A la faveur de la proximité linguistique, les médias français ont envahi le continent africain, le nouvel eldorado. Une stratégie de survie et un acte de management du fait de l’effritement de leurs parts de marché dans le vieux continent. Battues par la concurrence des chaines anglophones, chinoises et arabes, l’Afrique est devenue le nouvel avenir de la France, notamment avec les projections démographiques qui en font un marché de 750 millions de consommateurs francophones avec un niveau de vie qui augmente.
Au début, il y avait l’Institut National de l’Audiovisuel (INA), responsable des archives des productions françaises qui, par compte-gouttes, cédait des images aux télévisions africaines francophones. Puis, ce fut des reprises de signal par les télévisions partenaires lors de certains événements comme la finale de la Coupe du Monde. En somme, pendant 30 ans, les téléspectateurs africains n’avaient pas droit aux mêmes programmes que les Français. Il fallait se contenter seulement de certaines largesses. Mais depuis quelques années, la tendance s’est inversée avec, dans un premier temps, l’implantation de la télévision francophone, TV5 Afrique, puis de la télévision payante, Canal+ Afrique. Cependant, des médias précurseurs comme RFI, Jeune Afrique et Africa n°1 ont bien occupé le terrain, des décennies durant.
Aujourd’hui, les médias français produisent et proposent des programmes spécialement dédiés pour l’Afrique. Il faut citer des initiatives comme Africa24, Le Point Afrique, SlateAfrique, la nouvelle chaîne A+ de Canal+ et la future Africanews de Euronnews.
Pendant que de nouveaux acteurs arrivent sur le continent, d’autres lui tournent le dos. C’est le cas de France Télévisions qui a décidé de fermer son agence de presse (images) en Afrique AITV, après 30 ans d’activités. L’agence disposait d’un réseau de 30 correspondants en Afrique, d’une rédaction parisienne de 28 journalistes et alimentait plus de 70 télévisions africaines.
Un marché africain à fort potentiel
Il faut dire que l’Afrique en général, sa partie francophone en particulier, émet des signaux économiques encourageants qui en font un marché à fort potentiel pour les médias. En perspectives, le français pourrait, tout simplement, devenir la langue la plus parlée au monde en 2050, au nez et à la barbe de l’anglais et du mandarin. D’après ces projections de l’INED, la population africaine pourrait exploser et atteindre 4,5 milliards en 2100 (soit 38% de la population mondiale), contre 1,1 milliard (15,7% de la population mondiale) actuellement. Dans ce cas, +750 millions de personnes pourraient parler français en 2050, contre quelque 220 millions en 2010. Et cerise sur le gâteau, l’écrasante majorité de ces locuteurs francophones vivrait en Afrique. Donc, un marché porteur et mûr qui n’attend qu’à être défriché par les grands groupes francophones.
Aussi, la faiblesse des médias locaux fait que ces grands médias sont prédestinés à en jouir sans modération. L’Europe, qui compte actuellement la majorité des téléspectateurs des chaines francophones, ne comptera que 12% personnes parlant cette langue. Dans un autre cadre, la progression de l’anglais en Europe francophone a fait perdre beaucoup de terrain à certaines chaînes.
Gagner la bataille des contenus africains
Maintenant, pour gagner le cœur de ces personnes, il faudra leur proposer des programmes adaptés à leurs réalités et réalisé par des ressortissants du continent. D’ailleurs, le 24 octobre passé, Canal+ a lancé A+, une nouvelle chaîne 100% dédiée aux contenus africains. Qualifiée de « populaire et moderne », fédérant « un très large public », cette chaîne mêlant télé-réalité, séries et cinéma, sera inclue dans le bouquet de base de Canalsat, avec 40% de ses programmes produits en Afrique francophone. Il y a quelques mois, Canal+ Afrique lançait Réussite, le «magazine de l’Afrique qui gagne». Comme le rappelle Jeune Afrique, Canal+ a accru son audience sur le continent, ces dernières années, jusqu’à atteindre 1,3 million d’abonnés et «une robuste croissance à deux chiffres» alors qu’il perd des abonnés en France (- 26 000 en 2013). On comprend l’intérêt de se rapprocher du public africain francophone. Canal+, qui qualifie l’Afrique de « priorité », n’est pas le seul à lorgner sur ce beau continent.
