Il s’agit donc d’un outil très complexe qui embrasse tous les résidents, secteurs et opérations dans un pays. De ce fait, analyser les nouveautés de la fiscalité d’une branche particulière, telle que l’assurance, ne se limitera pas aux éléments spécifiques au secteur. Il comportera aussi l’examen des changements généraux affectant toutes les entreprises et personnes physiques ainsi que les transactions financières et immobilières.
L’Administration fiscale sénégalaise tire une grande part de son efficacité de sa stratégie de concertation régulière avec les groupes organisés de contribuables, notamment les organisations syndicales représentatives, patronales ou ouvrières. Et à travers des rencontres systématiques sur l’interprétation et l’application du Code et aussi une véritable écoute du Secteur privé dans la mise au point des réformes fiscales, en vue de l’acceptation de l’impôt par les usagers.
Les sociétés d’Assurances ont largement participé à ces concertations avec la Direction Générale des Impôts et Domaines (DGID) et si le secteur subit, avec les autres entreprises une pression fiscale accrue sur ses revenus, des efforts sont faits pour alléger la fiscalité de certains produits d’assurances. Mais le secteur en entier reste encore pénalisé par une fiscalité indirecte discriminatoire, héritée du système français.
Une pression fiscale accrue sur les sociétés d’assurances…
Toutes les entreprises, y compris les assurances, subissent une augmentation du taux de l’impôt sur les sociétés qui passe de 25% à 30%, dès 2013 : les résultats imposés au nouveau taux sont ceux de l’exercice 2012.
L’inconvénient majeur de cette date d’entrée en application est sa rétro- action : les arbitrages de gestion opérés par les entreprises sur la base des revenus nets d’impôt l’ont été, jusqu’au dernier trimestre 2012, sur la base du taux d’IS qui était en vigueur jusqu’à l’adoption du nouveau taux, c’est-à-dire : 25%. S’ajoutant aux effets dépresseurs d’une année électorale, cette décision de fin d’année consacre, pour les entreprises formelles, une sorte de parachèvement fatal.
Car, malgré la baisse de la croissance notée en 2012, on devrait ressentir sur les recettes de l’exercice 2013 l’impact de cette hausse de 5 points, soit 20% sur le taux d’imposition.
Dans le même temps et, comme qui dirait, en contrepartie de cette hausse de l’impôt direct sur les sociétés, les traitements et salaires les plus faibles (inférieurs à 2,5 millions mensuels) connaissent une baisse de leur fiscalité. Cette baisse, consentie en réponse à la pression de la demande sociale, ne concerne pas les salaires les plus élevés.
Sur la base des statistiques de 2009, pour un bénéfice réalisé par les Assurances de 4 Milliards, l’IS s’est élevé à 0,93 Mds, soit 25% ; les retenues à la source sur les 616 salariés du secteur, principalement l’impôt sur le revenu, étaient de 2,17 Mds. Dans l’hypothèse d’une neutralité du nouvel impôt sur les recettes fiscales provenant de l’imposition des revenus dans le secteur, l’augmentation de l’IS de 180 millions environ (+20% de 0,93 Md) devrait être compensée par une baisse de même montant des impôts sur les salaires (-8,3% de 2,17 Mds).
Outre cette augmentation générale de l’IS, les sociétés d’assurance ont droit à un traitement spécial qui montre que l’Administration fiscale connait, de mieux en mieux, les arcanes du métier d’assureur. En effet, en attendant de régler leurs sinistres, les assureurs constituent des provisions de sinistres à payer. La règle est de prévoir, le plus exactement possible, pour ne pas être à défaut au moment de la liquidation. La prudence professionnelle commande même de charger cette dette de 5%, pour parer à une variation, inattendue mais modérée. La bonne pratique en la matière est de liquider les provisions avec des plus-values, appelées boni de liquidation. La dérive la plus grave du métier se traduit par une sous-estimation systématique des dettes vis-à-vis du public : les mali de liquidation doivent être financés et leur généralisation conduit à la ruine de l’assureur. Une autre déviation, résultant de cette estimation des engagements, est, à l’inverse, une systématisation de boni importants, excédant la marge de 5%. Les bénéfices imposables, qui auraient été constatés au cours de l’exercice de constitution de la charge artificiellement majorée, se trouvent ainsi révélés seulement au cours de l’exercice de liquidation.
Outre l’imposition du bénéfice supplémentaire, ces boni excédant la franchise de 5% acquittent un taux d’intérêt mensuel de 0,33%. Soit un taux annuel de près de 4% qui s’applique aux années écoulées depuis la constitution ou l’aggravation, déduction faite, le cas échéant d’années au cours desquels l’IS n’était pas dû. Il faut saluer la modération du taux d’intérêt de la trésorerie différée et relever, tout de même, que les entreprises qui ont volontairement évité une taxation de 25%, se retrouvent avec un IS majoré à 30% !
