D’une institution à vocation originelle plutôt culturelle, la Francophonie est aujourd’hui rattrapée par les enjeux de la mondialisation des affaires avec la prédominance de l’anglais comme langue du business. Comme les études prospectives prédisent un renversement de tendances dans les décennies à venir avec le français en pôle-position, le débat porte désormais sur une meilleure exploitation des atouts et avantages du français qui peut servir de catalyseur et de vecteur directeur pour un développement économique et social d’une force démographique de 220 millions de locuteurs, répartis sur un espace couvrant les cinq continents. Revue des forces et faiblesses d’une certaine ambition francophone.
Avec 220 millions de locuteurs (Observatoire de la langue française), répartis sur les 5 continents, avec une projection de 700 millions à l’horizon 2050, dont 85% qui vivront en Afrique (Rapport Natixis, 2014), la Francophonie cherche à se positionner comme une force d’attraction dominante pour mieux développer des relations d’affaires entre ses différentes composantes, au vu de ses immenses besoins et des potentialités de partenariats mutuellement enrichissants.
Aujourd’hui, avec plus 7,200 milliards de dollars de PIB générés par les 77 États et gouvernements membres de l’OIF, il s’agit d’échanger sur la dynamisation de ce énorme potentiel et sur la Francophonie en tant que vraie force économique.
Historiquement, la relation avec la langue française, notamment pour les pays anciennement sous domination française, d’Afrique et d’Asie, est le fait de la colonisation qui a d’abord été un projet éminemment économique. Il s’agissait d’exploiter leurs matières premières dont avaient besoin les industries naissantes de la Métropole afin de propulser son développement économique. Même après les indépendances, la relation économique n’a jamais cessé. A l’époque, on parlait d’une certaine «Françafrique», très prépondérante au niveau de l’ex-«pré-carré», sur tous les plans, politique et économique en particulier, dans les pays de l’ex-AOF (Afrique occidentale française) et l’ex-AEF (Afrique centrale). Ce qui fait qu’une grande partie de ces économies était contrôlée par des entreprises multinationales françaises, pendant longtemps. Ceci a été facilité par l’existence d’une monnaie unique (le franc CFA), un droit des affaires commun (OHADA), des communautés économiques intégrées (UEMOA, CEMAC)…
Dans la foulée de la création des organismes supranationaux, il a été mis en place en 1970, l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Forte d’une population de près de 900 millions d’habitants dont 220 millions de locuteurs en français et sur les cinq continents, l’OIF entend développer une solidarité active entre ses 77 Etats et gouvernements membres.
L’OIF a su bâtir dans de nombreux domaines (Culture, Paix, Démocratie, Droits de l’homme…), des instruments plus ou moins efficaces. En fédérant les acteurs concernés et en organisant des synergies, l’OIF peut être en mesure de relever des défis économiques, aujourd’hui gage de succès pour sa pérennité.
Maintenant, l’OIF est plus qu’une organisation culturelle. Avec une population de près de 900 millions d’habitants (+13% de la population mondiale), l’espace francophone représente +13% du PIB mondial, 20% des exportations, 19% des importations, 22% des terres habitables et des réserves d’eau potable, ainsi qu’une population jeune et en croissance. Par ailleurs, la croissance économique a été soutenue (+3,2% par an en moyenne) au cours des 5 dernières années et ce, malgré la crise de 2008.
C’est ce constat intéressant qui avait conduit en 2008, la Conférence Permanente des Chambres Consulaires Africaines et Francophones (CPCCAF), regroupant 130 Chambres Consulaires (Commerce, Industrie, Métiers/Artisanat et Agriculture), réparties sur 29 pays, à se mobiliser pour mener une réflexion opérationnelle sur les modalités et synergies à mettre en place pour structurer et développer le concept de «Francophonie économique».