Euronews, via sa chaîne Africanews qui émettra en 2015 à partir de Brazzaville, compte diffuser dans des langues parlées par des centaines de millions de personnes en Afrique, à l’image du portugais, de l’arabe et du swahili en même temps que le français et l’anglais. C’est aussi le cas du Groupe Lagardère avec la radio Vibe Fm, présente à Dakar et qui compte implanter une télévision sous peu de temps. Il ne serait donc pas surprenant de voir d’autres groupes de presse francophones s’implanter en Afrique. Ils ont leurs programmes déjà tropicalisés par les chaines locales. Jeune Afrique annonçait aussi la création d’une banque d’images de 30 000 clichés – bientôt des vidéos – à l’usage des médias, agences de publicité et entreprises.
Avec 8 millions d’euros de budget, Africa 24 est la surprise du continent, 5 ans après sa création. Disputant à France 24, la place de 1ère chaîne d’information internationale sur l’Afrique francophone («Nous sommes devant dans 5 villes sur 7», affirme Constant Nemale, Africa 24 commence à attirer les investisseurs. Son fondateur, qui détient 78% de la chaîne, a annoncé, dans Stratégies Magazine, avoir reçu des propositions d’Al Jazira, qui cherche à s’étendre en Afrique francophone, et d’un groupe chinois, qui vient de racheter le sud-africain Star Times. Des offres d’autant plus alléchantes qu’Africa 24 a dû réduire de moitié son personnel en France (de 90 à 45 personnes) pour se concentrer sur l’Afrique, à Dakar notamment où il regroupe une quarantaine de personnes. La chaîne étudie des «partenariats stratégiques» en vue d’un développement en anglais, arabe, portugais et espagnol.
La presse écrite et numérique est également de la partie, malgré le bilan mitigé du site Slate Afrique, lancé en 2011 mais qui a réduit ses ambitions après avoir constaté qu' »il est très difficile de trouver des sujets fédérateurs (…) et que les structures publicitaires restent embryonnaires « , selon Eric Leser, l’un de ses fondateurs. En mai, le groupe suisse Ringier a rappelé qu’il avait créé 8 plates-formes numériques dans 4 pays – du Kenya en 2011 au Sénégal récemment, en passant par le Ghana et le Nigeria- pour être au rendez-vous de la « digitalisation de l’Afrique « .
Le Monde, lui, va créer sur son site, en fin d’année, une section Afrique. Le projet sera animé éditorialement par le grand reporter Serge Michel et s’appuiera sur un réseau de correspondants renforcé. Voulant s’affirmer comme le média francophone de référence, Le Monde ciblera les élites de l’Afrique et sa classe moyenne émergente et organisera, les 29 et 30 janvier 2015 à Abidjan, un forum consacré à l’impact des nouvelles technologies sur le continent. De son côté, Le Figaro réfléchit à un site mobile destiné aux pays africains francophones.
L’Afrique fascine le monde entier
Au vu de tout ce bouillonnement éditorial des médias vers l’Afrique, nous avons requis l’analyse de Sambe Lo, un publicitaire, analyste des médias, ancien Directeur commercial de Libération, Directeur associé à Affinity Média pense que «les médias français sont menacés par la domination de l’anglais. Les pays francophones doivent réagir à la mondialisation de l’offre des programmes et à la multiplication des canaux de diffusion. D’où l’émergence des chaînes d’information en continu en français. La course à l’audience est devenue un enjeu. Il n’y a pas que la France. L’Afrique est devenue un nouveau terrain de jeu du marché de l’information des médias internationaux. Le XXIe siècle sera africain grâce à son boom économique. L’information africaine est une matière première qui intéresse une audience mondiale. Le monde entier est fasciné par le sursaut de l’Afrique».
