée, d’équilibrer les dépenses, c’est-à-dire atteindre l’équilibre budgétaire et dégager un profit, contrairement à l’Etat qui lui, cherche à maximiser la rentabilité socioéconomique des investissements, c’est-à-dire à faire en sorte que la société retire le maximum de bénéfice du projet par rapport à son coût.
Le contrat et le cahier de charges signés entre ces deux acteurs (dont je n’ai pas pu prendre connaissance) constituent le cadre juridique qui permet d’atteindre ces deux objectifs. Mais, cette rentabilité financière dépend en plus de plusieurs facteurs macroéconomiques et aussi microéconomiques. Comme le coût de construction définitif de l’infrastructure, le niveau du trafic lors de la mise en service, l’évolution du trafic en cours d’exploitation, l’évolution du tarif de péage durant l’exploitation, l’évolution des coûts annuels d’exploitation de l’infrastructure.
Si les coûts de construction et l’évolution des coûts d’exploitation peuvent être maîtrisés par le concessionnaire, il n’en est pas de même pour le trafic et, dans une certaine mesure, pour le tarif de péage.
En effet, les prévisions de trafic, compte tenu des caractéristiques très complexes des déplacements et des comportements des usagers, constituent un exercice difficile et aléatoire et font donc peser, à l’instar d’autres facteurs, un grand risque sur les revenus dans le cas des concessions surtout lorsqu’on n’a pas tout le recul nécessaire pour estimer la réaction des usagers à l’instauration du péage.
C’est pourquoi, il est souvent conseillé aux opérateurs qui veulent s’engager dans des concessions de prendre, en amont, toutes les dispositions nécessaires pour la connaissance détaillée des flux existants, de leur évolution et de la capacité à payer des usagers afin de maximiser les chances de réussite et minimiser les surprises et déceptions.
Concernant spécifiquement les tarifs de péage de l’autoroute Dakar Diamniadio, leur fixation doit, en principe, avoir été la combinaison des enquêtes auprès des usagers et le fruit de discussions entre le concessionnaire et les pouvoirs publics et définis dans le cahier des charges qui complète le contrat de concession. Et c’est à ce niveau que l’Etat doit jouer un rôle capital pour préserver l’intérêt des usagers en évitant, d’une part, tout dérapage (tarification au maximum de recettes pour le concessionnaire donc des tarifs très élevés) et d’autre part, un déficit d’exploitation qui résulterait d’une tarification calée sur les plus bas revenus des clients potentiels, donc des tarifs très bas. Il s’agira donc, d’opter pour un système de tarification à l’optimum socio-économique qui, par expérience, devient souvent, au vu des recettes générées, une tarification à l’optimum financier. Ce qui revient, pour l’Etat, à agir, mais de façon raisonnable, sur la marge du concessionnaire (sans compromettre la rentabilité financière de l’exploitation). D’où la nécessité de veiller à la transparence et à la sincérité des coûts proposés mais également à la couverture par les recettes générées.
Mais, les tarifs, actuellement appliqués sur l’autoroute Dakar Diamniadio, sont-ils réellement très chers ? Par rapport aux revenus moyens de la plupart des usagers habitant la banlieue, qui peuvent être amenés à emprunter l’autoroute au moins deux fois par jour pour se rendre au travail, on est tenté de répondre à cette question par l’affirmative. Mais par rapport aux tarifs pratiqués dans les autres pays africains et européens (France) ou par rapport aux économies réalisées entre autres, sur le carburant, sur le temps de transport, en opposition à l’utilisation de la route nationale banalisée, la réponse pourrait être nuancée.
Ce qu’il faut reconnaitre, somme toute, c’est que les tarifs de péage d’autoroute peuvent naturellement varier d’une autoroute à l’autre, dans un même pays, et aussi d’un pays à un autre en fonction des coûts à couvrir (influencés par la nature de la desserte : zone rurale ou zone urbaine), du niveau de trafic et de la politique de financement des infrastructures (investissements et exploitation), mise en place par l’Etat.
Concernant spécifiquement les niveaux des tarifs de péage de certaines autoroutes françaises, jugés nettement inférieurs à ceux de l’autoroute Dakar Diamniadio, il faut rechercher les facteurs explicatifs, non seulement dans les coûts de construction et d’exploitation qui peuvent être différents, mais aussi dans la mission de service public dont sont investies les concessionnaires d’autoroute (Sociétés d’économie mixte et sociétés privées) qui transcendent l’intérêt privé ou commercial ; et surtout, le système de financement des autoroutes (investissement et exploitation) qui est mis en place et les volumes de trafic autoroutier beaucoup plus dense.
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