L’application des rappels d’intérêts débiteurs attachés à des surévaluations individuelles excessives de sinistres à payer ne poserait pas de problème, sauf si, des sous-estimations de provisions interviennent au cours des mêmes exercices. Comme cette taxation intervient pour la première fois, l’esprit de la loi sera respecté si l’intérêt débiteur, sanctionnant l’excès de prudence, est atténué par un «intérêt créditeur» permettant de tenir compte des sous-estimations concomitantes. En pratique, si cette idée respectueuse de l’esprit de la loi- et non de sa lettre- était retenue, il conviendrait d’individualiser par exercice d’origine les plus-values nettes constatées au cours d’un inventaire donné.
La modalité d’application, prévue par la loi, comme en matière de TVA, vient conforter la règle générale obligeant à procéder aux arrêtés annuels avant le 30 avril. Jusqu’à présent, l’Administration fiscale faisant preuve de compréhension, accordait systématiquement les prorogations demandées, pour se caler sur les exigences de date de dépôt du Régulateur des assureurs. A vrai dire, la date de droit commun, pour déposer localement les dossiers de clôture des exercices, me parait propre à aider à être plus rigoureuses nos sociétés sénégalaises, non liées qu’elles sont à des impératifs de discipline de groupes multinationaux et de reporting précoce. En rendant impérative une norme de bonne gouvernance, le CGI, ainsi interprété et appliqué, nous parait aussi être dans son rôle d’encadrement des bonnes pratiques.
L’incitation à souscrire des contrats d’assurance
L’Administration fiscale s’est rendue aux arguments de la Fédération Sénégalaise des Sociétés d’Assurances (FSSA) qui a fait valoir que les travailleurs actifs d’aujourd’hui avaient besoin d’être incités et encouragés à organiser, pour eux-mêmes, des retraites complémentaires, compte tenu du niveau modique actuel des pensions de base.
Outre les titulaires de revenus imposables, déjà autorisés à le faire dans les limites étroites d’un plafond de cotisation déductible plutôt bas, ce sont surtout les employeurs qui peuvent désormais déduire de leurs charges d’exploitation normales, les primes d’assurance complémentaire. Là, c’est tout leur personnel ou toute une catégorie de celui-ci qui est concerné, et dans la limite de 10% du salaire. Le volume de l’épargne institutionnelle collectable est considérable…
L’incitation fiscale vient de ce qu’à leur constitution, ces revenus différés des employés ne sont taxés ni entre les mains de l’employeur, ni entre celles du salarié. En outre, à la sortie, la règle précédente était l’exonération totale des sorties en capital, quelle que soit la durée du contrat et la taxation des rentes au régime de droit commun. Dans le nouveau Code, il semble que le législateur ait voulu introduire une prime aux contrats de longue durée (dont le capital reste exonéré), tandis que les contrats de courte durée (dix ans ou moins et non : «au moins») seraient soumis, comme d’autres emplois de l’épargne publique, à un prélèvement libératoire de 10% sur le capital.
Pour bien situer la portée de cette mesure, il faut convoquer les statistiques comptables agrégées du secteur formel : les 7 012 entreprises suivies au CUCCI en 2011 ont eu comme charge de salaires 702 milliards, soit environ 600 Mds nets de charges sociales. Autrement dit, si tous les employeurs jouent le jeu et si les assureurs savent se montrer convaincants, le Sénégal pourra disposer, dans une décennie, d’un Fonds d’épargne institutionnelle privé de plusieurs centaines de milliards. Avec ses propres ressources !
La même incitation fiscale s’adresse à l’externalisation des Indemnités de Fin de Carrière (IFC) qui est cette provision incombant aux employeurs, en vertu de la Convention collective interprofessionnelle. L’Etat avait déjà accordé la déductibilité de la charge annuelle de droits constitués. Il vient d’étendre cette exonération d’IS aux droits acquis antérieurement, à raison de 20% du total par an, depuis le 1er janvier 2013.
Cette mesure de réduction immédiate de l’assiette fiscale d’imposition des revenus des sociétés est une manœuvre savante qui installe un partenariat gagnant-gagnant entre l’Etat, les employeurs et les salariés : les derniers gagnent l’assurance de percevoir leurs droits en fin de carrière, éventuellement majorés de bonifications, même en cas de retournement de sort comparable à celui d’Air Afrique ou d’Air Sénégal. Le Patronat gagne à remplacer le nominal, soumis à l’IS, d’une provision obligatoire, par un contrat avec des opérateurs agréés. Un contrat moins cher de 10 à 20%, parfois davantage, et une charge exonérée d’IS. Les gestionnaires de l’assiette fiscale gagnent immédiatement une amélioration du partage de sort entre l’Etat et les opérateurs, synonyme de transparence, avec, à terme, l’amélioration des perspectives de recettes.
