Grâce à l’Afrique, la Francophonie va connaître une seconde jeunesse. Une renaissance qui va dépasser l’ex-cadre géopolitique, tracé jadis par la Françafrique et qui va suivre désormais le fil conducteur de l’Economie.
On avait cru, un moment donné, que la francophonie allait disparaître. Une fin programmée et inéluctable face à la prépondérance de l’anglais et du mandarin. L’hégémonie américaine et la montée en puissance de la Chine y ont beaucoup joué. «Le français va mourir, comme le latin ou le grec», ironisaient certains anglophones. Mais, à la lumière des études et de l’évolution du continent africain, cette idée reçue tend à disparaitre. Le français redevient une langue d’avenir. En effet, avec le taux de natalité encore important des pays utilisant la langue de Molière et leur marge de progression économique, parler français est maintenant un avantage comparatif non négligeable.
En 2050, il y a aura plus de 1,4 milliard de francophones dont plus des deux tiers dans le continent noir. Un marché aussi important que la Chine ou l’Inde au moment où ces pays entamaient leur décollage économique. Peu peuplé, le continent commence à bénéficier du dividende économique de sa population qui est en train de voir se pointer la transition démographique. Il faut y ajouter les pays lusophones de l’Afrique dont les élites et une partie des classes moyennes sont instruites en français. Le taux de mortalité a chuté et l’espérance de vie a augmenté de l’autre côté. Cela combiné aux aspirations de bien-être et de démocratie qui font que les perspectives économiques sont radieuses.
L’Afrique, réservoir de croissance des entreprises françaises
Ancienne puissance coloniale, la France a toujours joué un grand rôle dans ce continent qui a bâti la fortune et la notoriété de ses grandes entreprises. Total, Areva, Bolloré, France Télécom, Vivendi, Air France-KLM tirent, à partir du continent, leurs meilleures marges bénéficiaires. La rentabilité et le retour sur investissement des entreprises françaises en Afrique est la plus importante du monde. Avec cette nouvelle perspective, l’ancrage et l’amélioration des services ‘made in France’ sont à attendre.
La forte présence chinoise et les velléités de percées des autres membres du club des BRICS vont jouer un rôle d’accélérateur de ce processus. Entre 2000 et 2014, le volume des échanges entre la Chine et les Etas africains est passé de 10 à 200 milliards de dollars. Un essor qui s’est fait principalement sur le dos de la France et de la Grande Bretagne qui ont perdu des parts de marché à cause d’une politique étrangère peu appréciée par les dirigeants africains. Dans tous les pays africains de son pré-carré historique, le poids de la France dans ces économies a diminué fortement face aux avancées du Nigéria, de l’Inde ou des Etats-Unis. En 2013, le Nigéria est devenu le 1er partenaire de la Côte d’Ivoire devant la France.
Toutefois, avec les projections démographiques et économiques en faveur de l’Afrique, les entreprises françaises, accompagnées par leur gouvernement, sont dans une nouvelle dynamique de reconquête. Un retour aux fondamentaux de la France, qualifié d’«expert du continent». Alors qu’elle souffre d’un recul de la consommation et des investissements de ses entreprises et de ses exportations, l’Afrique affiche, depuis plus d’une décennie, une croissance de 5 à 6%, portée par une dynamique demande intérieure.
Selon Jean Michel Severino, président du fonds Investisseurs & Partenaires (I&P), ancien DG de l’Agence Française de Développement (AFD), «la France pourrait, grâce aux échanges avec l’Afrique, créer ou maintenir d’ici 2020 plus de 240 000 emplois». Maintenant, il ne s’agit donc plus de conditionner la coopération et la vente de matériels français à des efforts démocratiques mais uniquement de «faire des affaires». Le fameux discours de La Baule de François Mitterrand n’est plus d’actualité. Les potentialités du continent sont multiples et il faut prendre sa part du gâteau.
Le rôle avant-gardiste de la Diaspora
Un appel à renouer des partenariats avec l’Afrique. Pour Paul Derreumaux, fondateur et président d’honneur du Groupe Bank Of Africa (BOA), la diaspora africaine de France, dans son ensemble et sa diversité, se démarque par une résilience peu commune et un désir d’entreprendre à toute épreuve. Pour lui, le terrain économique africain se montre plus que jamais propice à faire germer les initiatives de ces Africains. Dans sa «Lettre ouverte aux jeunes entrepreneurs Africains de France», il souligne qu’il faut, maintenant et plus que jamais, encourager ces initiatives.
