Le Directeur général du Fonds national de la Microfinance (FONAMIF), M. Amadou Boudia Guèye revient sur les missions du fonds, ses axes d’intervention et les défis à relever pour l’essor du secteur de la Microfinance et de l’Economie sociale et solidaire au Sénégal. Entretien.
Deux ans après sa création, pouvez-vous revenir sur les missions, les principales attributions et le rôle attendu du FONAMIF dans la propulsion du secteur de la Microfinance au Sénégal ?
Le Fonds national de la Microfinance (FONAMIF) est une nouvelle structure créée, il y a juste 2 ans, par le décret N°2020-1461 du 10 juin 2020. Le FONAMIF a pour mission de mettre en place des mécanismes financiers destinés à accompagner la politique d’inclusion financière et sociale de l’Etat au profit des couches vulnérables, d’une part, et d’autre part, de contribuer à améliorer la qualité de la gouvernance opérationnelle et financière des Systèmes financiers décentralisés (SFD). Les autorités en charge de la définition des politiques publiques ont accordé une place importante au secteur de la Microfinance et de l’économie sociale et solidaire, dans les nouvelles politiques de développement du pays.
Ainsi, la création du FONAMIF répond à cette ambition du gouvernement de soutenir le secteur de la Microfinance et de l’Economie sociale et solidaire, par la mise en place de dispositifs de financement et d’encadrement, dont la finalité est de faciliter aux entrepreneurs et micro entrepreneurs, aux acteurs de l’économie sociale et solidaire, et aux couches défavorisées, l’accès aux financements et à l’accompagnement technique. La mise en place du FONAMIF est aussi la concrétisation, par Son Excellence Monsieur le Président de la République, d’une demande récurrente, datant de plus d’une quinzaine d’années, des acteurs du secteur pour doter le Sénégal d’un fonds de la Microfinance à l’instar des autres pays, comme le Togo, le Bénin, le Burkina Faso, le Congo etc.
Cet instrument stratégique sera le référentiel et le cadre d’actions des interventions de l’Etat et des différents partenaires au développement, engagés dans le secteur de la Microfinance. En définitive, le FONAMIF se positionne comme un fonds multi bailleurs, devant contribuer à apporter une cohérence institutionnelle et une rationalisation des interventions de l’Etat en matière de financement et d’accompagnement dans le secteur de la Microfinance. Il se veut aussi un instrument tendant à faciliter la mutualisation des ressources financières à travers la création d’une plateforme harmonisée d’exécution et centralisant les divers fonds épars dans le système de la Microfinance.
Est-ce que le Fonds a pu augmenter les capacités techniques et financières des SFD, au profit des jeunes, des femmes et particulièrement des populations rurales, comme prévu par la tutelle lors de son lancement ?
Rappelons que même si la création du FONAMIF date de juin 2020, il faut retenir que son démarrage n’a été effectif qu’au mois de mars 2021. Toutefois, malgré son jeune âge, le FONAMIF a pu opérer des actions de haute portée qui ont produit des résultats probants. Ainsi, sur la composante assistance technique, le FONAMIF a exécuté son programme de formation dénommé « FONAMIF TRAINING SESSION 2021 » (FTS 21) en partenariat avec l’Association professionnelle des Systèmes financiers décentralisés (APSFD), destiné aux dirigeants et au personnel technique des SFD, en particulier ceux de petite taille, pour prendre en charge les besoins en matière de mise à niveau opérationnel et de renforcement de capacités. …
…Ce programme s’est déroulé en 7 sessions de formation avec des modules et thèmes variés, dispensés à 148 bénéficiaires, provenant de 52 Institutions de Microfinance. En outre, 40 SFD ont bénéficié de l’appui du FONAMIF, dont 3 en équipement informatique et 37 pour l’apurement de leurs arriérés de paiement de redevance de connexion sur la plateforme mutualisée du CTISEN. Au plan financier, malgré la faiblesse des ressources, une enveloppe de 200 000 000 FCFA a été distribuée au profit de 13 SFD de petites tailles répartis dans différentes localités du pays, et exerçant régulièrement des activités dans les secteurs de la pêche, de l’agriculture, de l’élevage et de leur sous-secteurs, avec des taux de sortie maximum de 8% pour le bénéficiaire final. Ce processus sera poursuivi sur une plus grande échelle de SFD, pour toucher un plus grand nombre de ménages avec les meilleures conditionnalités afin de contribuer activement à la politique d’inclusion financière et sociale de l’Etat.
