Dernière-née des sociétés transformatrices de tomate fraiche au Sénégal, Takamoul Food n’en demeure pas moins ambitieuse. Sous la houlette de Cheikh Ahmed Tidiane Sy, un banquier reconverti dans l’agro-industrie, la seule industrie, qui produit localement du ketchup, aspire à dominer le marché local de la tomate et de ses dérivés et à aromatiser les plats dans la sous- région.
Septembre 2011. Le premier-né des produits Takamoul Food sort d’usine. En cette période d’été, la chaleur des cœurs des 7 actionnaires de la boîte éponyme peut se ressentir à travers leur sourire. «Pod’Or, le nom donné au 1er produit Takamoul Food, est sorti de l’usine de Mbao. Un choix pas fortuit mais assumé. Cependant, cela a été fait pour rester dans la lignée de certains produits lancés dont le lait et l’huile Pod’Or. Les actionnaires étaient habités par un sentiment de fierté, à ces moments. Ils brisaient le mythe tenace qui veut qu’au Sénégal, les commerçants ne créent pas d’industrie. Ils prouvaient à tout le monde qu’on peut bien faire du commerce en créant des emplois et une plus-value pour l’économie nationale en dehors des droits de douane, des impôts et des 4 ou 5 revendeurs employés. Aujourd’hui, ils sont détenteurs de patrimoine et des investissements de plus de 6 milliards FCFA. Cela les met dans une situation inédite. Takamoul Food emploie actuellement une centaine de permanents et jusqu’à 400 journaliers et saisonniers en période de pointe», renseigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy, son Directeur Général.
Un business halal, basé sur l’éthique
Une nouvelle manière de faire des affaires basée sur des valeurs a été à l’origine de la création de Takamoul Food. Pour ce faire, les 7 actionnaires, ont mis en commun leurs forces financières et leur relation privilégiée avec un industriel de Dubaï le Groupe HASSANI TRADING COMPANY, pour matérialiser ce rêve. Ils l’ont convaincu d’implanter une unité de traitement et de production tomate double concentré et de ketchup. «Les actionnaires étaient dans l’importation et le conditionnement de produits agro-alimentaires. Fort de cette expérience, ils ont décidé de rassembler leurs forces d’où le nom arabe Takamoul ou «intégration», pour travailler ensemble avec l’industriel de Dubaï qui était bien intentionné pour investir en Afrique», raconte M. Sy.
Une belle illustration de cette intégration, nouée avec des capitaux sénégalais et émiratis pour monter une industrie avec des compétences sénégalaises. Les Emiratis étant les partenaires stratégiques techniques et les Sénégalais, les partenaires financiers et commerciaux.
En effet, le Mali, la Côte d’Ivoire, la Guinée, la Gambie et toute la sous-région ouest-africaine est une cible privilégiée de Takamoul Food. Pour M. Sy, les 3 industries sénégalaises de la tomate peuvent, si elles le veulent, s’allier pour gagner et dominer ce marché communautaire, encore vierge de concurrents. «Avec l’entrée en vigueur du TEC/ CEDEAO qui va taxer les produits hors communauté à un tarif de 35%, aujourd’hui, nous avons la possibilité de mieux nous implanter dans la sous-région. Toutefois, d’autres menaces se profilent à l’horizon, avec l’harmonisation des normes CEDEAO sur la tomate double concentré qui autorisera les produits communautaires à rentrer sur le marché national naguère protégé. D’où la nécessité de conjuguer nos efforts pour aller à l’assaut du marché communautaire tout en préservant nos acquis sur le marché local. Il faudra trouver des circuits communs à l’export pour commercialiser nos produits. C’est le challenge de notre secteur, à mon avis. C’est vrai qu’on veut être leader du marché local, mais mon ambition est de faire du Sénégal, le hub de la tomate de la sous-région avec de grosses parts de marché. L’idée de devenir une entreprise franche d’exportation ne me déplaît pas avec 80% de nos produits destinés à l’export. C’est la vocation première de Takamoul Food : être leader de la sous-région», précise M. Sy.
Un pari sur l’innovation
Pour réussir ce pari audacieux, les dirigeants ont mis en place un pôle Recherche & Développement, chargé de porter l’innovation en matière de packaging mais aussi dans la diversification de nos produits pour répondre efficacement aux attentes du client. A cet effet, un laboratoire de dernière génération a été construit. «Quand on veut une chose, il faut s’en donner les moyens», selon M. Sy.