Il faut saluer le travail précurseur de Didier Acouetey (Africsearch), élu «Prix de l’Entrepreneur Africain de France 2014». Il dirige le 1er cabinet de recrutement des ressources humaines africaines à destination du continent. Il aide ainsi les entreprises qui s’impliquent sur le continent à trouver dans leurs potentiels humains et organisationnels, les talents et leviers cachés de performance.
En effet, l’Afrique dispose de 4 points forts qui fondent les espoirs sur avenir. Sa démographie qui en fera une des régions où le nombre d’adultes en âge de travailler sera le plus important (1,4 milliard à l’horizon 2050). Cela lui permet de voir émerger une importante classe moyenne (~350 millions d’individus), d’ores et déjà supérieure à celle de la Chine ou de l’Inde. Ensuite, ses ressources naturelles : les gisements découverts de gaz et de pétrole sont plus nombreux, chaque année. Il ne faut pas oublier ses minerais : phosphates, zircon, fer, etc. Enfin, l’Afrique concentre 16% des terres arables mondiales et aussi 60% de ces terres arables, non encore cultivées.
L’Afrique, convoitée par les puissances économiques
Au vu de tous ces atouts, le président américain, Barack Obama, avait invité les dirigeants de 47 pays africains à participer à un sommet à la Maison Blanche les 5 et 6 août derniers. Cette rencontre visait à «renforcer les liens avec l’une des régions les plus dynamiques du monde», selon le porte-parole de la présidence américaine. Le but affiché était de faire «progresser les objectifs en matière de commerce et d’investissement en Afrique et mettre en évidence l’engagement des États-Unis pour la sécurité de l’Afrique, le développement de la démocratie et de ses habitants».
C’est parce qu’également, le continent africain est devenu, ces dernières années, le champ de bataille de grands pays industrialisés qui y voient un réservoir de matières premières énergétiques et minières et surtout un immense potentiel de consommation en pleine croissance.
Aujourd’hui, la Chine est devenue le second partenaire commercial de l’Afrique, derrière les États-Unis et surtout devant la France (!), les échanges sino-africains augmentant très rapidement. Pour les Etats africains, Pékin est un partenaire commercial idéal, qui n’impose pas de conditions politiques particulières à ses fournisseurs et qui leur assure même un soutien diplomatique. Mais les relations sino-africaines heurtent fort les intérêts des Etats-Unis soucieux, eux aussi, de diversifier leur approvisionnement pétrolier. Le Forum sur la coopération sino-africaine est devenu un cadre de discussion pour une plus grande coopération économique entre la Chine et l’Afrique. Organisé tous les 3 ans depuis 2000, le Forum est devenu un évènement-clef pour les économies chinoises et africaines, reflété par le nombre élevé de présidents participants. D’importants accords d’entraide et d’importants contrats sont annoncés à chaque forum. Il est de plus en plus considéré comme plus important que les sommets France-Afrique.
D’autres acteurs des pays émergents comme l’Inde ou le Brésil cherchent aussi à intensifier leurs relations économiques et commerciales. Depuis 2008, New Delhi organise son Sommet Inde- Afrique, avec l’objectif affiché de prendre pieds dans ce continent de toutes les espérances de business et d’opportunités.
La «francophonie économique», c’est quoi même ?
Aujourd’hui, plus que jamais auparavant, le continent africain est à la croisée des convoitises des puissances qui se disputent le leadership mondial. D’où l’intérêt de poser la question de la pertinence de la «francophonie économique».
Pour Boubakar Dione, Directeur Juridique du Groupe BPI (Banque Publique d’Investissement, France), «force est de constater que le potentiel économique de la francophonie est immense et l’effacement progressif des frontières nationales dans le contexte de la mondialisation nous imposent d’autres critères d’appartenance identitaire : la langue et un socle commun de valeurs peuvent représenter ces nouveaux critères. L’avenir de la francophonie économique se jouera sans aucun doute en Afrique qui pourrait devenir le premier continent francophone à l’horizon 2050 si l’on se réfère aux projections en matière de démographie. Le potentiel de croissance du continent africain attire les entreprises de tous les pays, d’où l’intérêt d’avoir un espace de développement et d’échanges économiques familier avec, au-delà de la question linguistique, des références à la fois culturelles et économiques communes et un système de valeurs similaire. Les pays africains francophones pourraient avoir intérêt à mettre l’accent sur ces notions pour conserver un avantage compétitif par rapport aux pays non francophones d’une part, dans leurs relations avec les grands pays francophones (ou francophiles) comme la France, la Belgique, le Luxembourg, le Québec ou encore la Suisse et d’autre part dans les relations intra-africaines».