D’autres pays visent aussi l’Afrique francophone. C’est le cas de la Turquie avec son agence de presse, Anadolu, de rang mondial. Elle va lancer la version française de son site internet chargée de couvrir l’actualité africaine. Anadolu Agency, dont les informations sont diffusées en 8 langues à travers le monde, publiera aussi des dépêches sur l’actualité des pays africains en turc, en arabe, en anglais, en russe, en kurde et en bosniaque. La chaîne publique chinoise CCTV a lancé « CCTV Africa », basée à Nairobi au Kenya. Elle émettra bientôt en continu. CCTV Africa est diffusée en Afrique, en Asie et en Amérique. Il y a également Forbes Afrique, la version africaine et française de la célèbre revue américaine Forbes, lancée en 2012. CNBC Africa émet depuis Johannesburg et vise 40 millions de téléspectateurs et le Groupe Suisse Ringier s’intéresse à investir en Afrique.
Selon l’analyse de M. Lo «le véritable nouvel enjeu est celui du media digital ou internet mobile sur smartphone et tablette. Avec la nouvelle ère du numérique, la fragmentation et la dé-linéarisation de l’audience obligent les médias à mieux valoriser leur audience, leur Data. C’est la condition pour monnayer son audience publicitaire. L’Afrique et le Moyen-Orient comptent plus de 175 millions d’utilisateurs Internet. C’est le quadruple de l’audience en France (44 millions), 50% de la Chine (384 millions) et 80% des Etats-Unis (220 millions). L’internet s’est accru d’environ 15% par an et des taux de pénétration élevés et de nombreux projets initiés permet de réduire les coûts du haut débit.
Il continue son argumentaire en soulignant que «la téléphonie mobile joue un rôle-clé et représente près de 5% du PIB des Etats africains. On sait que 10% de pénétration des mobiles entraine une hausse de 1,3% du taux de croissance annuel du PIB. C’est près de 75 milliards $US de recettes fiscales entre 2000 et 2012. Donc, le déploiement de millions de points d’accès wifi en Afrique génère de nombreuses retombées positives pour les secteurs de l’éducation, de la communication, de l’emploi…».
D’autre part, il serait intéressant de voir le lien entre cette ruée vers l’eldorado africain et ce qu’elle rapporte en termes de recettes publicitaires parce qu’in fine, c’est ça la principale motivation. En effet, Sambe Lo rappelle qu’«aujourd’hui, il faut raisonner en termes de support. Les agences-conseils en publicité déploient leurs stratégies pour gagner des parts de marchés. Après le Sénégal, Havas ouvre des bureaux au Togo, Côte d’Ivoire et Cameroun. L’émergence de nouvelles classes moyennes en Afrique (300 millions de consommateurs) démontre que le marché publicitaire est en pleine croissance. La région Afrique et Moyen- Orient est la destination qui a connu la plus forte croissance en matière de dépenses en publicité. Soit une hausse de 15,8% contre 3,2% à l’échelle mondiale qui est d’environ 700 milliards de dollars. De grandes agences étrangères occupent aussi déjà le terrain comme Mediacom, Universal McCann, JWT, Ogilvy, Scanad, Grey etc. D’autres agences sont bien placées comme Karoui & Karoui, Voodoo, AG Partners, MW Marketing Sevices… Les revenus publicitaires sont souvent ce qui manque aux médias africains. Le marché publicitaire local n’est pas suffisant pour servir tous les médias. Il faut faire la différence en allant chercher des revenus complémentaires à savoir les campagnes internationales. Donc, le carnet d’adresses s’impose…».
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