Dans le même temps, à l’initiative de la Chambre de Commerce de Québec, avec l’appui de la CPCCAF, deux grandes «Rencontres internationales de la Francophonie économique» (RIFE) se sont tenues à Québec, en mai 2008 et juillet 2012. Elles ont été l’occasion, pour ces acteurs du monde économique francophone, de débattre et d’identifier des axes de développement concrets du concept de Francophonie économique.
La RIFE 2008 a permis de définir un nouvel espace économique en consacrant le français comme moteur de son développement. Par la suite, la RIFE 2012 a défini une stratégie et proposé des dispositifs concrets et opérationnels afin de permettre à la Francophonie économique de s’affirmer et de se renforcer sur la scène internationale.
Auparavant, en 1987, lors du Sommet de l’OIF, fut lancé le Forum Francophone des Affaires (FFA) qui, pendant au moins une bonne décennie, s’est beaucoup remarqué par l’organisation d’une série de rencontres entre acteurs économiques francophones afin de tisser des relations d’affaires et développer le partenariat Nord- Sud grâce à un engagement des Canadiens, des Québécois en particulier. Mais du fait de dissensions internes, le FFA est désormais mort de sa belle mort.
Aujourd’hui, pour prendre le dossier en mains, l’OIF envisage de se doter d’une véritable Stratégie économique pour la Francophonie qui sera soumise, pour adoption, lors du Sommet de Dakar. Cette stratégie définira les champs et axes à travers lesquels la Francophonie économique peut et doit intervenir en termes d’influence, de coopération ou de formation.
Le Forum Economique sur l’Investissement
Fidèle à sa volonté de promouvoir des investissements créateurs de richesse et générateurs d’emplois au Sénégal, le Président Macky Sall a décidé d’organiser un Forum Economique de la Francophonie sur l’Investissement, au lendemain du Sommet, les 1er et 2 décembre 2014, à Dakar, en partenariat avec la société événementielle du publiciste français, Richard Attias.
Le Forum Economique devrait constituer un cadre d’échanges réunissant les investisseurs institutionnels de l’espace francophone, les acteurs de la finance privée, les décideurs gouvernementaux afin d’échanger sur les principales exigences et facteurs déterminants de l’investissement au sein de cet espace, les potentialités et opportunités d’investissement, ainsi que sur le climat des affaires et le développement de réseaux francophones permettant de structurer des actions prioritaires et faire émerger des partenariats mutuellement enrichissants.
Il s’agit d’initier une première dynamique, l’organisation d’un grand événement international relatif à la promotion de l’investissement privé qui ambitionne de devenir un rendez-vous institutionnel pour le pays organisateur. Une tribune permettant d’accroître la visibilité des pays francophones, en renforçant leur image comme destination privilégiée d’investissements auprès des investisseurs. Ainsi, ils peuvent présenter leurs différents atouts, potentialités et opportunités d’investissements de même que communiquer sur leurs nouveaux projets et programmes économiques, notamment leurs projets prioritaires.
Au cours du Forum Economique de la Francophonie sur l’Investissement, divers panels et ateliers devront permettre de débattre, en long et en large, des enjeux liés à la mise en œuvre du concept de «francophonie économique». Cependant, des questions de fond sur et autour de la langue française restent encore posées.
Des questions comme l’usage en commun de la langue française est-il, à lui tout seul, un atout qui traverse les différentes frontières et législations juridiques, en dépit des contingences spécifiques liées à chaque Etat ou gouvernement membre ? Quelles difficultés les entreprises sont-elles confrontées lorsqu’elles cherchent à importer ou à exporter des biens ou des services ? Quelles solutions concrètes permettraient d’y remédier ? Les questions relatives aux régimes fiscaux, aux soutiens à l’innovation, à l’aide au financement, etc. sont autant de piliers qui sont nécessaires à la mise en place et à la floraison du Secteur privé. Quelles leçons tirer des réussites telles que le Maroc ou Maurice ?