Quels sont les axes d’intervention du FONAMIF déclinés dans votre Plan d’actions stratégiques ?
Le Fonds est un instrument qui viendra appuyer la mise en œuvre de la politique d’inclusion financière de l’Etat. En cela, il va faciliter l’accès à des services de Microfinance viables et durables, au profit d’une majorité des ménages pauvres ou à faibles revenus et des micro-entrepreneurs. Le Fonds sera articulé sur deux volets autonomes, mais complémentaires, à savoir, d’une part une composante d’assistance technique en charge de l’accompagnement et des appuis institutionnels aux différents acteurs bénéficiaires, et d’autre part, une composante financière qui comprend l’octroi des financements sous forme de prêts et/ou de garanties.
Ces deux piliers sous-tendent notre stratégie articulée autour des 4 axes. L’axe 1, c’est le volet financement, refinancement, bonification et garantie à destination des SFD selon leurs statuts et tailles pour renforcer leurs ressources et agir sur les taux d’intérêt dont la baisse substantielle et conséquente est attendue. L’axe 2 concerne la gestion des lignes de financement pour comptes en vue de rationaliser l’action publique dans le secteur, centraliser les ressources et lever des fonds additionnels. Pour l’axe 3, il est composé de l’ingénierie de programmes et de projets pour accompagner les acteurs dans le montage de projets et programmes s’inscrivant dans la territorialisation des politiques publiques. Et en dernier lieu, l’axe 4 est centré sur l’assistance et l’accompagnement technique pour soutenir la mise à niveau des acteurs et permettre leur développement.
Il convient également de relever que la particularité du FONAMIF est que les produits contenus dans son plan stratégique sont conçus et destinés exclusivement aux SFD qui constituent sa cible principale et qui sont chargés d’exécuter sa politique au profit des bénéficiaires finaux. En résumé, la relation entre le FONAMIF, les institutions de Microfinance et les clients se présente comme suit : le FONAMIF agit en qualité de « grossiste » appelé dans le jargon le « wholesale ». Les IMF jouent le rôle de « détaillants » ou « Retail » et s’occupent de la distribution. Les clients sont les consommateurs et bénéficiaires finaux des produits du FONAMIF distribués par le truchement des Institutions de microfinance.
Le fonds devrait également permettre de régler le problème récurrent du taux d’intérêt. Est-ce qu’il y a des débuts prometteurs à ce propos ?
Nous savons tous aujourd’hui que le problème majeur des Institutions de Microfinance (IMF) est sans nul doute l’accès à la ressource financière. Nous constatons malheureusement que les IMF, contrairement aux banques commerciales, n’ont pas encore accès aux guichets de refinancement de la BCEAO pour lever de la ressource aux conditions préférentielles accordées par cette dernière. C’est pourquoi, pour financer leurs activités courantes, les IMF collectent de la ressource auprès de leurs clients avec l’épargne des ménages, ce qui n’est d’ailleurs pas suffisant pour la production de crédit, et qui les obligent à solliciter les banques pour disposer de lignes de refinancement, afin de satisfaire les demandes de leurs clients.