L’ordre de grandeur de l’objectif d’externalisation résulte de la suppression dans les bilans des dettes sociales, liées à la constatation de cette provision pour les IFC. D’après les bilans agrégés des 7 012 entreprises du CUCCI, évoquées plus haut, les dettes sociales s’élevaient à 102 milliards au 31/12/2011. La provision IFC constitue la plus grande part de ce chiffre, car la dernière trimestrialité des cotisations à l’Institut de Prévoyance Retraite du Sénégal (IPRES) et à la Caisse de Sécurité Sociale (CSS), qui est la seconde grande composante de ces dettes, ne devrait pas représenter plus de 40 Mds.
Le Directeur Général des Impôts et Domaines est, pour le moment, la seule institution concernée qui ait communiqué sur cette exonération d’IS au profit des primes d’assurances. Paradoxalement, ni les assureurs, ni le Patronat, ni les syndicats de travailleurs ne se sont saisis de ces avancées fiscales installées pour générer une épargne longue.
On peut même dire, à cet égard, que le nouveau CGI peut se revendiquer comme étant celui de la promotion du capital financier et humain car les entreprises sont désormais, en plus des primes Retraite complémentaire et IFC, aussi autorisées à prendre en charge les cotisations relatives à l’assurance-maladie.
En cette matière, il appartient aux opérateurs, dans un esprit de responsabilité et de partenariat, de répondre aux incitations ainsi proposées par l’Administration. A défaut, ce serait le risque de retour du paternalisme protecteur qui procède, par injonction d’appliquer, au moins formellement, des pratiques sécuritaires recommandées.
Les attentes encore insatisfaites
En vue de la Réforme, les Assureurs avaient émis de multiples doléances. Des moyens fiscaux d’accompagnement de certaines actions de protection et de restauration des patrimoines devaient être mis en place, notamment sous la forme d’un taux réduit de la taxe unique incendie. Après la Réforme, la couverture des risques reste soumise à un enregistrement uniforme de 20% et le législateur fiscal n’a pas voulu entendre l’introduction du taux minoré de 5%, demandé pour l’assurance des marchés ou des habitations.
Force est de reconnaître que le législateur n’avait peut-être pas tort d’ignorer une demande de réduction, non accompagnée d’un commencement d’exécution, qui rende crédible cette quête de soutien d’une action des assureurs en faveur de la protection des citoyens, face aux risques de leur vie courante : l’incendie des marchés, l’assurance de la pêche artisanale, la multirisque habitation. De toutes les façons, ces produits n’existent pas encore significativement, pour la plupart d’entre eux. Il appartient aux assureurs de construire d’abord leur assurabilité, sur une grande échelle, avant que, de façon marginale, un taux d’imposition indirect puisse être sollicité pour son impact sur la demande des assurables volontaires ou même l’acceptation des assurés assujettis.
La prochaine grande révolution fiscale de l’Assurance dépasse le seul Code sénégalais, car le pays est engagé à l’échelon de l’UEMOA par des engagements d’harmonisation globale comportant un volet fiscal. La conception économique, qui traverse cet outil de convergence, est le maintien de l’héritage discriminant les activités financières, fondées sur le commerce de l’argent et les activités matérielles (Industries, services réels, Agriculture, Mines, Pêche, Elevage). Les créations de richesses, à partir de ces activités matérielles, sont reconnues comme de véritables valeurs ajoutées à fiscaliser, de façon coordonnée, en tant que de besoin, sans pénalisation, ni iniquité. Les services financiers de support, prodigués par les banques, les établissements financiers, les institutions de micro finance et de micro assurance, les assureurs, sont un appendice réputé d’une sur- imposition extérieure à la chaine de valeurs. D’où la superposition des taux qui affecte véritablement les usagers de ces services ainsi que ceux des services financiers.
Dans le cas des Assurances, services ayant pour objet la préservation des acquis, la demande est affectée négativement par la non-intégration des impôts à côté de de celle des coûts. Et l’Assurance est renchérie par cette déconnexion. Appliquer enfin la TVA aux Assurances favorisera l’élargissement de la demande sans réduire les recettes. Car la neutralité d’un dispositif fiscal se construit par ailleurs.
Et qui sait cette généralisation n’introduirait plus de simplicité, plus d’acceptation, plus de recettes ?
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