Suite logique de sa carrière de banquier, puis d’intermédiaire en Bourse à travers sa SGI, CGF Bourse, Gabriel Fal, Président de la BRVM jusqu’en fin juin 2015, compte lancer un fonds d’investissement pour accompagner les entreprises africaines dans leur développement. Comme qui dirait afin de perpétuer l’héritage du père, Cheikh Fal, président fondateur de l’ex-compagnie Air Afrique. Entretien avec un Sénégal-Ivoirien qui s’assume.
Racontez-nous votre enfance et votre adolescence à Abidjan des années post-indépendance où la vie était belle, semble-t-il ?
C’était une époque de grande insouciance morale et politique, mais aussi celle d’un puissant développement économique, appelé «le miracle ivoirien». On ne se posait pas la question de l’origine ethnique. Un ministre pouvait être burkinabé ou malien, cela importait peu, pourvu qu’il soit compétent et honnête. Tout le monde se sentait «ivoirien», les mariages inter-ethniques étaient «monnaie courante». Les gens avaient une confiance inébranlable dans la vision, la compétence et l’habilité du Président Houphouët Boigny. Sur le plan des réalisations infrastructurelles et productives de grande envergure,les inaugurations étaient presque quotidiennes. Au niveau des enfants et des jeunes, le système éducatif était très sérieux et performant et les activités récréatives étaient nombreuses. Je ne prétends pas que les enfants des quartiers défavorisés avaient les mêmes chances que les autres plus nantis, mais j’ai l’impression que «l’ascenseur social» fonctionnait assez bien. Oui, la vie était belle à Abidjan dans les années post-indépendance.
Au-delà du Papa, qui était Cheikh Fal ?
Tous ceux qui ont connu Cheikh Fal, durant son adolescence à Saint-Louis, disent de lui qu’il avait la réputation d’être un brillant mathématicien. Cela lui a permis d’être parmi les premiers Africains à faire une grande école scientifique en France, Supelec, en l’occurrence. Il s’est spécialisé dans la construction de barrages hydroélectriques. A cette époque, les futurs dirigeants politiques réunissaient, autour d’eux, les futures élites appelées à jouer un rôle de développement dans leur pays. C’est ainsi que les futurs présidents Senghor et Houphouët Boigny ont demandé à mon grand-père, qui était trésorier dans l’administration coloniale, de devenir «tuteur» de mon père. Ne pouvant refuser ni à l’un, ni à l’autre, il les a fait tous les 2 « tuteurs » de son fils. A la veille des indépendances, Houphouët a fait valoir à Senghor que les perspectives de construction de barrages hydroélectriques au Sénégal étaient assez lointaines par manque de relief, alors que la Côte d’Ivoire devait construire immédiatement les barrages de Soubré et de l’Anambé. C’est ainsi que nous avons fait un premier séjour de 5 ans à Abidjan. A l’Indépendance, nous sommes rentrés au Sénégal en 1960 où mon père a été nommé Directeur des Transports et des PTT. Quand il s’est agi de créer une compagnie aérienne commune, les deux Chefs d’Etat ont tout naturellement choisi leur poulain commun, à qui ils ont confié leurs portefeuilles de droits de trafic sur la base desquels Air Afrique a été créée avec le siège à Abidjan, d’où un deuxième séjour de 13 années.
Quel a été son œuvre à la tête d’Air Afrique ? Quel merveilleux outil d’intégration il était en train de bâtir ? N’avait-il pas tort pour avoir eu raison trop tôt ?