Et comme vous savez aussi, les banques empruntent auprès de la BCEAO ou au niveau de l’interbancaire avec un taux, auquel elles ajoutent leur marge pour reprêter à l’IMF, qui met à son tour sa marge au moment de prêter à ses clients. Tout ceci contribue à renchérir le coût de la ressource, et par conséquent, le taux de sortie applicable aux bénéficiaires finaux, qui sont majoritairement constitués des acteurs de l’informel et des couches vulnérables, exerçant des activités génératrices de revenus. La baisse des taux d’intérêt applicable à la clientèle, surtout des couches vulnérables, a été et demeure encore une préoccupation permanente du Chef de l’Etat. En effet, nous sommes persuadés que la mise à la disposition du FONAMIF de ressources financières concessionnelles, avec des coûts préférentiels et incitatifs et des durées plus longues, comparées à celles émanant des partenaires financiers privés, serait un début de solution à la problématique de la tarification des services financiers des IMF. Ce dispositif mis en place devrait être un important levier à activer pour une baisse conséquente des taux d’intérêt applicables à la clientèle des IMF.
Quels sont la valeur ajoutée qui est attendue et les résultats escomptés avec la mise en œuvre de la stratégie du FONAMIF ?
Le FONAMIF se veut, aujourd’hui, être un instrument national intervenant dans la mobilisation et l’allocation de ressources suffisantes et adéquates pour tout le secteur de la Microfinance, mais aussi un instrument centralisant les divers fonds épars dans le système financier. Il faut juste préciser que la création d’une structure pilote qui centralise les divers fonds épars dans le système financier, n’entraînera pas l’absorption des différents fonds sectoriels intervenant dans la Microfinance (de la pêche, de l’agriculture, de l’artisanat, de l’élevage etc.), mais conférera une meilleure efficacité à l’action publique. Ainsi, le Fonds, dans son organisation, sera constitué de compartiments ou tiroirs par secteur d’activité, donnant plus de lisibilité et de visibilité dans les actions des différentes entités étatiques, impliquées dans le financement des acteurs, exclus des circuits du financement classique et logés dans le secteur de la Microfinance. Il faut aussi rappeler que durant ces dernières décennies, la stratégie de l’Etat en matière de soutien aux couches défavorisées de la population a été accompagnée par des politiques d’inclusion économique, financière et sociale. Celles-ci se sont traduites notamment par la mise en place de différents fonds intervenant comme mécanismes de financement des SFD.
Cette approche de multiplication des fonds a permis également aux différents bailleurs de fonds internationaux de disposer d’un large choix de partenaires locaux, pour porter les projets et programmes, en fonction de leur domaine de concentration. Cependant, force est de constater que ces efforts, bien qu’ils aient permis de développer un tissu d’acteurs de microfinance important, ont entraîné également une dispersion des interventions de l’Etat, en matière de financement des populations vulnérables, limitant ainsi la rationalisation des moyens disponibles et leurs capacités individuelles à disposer de tailles critiques pour lever des financements additionnels.
A travers sa démarche, le FONAMIF apportera sa valeur ajoutée en proposant aux différents fonds publics sectoriels ou catégoriels, ainsi qu’aux bailleurs de fonds internationaux, une offre de service de gestion des lignes de financement pour compte. L’enjeu de cette offre est de rationaliser l’action publique dans le soutien à la Microfinance, par la centralisation et la mutualisation des ressources disponibles. Cette approche devrait aussi permettre au FONAMIF de disposer d’une bonne base de ressources, lui permettant de lever des financements additionnels grâce aux mécanismes d’ingénierie financière. Ainsi, le FONAMIF interviendra dans ce cadre à travers les deux volets : la gestion sous mandat de lignes de financement institutionnelles et des bailleurs de fonds internationaux destinés aux SFD, sur une base contractuelle, construite autour d’un cahier des charges, précisant les règles de financement notamment en termes de populations ciblées, de secteurs d’activités, de taux d’intérêt de sortie. Et la levée de financement, à travers des interventions conjointes avec différents fonds institutionnels, ayant délégué la gestion de leurs lignes de financement au FONAMIF, avec comme objectif de disposer d’effets de leviers et de capter des ressources additionnelles par effet multiplicateur.