Dans de nombreux secteurs tels que les Infrastructures, l’Agriculture ou encore l’Education, le développement passe par la mise en place de vrais partenariats entre Secteur privé et pouvoirs publics. Là, il existe une différence substantielle entre l’Afrique francophone et l’Afrique anglophone en matière d’utilisation et d’application réussie des PPP. Il faut reconnaitre que les anglophones ont une tradition de recours aux PPP plus ancrée. Les francophones doivent combler ce déficit pour mieux développer leurs infrastructures. Aussi, parmi les PPP, quels modèles ont été les plus efficaces afin de mutualiser et d’attirer investisseurs et opérateurs privés ?
Dans le domaine de l’Education et de la Formation et dans plusieurs régions du monde, la scolarisation en français est de plus en plus marginalisée. Les raisons sont diverses, la principale étant les contraintes financières. La formation en ligne, qui peut prendre plusieurs formes, serait un moyen de contribuer, de manière peu coûteuse, d’accéder à l’enseignement et d’en améliorer la qualité. Ceci peut bien s’appliquer à l’enseignement de base ainsi qu’à l’enseignement supérieur et à la recherche ; la création d’un nouvel écosystème de pédagogie ayant besoin de matériels de formation à jour.
Aussi, dans cet univers du numérique, le français, la 6e langue la plus parlée au monde, ne représente que 5% des contenus sur Internet. En fait, le français doit s’inscrire dans une réalité contemporaine marquée par le développement de la technologie. Le numérique est un vecteur-clé pour réaliser l’important potentiel de diffusion de la langue et de la culture française dans le monde et de façon accessible à un très grand nombre de personnes en visant surtout le public jeune.
Aujourd’hui, la mondialisation dans laquelle évoluent les médias francophones amène à poser beaucoup de questions sur leur avenir. Sont-ils menacés par la tendance unilingue de la mondialisation, avec la nette domination de l’anglais ? Comment les pays francophones doivent réagir à la mondialisation de l’offre des programmes et à la multiplication des canaux de diffusion ? Que penser de l’émergence des chaines d’information en continu en français ? Quels types de média proposer à la jeunesse francophone, notamment africaine ? Comment la Francophonie doit-elle se positionner ? Quels outils de coopération pour faire face aux défis actuels et futurs ? Il y a une autre facette du potentiel des médias à étudier : comment, en collaboration avec les artistes et producteurs de contenus, soutenir une certaine pertinence de la langue française et le partage de la culture francophone qui passe par la langue et la distribution des émissions, films et reportages. Quel rôle peut jouer la communication ‘‘mobile’’ et comment faire pour que les producteurs de contenus prennent surtout en compte ces nouveaux modes de diffusion d’informations et d’émissions de divertissement ? Avec l’arrivée de nouveaux acteurs dans le secteur, quels formes de partenariats pour offrir des contenus attractifs et bâtir des stratégies de diffusion efficaces ?
Vers une structuration de la Francophonie économique
Au sortir du Sommet de Dakar et du Forum Economique, les responsables de l’OIF devraient repartir avec une bonne moisson d’idées et de propositions afin de poser les jalons d’une mise en œuvre de la «Francophonie économique». Compte tenu de l’importance de l’information économique et de la mobilité des personnes, l’OIF serait en train de travailler sur les modalités de création d’une Institution Economique de la Francophonie dont la première mission sera de faire un travail de collecte et d’homogénéisation de l’information économique francophone et de coordination des actions de soutien et d’influence, de mettre en réseau les acteurs (étudiants, entreprises et opérateurs économiques) afin de pallier le manque de cadre pouvant faciliter l’échange et la mutualisation des bonnes pratiques au sein de l’espace économique francophone. Pour ce faire, cette Institution devrait créer un portail francophone des affaires et s’impliquer dans la mise en relation, le développement des opportunités d’affaires et la valorisation de la culture de l’entreprenariat, notamment chez les jeunes…
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