Mais, pour le moment, Takamoul Food veut consolider les investissements réalisés depuis 2011, d’une valeur de 6 milliards FCFA. Ainsi, une gamme de plusieurs produits a été mise à la disposition des consommateurs sénégalais et de la Sous-Région. «Nous sommes une entreprise très innovante. Nous avons lancé un format sur le marché local qui a bouleversé les habitudes des concurrents. Avant, il n’y avait qu’un certain type de format sur le marché, mais avec l’arrivée de Takamoul Food, l’offre s’est élargie pour le grand bonheur des consommateurs. C’est Takamoul Food qui a initié le format de 400 grammes. Les emballages easy-open également au Sénégal, sur le marché de la tomate, c’est Takamoul Food qui a lancé le format. Pour faire plus simple, nous avons lancé les formats de 70g, 400g, 800 et 2kg. Takamoul Food vient de lancer le format 2kg en plastique dont l’emballage est réutilisable par les ménagères une forme de lutter dans le cadre de notre RSE, contre l’utilisation des pots vides de tomates par les enfants de la rue. En plus, nous avons le ketchup avec 2 formats pour ce produit, le 340 ml et le bidon de 5 litres. Concernant le ketchup, il faut préciser que Takamoul Food est la seule entreprise à en faire au Sénégal», mais là encore, nous subissons la concurrence déloyale des produits importés frauduleusement.
L’Etat doit soutenir le secteur
Cependant, ces performances ne doivent pas cacher certains manquements qu’a connus l’entreprise. Dus à l’excès de zèle du débutant. Des tares qui ont permis à Takamoul Food de grandir dans sa gestion interne, et aussi dans ses rapports avec ses partenaires impliqués dans toute la filière tomate du pays. Aujourd’hui, Takamoul Food vise la remontée de la filière de la tomate fraiche. Un travail fait en partenariat avec le Comité National de Concertation de la Filière Tomate Industrielle regroupant des producteurs de la vallée, les structures d’encadrement de la filière, la CNCAS, les fournisseurs d’intrants, etc. Une chaîne intégrée qui va de la production à l’usine en passant par la commercialisation et le transport.
Toutefois, pour continuer à grandir, Takamoul Food aspire à quelques facilités de l’Etat. « Il est bien temps que l’État mette en œuvre un arsenal technique conséquent qui permettra aux producteurs d’avoir un meilleur rendement et des produits de meilleure qualité pour concurrencer le triple en provenance de Chine. Les rendements de la Vallée de l’ordre de 30 tonnes à l’hectare sont encore faibles comparés à d’autres pays asiatiques ou américains où on a des rendements de plus de 80 tonnes à l’hectare. On ne sent pas trop le ministère de l’Agriculture dans la filière. Aujourd’hui, on sent plus le ministère du Commerce qui assure une régulation efficace de la filière puisqu’on parle de quota d’importation. Le Centre horticole de Cambéréne doit également être mis à contribution dans la recherche et le conseil agricole pour améliorer les rendements. Le second niveau sur lequel l’État est attendu, ce sont les impôts. Nous sommes un acteur majeur de la chaine de valeur agro-alimentaire avec plus de 5000 agriculteurs qui dépendent directement de notre industrie, mais nous ne bénéficions pas d’avantages fiscaux conséquents. L’Etat pourrait envisager des mécanismes de subvention du prix au producteur pour rendre nos produits plus compétitifs sur le marché local et à l’export. Par exemple une subvention de 2 francs au kilo pèse peu sur le Budget de l’Etat, mais pourrait nous permettre de financer de nouveaux investissements. On aurait pu envisager des mécanismes d’allègement fiscal pour notre contribution au secteur agricole. Je ne dis pas qu’on ne doit pas payer des impôts, , mais juste une incitation à l’investissement dans le secteur agro-industriel qui est source de valeur ajoutée. Certes, il y a la protection tarifaire du marché de la tomate sénégalaise mais les gens oublient qu’on subit la concurrence des bouillons qui au-delà des problèmes de santé publique qu’ils peuvent comporter ne subissent aucune régulation à l’importation alors que nous, oui. Il m’arrive de travailler en deçà des capacités de l’usine, juste parce que des contingentements me l’imposent», déclare l’industriel.
Enfin, le crève-cœur des dirigeants de Takamoul Food est la fermeture de l’usine de Dagana pour défaut de matières premières. Et le DG de nous donner un scoop comme quoi, ils ont déjà formulé à l’Etat le souhait de participer au redémarrage des activités de l’usine de Dagana et une correspondance a été transmise à l’Etat en ce sens. «Nos actionnaires sont prêts à faire des efforts pour remettre sur pied cette industrie», déclare-t-il, pour prouver leur bonne foi…
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