En tant que PDG fondateur d’Air Afrique, Cheikh Fal a été un des premiers grands managers en Afrique, mandataire de 11 Chefs d’Etat. Il me disait qu’en dehors de programmer de nouvelles lignes, de commander de nouveaux avions, de superviser la formation de pilotes africains et de tenir en respect l’actionnaire-concurrent Air France, il passait au moins un tiers de son temps à recouvrer les sommes que les différents États devaient à Air Afrique. Un travail que ses successeurs n’ont pas su faire et qui est à l’origine des difficultés de l’entreprise, après son départ. Non, Air Afrique était bien dans son époque et aurait pu continuer à se développer et à contribuer à l’intégration africaine au-delà même du noyau francophone. On a tendance à oublier qu’au moment où il quittait la Compagnie en 1973,Air Afrique était rentable et classée 18ème compagnie aérienne du monde.
En tant que «Sénégalais en Côte d’Ivoire» ou «Ivoirien au Sénégal», comment avez-vous toujours vécu l’intégration des deux peuples, des deux côtés ?
Je me sens chez moi des deux côtés. Les Sénégalais et les Ivoiriens s’aiment et se respectent. Et bien que nous n’ayons pas de frontières communes, l’intégration est très forte car il y a entre nous une proximité amicale et familiale qui ne s’est jamais démentie au fil du temps. Sur le plan économique, par contre, j’aurais voulu plus d’échanges, plus de projets capitalistes communs et d’investissements directs. Mais la BRVM n’est-elle pas un outil formidable pour atteindre ces objectifs ?
Alors, comment avez-vous vécu la grave crise sociopolitique qui a failli déstructurer le pays ? Quels ont été les ressorts internes qui ont permis à la Côte d’Ivoire de tenir le coup, surtout au plan économique ?
Sur le plan macro-économique, contrairement à de nombreux pays de la sous-région dont les économies sont articulées autour du commerce, la Côte d’Ivoirea été construite comme un pays de production. Production agro-industrielle d’exportation, production énergétique, production industrielle de substitution à l’importation, PME de sous-traitance, etc. Cela a permis au pays de ne pas s’effondrer sur le plan économique malgré les agressions politiques et militaires qu’il a subies.
Au niveau du marché financier de l’UEMOA, nous avons connu une année 2011 très perturbée par les conséquences de la crise post-électorale ivoirienne. Même si le système de cotation a été déplacé temporairement à Bamako, l’activité boursière était tout simplement paralysée par la fermeture, pendant plusieurs mois, du système bancaire ivoirien qui est capital dans le mécanisme de livraison/règlement des transactions boursières et la conservation des titres de toute l’UEMOA. Ainsi, durant la crise ivoirienne, les activités boursières ont chuté en volume d’environ 90%. Par contre, les cours, c’est-à-dire le prix des actions, sont restés stables. Cela veut dire que les épargnants et les investisseurs régionaux et internationaux sont restés convaincus que la situation en Côte d’Ivoire allait se rétablir à brève échéance. Il n’y a donc pas eu de mouvements de panique comme on aurait pu justement le redouter… J’en attribue le mérite à nos institutions communautaires de l’UEMOA qui ont joué une partition sans fausse note.
Au-delà de la fonction officielle de Président, que représente la BRVM, pour vous, au plan personnel ? N’avez-vous pas le sentiment de continuer la mission du Papa, sur le chemin de l’intégration économique africaine ?
Je suis en fonction depuis janvier 2013 et la BRVM est une aventure passionnante, pour moi, dans la mesure où notre équipe a su montrer qu’il était possible de structurer et de faire fonctionner un marché financier intégré, performant et respecté sur le plan international. Mon mandat arrive à expiration en juin de cette année. Je me dis qu’il faut passer le relais à des plus jeunes pour gérer les institutionsfinancièreset pour me lancer dans de nouveaux projets. Dans la suite logique de ma carrière, je suis attiré par la création d’un fonds privé de capital-investissement. Le but est d’apporter des ressources en fonds propres pour lutter contre la sous-capitalisation des PME mais aussi de celle des grandes entreprises et de certaines banques africaines. Des confrères africains ont déjà apporté des solutions concrètesà ce défi, mais je pense que mon expérience et mon réseau dans la sous-région permettront de densifier le mouvement.
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