Quant à la conception d’une francophonie économique comme possible marché commun émergent, en concurrence avec les autres zones économiques intégrées, notamment sur le marché africain, le doyen Pathé Dione, président fondateur du Groupe SUNU Assurances (19 compagnies dans 11 pays africains), tempère un peu les enthousiasmes. «Je ne suis pas persuadé, compte tenu de la faible taille des zones économiques intégrées francophones (UEMOA et CEMAC), que la structure actuelle de ces zones soit pérenne. La zone UEMOA devrait laisser place à la CEDEAO dès lors que les modalités d’une intégration économique complète seront adoptées (critères politiques, monétaires, sociaux…). La composante francophone de ce grand ensemble aiderait alors à avoir un dialogue et des échanges plus équilibrés avec le reste du monde francophone. Je suis convaincu que l’avenir de notre continent dépendra de la réussite des grands ensembles intégrés et les francophones y joueront un rôle important. Il y a lieu de porter une attention particulière à la coopération dans la formation, surtout dans l’enseignement supérieur, compte tenu de l’indigence de sa partie publique. Les établissements supérieurs français, canadiens, etc. devraient contribuer activement à la création et au développement des business schools en Afrique francophone. Cela contribuerait beaucoup dans le développement de la francophonie économique».
Pour mieux asseoir les bases de ce partenariat mutuellement avantageux entre entreprises francophones du Nord et celles du Sud, le doyen Pathé Dione pense qu’il y a plusieurs secteurs économiques dans lesquels des partenariats peuvent s’instaurer dans l’intérêt de toutes les parties. «L’Afrique a besoin d’un tissu industriel intermédiaire avec une main-d’œuvre qualifiée. Une voie où le partenariat francophone peut voir le jour, très rapidement, sans une nécessité d’investissements lourds. L’épargne institutionnelle collectée par les sociétés d’assurance de la zone pourraient participer au financement partiel de ce genre de partenariat».
Pour un partenariat francophone Nord-Sud «gagnant-gagnant»
Pour booster ces échanges économiques au sein de l’espace francophone, il est primordial de mettre en place des mécanismes juridiques comme l’OHADA qui a permis de préserver le droit romaniste, source des systèmes juridiques de nombreux pays africains et d’éviter la suprématie du droit anglo-saxon. M. Boubakar Dione pense «qu’il serait utile de renforcer l’intégration de l’OHADA dans le domaine du droit des affaires et d’envisager un élargissement géographique de son périmètre, notamment à des pays non francophones. Ce qui est déjà le cas (Guinée-Bissau et Guinée Equatoriale) et qui montre la pertinence de cette initiative».
Pourtant, malgré tous ces atouts, outils et instruments communautaires que constituent le franc CFA, le Droit OHADA et autres communautés économiques UEMOA et CEMAC, les freins au commerce intra-africain restent toujours de mise. Le Directeur Juridique de BPI France regrette cet état de fait. Pour lui, «il existe d’importantes barrières infrastructurelles et organisationnelles au commerce au sein de l’Afrique». Il cite une étude de la Banque mondiale qui informe que «l’infrastructure déficiente, en particulier les routes et chemins de fer, représente un obstacle capital» au commerce intra-africain, avec des coûts de transport de «+60 % supérieurs à la moyenne dans les pays développés». Par ailleurs, il constate «un paradoxe criant entre la variété des outils d’intégration régionale et la réalité quotidienne des acteurs économiques, à savoir les nombreux postes frontaliers et douaniers en Afrique, avec la bureaucratie et les longs délais qui les accompagnent, ce qui constitue un frein au commerce et à la croissance économique sur le continent. Effet collatéral de cette situation, une part élevée des échanges commerciaux se fait de manière informelle, privant les gouvernements des recettes fiscales du commerce et favorisant la corruption. Malheureusement, jusqu’à présent et malgré ces outils de coopération et d’intégration, les pays africains ont été incapables d’exploiter convenablement les synergies et complémentarités de leurs économies et tirer pleinement profit des économies d’échelle et autres bénéfices d’une intégration des marchés. Nos décideurs doivent au-delà des accords institutionnels afin de promouvoir un processus résolument volontariste pour approfondir l’intégration régionale».
A l’attention des décideurs politiques de la Francophonie qui vont se réunir à Dakar, le doyen Pathé Dione lance un message d’espoir pour une meilleure prise en compte de la dimension économique de l’espace francophone. «Nous avons besoin de places financières dynamiques et intégrées, d’un allègement des contraintes administratives, d’une fiscalité incitative pour l’amélioration de la collecte de l’épargne collective comme de l’épargne individuelle», plaide-t-il.
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