Quels sont les perspectives et les principaux défis à relever pour la pérennisation de ce mécanisme, mais aussi pour l’amélioration de la gouvernance institutionnelle et la régulation du secteur de la Microfinance ?
Nous avons élaboré un plan stratégique de développement accompagné d’un plan d’actions prioritaires décliné dans 19 programmes tirés des différents axes d’intervention. Ladite stratégie, bien mise en œuvre, devra permettre au FONAMIF de marquer son empreinte et de permettre pour les prochaines années, de relever le défi de la modernisation et de la professionnalisation du secteur de la Microfinance. Nous avons retenu deux indicateurs pour mesurer la performance du FONAMIF, à savoir, d’une part, le dividende socio-économique sur les populations cibles et, d’autre part, le progrès transformatif des SFD. En effet, l’impact de notre intervention s’apprécie principalement sur le bien-être procuré aux populations ciblées à travers nos actions, tendant à accélérer la croissance, afin d’améliorer les conditions de vie et d’existence des populations sénégalaises. Aussi, le FONAMIF est dans une dynamique de contribuer, de façon active et efficace, au relèvement du taux d’inclusion financière visé par la stratégie nationale d’inclusion financière, pour le porter sur la période 2022-2026 à 65% pour les adultes et à 90% pour les Pme.
Un autre chantier important, c’est d’accompagner la transformation digitale du secteur de la Microfinance pour permettre à tous les SFD d’être dans l’ère du temps avec des services financiers digitaux, participant à moderniser ses activités. Par ailleurs, le FONAMIF qui arrive dans un contexte de relance économique et de mise en œuvre de la nouvelle politique de l’emploi au Sénégal « XEYU NDAW YI », se positionne comme un outil important pour accompagner, par le biais des IMF, les entrepreneurs et porteurs de projets en leur apportant des réponses adéquates aux problèmes auxquels ils font face et qui empêchent le développement de leurs activités. Nos quelques années de pratique dans le secteur de la Microfinance nous ont permis de constater que les besoins de financements des différents acteurs du secteur s’articulent autour de la consommation, des besoins de trésorerie et des investissements. Il s’y ajoute un besoin non négligeable pour démarrer une nouvelle activité, mais qui ne trouve que rarement une offre de financement adapté au Start-Up au niveau des SFD. Le FONAMIF, avec les ressources financières attendues, pourrait être un outil important pour accompagner les IMF et les entrepreneurs, en leur apportant des solutions de financement répondant parfaitement à leurs besoins.
Le rôle que nous entendons jouer dans la création d’emplois durables s’articulera d’abord autour de la mise en place de lignes de financement, de refinancement, de bonification et de garanties, en suite sur le module d’Ingénierie de Programmes et Projets et enfin sur l’accompagnement et l’Assistance Technique aux différents acteurs. Il est envisagé la mise en place, par le FONAMIF, de ressources longues, suffisantes et adéquates au niveau des SFD et au profit des jeunes entrepreneurs pour leur permettre de financer les outils d’exploitation, afin de les orienter vers la production et la transformation. C’est le lieu de rappeler que le FONAMIF est membre du Comité permanent de suivi des politiques d’emplois et d’insertion professionnelle, et à ce titre, proposera des solutions à travers l’Economie sociale et solidaire et la Microfinance qui se présentent comme des alternatives crédibles de lutte efficace contre le sous-emploi et la promotion de l’inclusion sociale et financière. Nous sommes persuadés que la bonne exécution de la mission du FONAMIF contribuerait à améliorer la qualité de la gouvernance opérationnelle et financière des SFD, mais aussi permettra de positionner le secteur de la Microfinance comme un véritable outil pour l’éradication de la pauvreté dans notre pays.
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