1-Quelle analyse faites-vous de la situation économique du Sénégal pour l’année 2019 ?
Je tiens d’abord à souhaiter mes meilleurs vœux au peuple sénégalais en général et à tous vos lecteurs en particulier. Que l’année 2020 soit beaucoup meilleure que 2019 sur tous les plans. Sur le plan économique, l’année 2019 était marquée par les élections présentielles avec toutes ces incertitudes qui ont négativement impacté sur l’économie. La perspective d’élection réduit la motivation des diverses personnes nommées dans les postes de responsabilité, avec une baisse de productivité qui s’explique également par l’obligation de descendre sur le terrain politique. Le Président Macky Sall avait introduit cette mauvaise tendance dès 2014 en menaçant de destitution les responsables qui ne gagnaient pas les municipales dans leurs localités. Les interférences de la politique sur l’économie n’ont finalement pas été éradiquée par le nouveau régime alors que c’est l’un des ruptures fondamentales qu’il fallait opérer dès 2012. L’autre aspect, c’est ce qu’on appelle le cycle politico-économique qui fait qu’à l’approche des élections, les dépenses publiques ne sont plus rationnelles mais arrimées à une logique de séduction de l’électorat. On a vu des infrastructures budgétivores inaugurées précipitamment avant la fin 2018, non sans engloutir d’importantes ressources publiques mobilisés à cet effet sans respect des exigences de priorité. C’est pourquoi, le pays évolue sous le joug des tensions budgétaires et des taux de croissance économiques restés faibles et non inclusifs.
2-Si sur le plan macro-économique on peut dire que les signaux sont au vert avec un taux de croissance stabilisé à un peu plus de 6% depuis maintenant 4ans. Est- ce qu’on peut en dire de même pour l’économie réelle ?
Il faut reconnaitre que durant la période pré-2012, le taux de croissance moyen sous Abdoulaye WADE était de 3% environ. Et que durant la période 2014-2019, la moyenne de croissance tourne autour de 5%. Il y a donc une légère embelli sur le plan des chiffres. Mais le gouvernement traine de manière plus prononcée les mêmes problèmes liés à la demande sociale, des centaines de milliards de FCFA d’arriérés vis-à-vis du secteur privé et des déficits financiers et matériels très importants dans le secteur de l’éducation, de la formation, de la santé et de l’agriculture. D’autre part, il importe de relater que ces taux de croissance sont faibles par rapport aux objectifs du PSE (7,1% de croissance en moyenne entre 2014-2018). C’est dans ce contexte de faibles créations de valeurs ajoutées que l’État s’est engagé depuis 2012 dans des filets sociaux qui engloutissent de plus en plus de fonds laissant ainsi des déficits importants dans les instruments d’actions sociales et d’équité comme la CMU (20 milliards FCFA de dettes vis-à-vis des structures sanitaires et d’autres fournisseurs) ou le PUDC (on parle de 24 milliards d’arrières).
3-Le Sénégal dans la deuxième phase de son PSE, opte pour une croissance inclusive qui prend en charge tous les secteurs de la vie active de l’économie nationale. Est-ce là une réponse appropriée pour corriger cette hérésie d’économie extravertie que le Sénégal subit ?
Il faut partir de la phase 1 du PSE pour mieux comprendre et engager les actions à mener dans la phase 2. Le PSE est une source d’inspiration de l’action publique assez acceptable, qui tient compte des ODD à hauteur de plus de 77% selon le rapport 2018 Ministère de l’économie et des finances. Il s’agit d’un excellent score sur les ODD. Mais plusieurs ajustements doivent être faits pour que cette phase 2 puisse être génératrice d’une croissance inclusive. Le plan d’actions prioritaires 2014-2018 nécessitait un financement de 9700 milliards FCFA et au groupe consultatif de Paris, le Sénégal avait obtenu 3927 milliards FCFA d’engagement. En 2018, environ 5 700 milliards FCFA avaient déjà été injectés avec un endettement de 2054 milliards (sur les 3924). Il s’agit aussi d’un bon taux d’injection de fonds et d’absorption des lignes de crédits ouverts. Mais la croissance cumulée n’a été que de 23% sur les quatre années de 2014 à 2018. Avec un taux d’investissement situé autour de 29%, cela signifie que la productivité globale de l’économie sénégalaise n’est que de 18%. Il s’agit d’une très faible productivité qui nécessite la révision des moteurs de croissance qui doivent focaliser l’attention de l’autorité publique durant cette phase 2 du PSE. L’accompagnement des industries naissantes, dont la mortalité est de plus de 80% avant leurs deux premières années, est un chantier de planification primordiale. Mais en gros, la primauté, c’est d’inventer tous les mécanismes nécessaires pour faire jouer au secteur privé national son véritable rôle. Déjà 20% de créations valeurs ajoutées proviennent de l’investissement français. Et depuis l’année 2012, il a été constaté une exacerbation de la venue d’investisseurs marocains, indiens, turcs et autres, qui ont creusé le degré d’extraversion de l’économie et le caractère non inclusif de la croissance économique. Les Investissements directs étrangers (IDE) sont très importants, mais l’unique gage d’inversion de l’extraversion de l’économie sénégalaise est de se focaliser sur le secteur privé national.
4- Quelle stratégie de gestion de la dette a mis aujourd’hui le Sénégal pour le financement de son économie en tant que pays en développement ?
La logique voudrait que la dette devienne de moins en moins nécessaire si les premières dettes contractées ont eu la productivité nécessaire. Il est quand même désolant de constater qu’après avoir obtenu des engagements de 3927 milliards FCFA au groupe consultatif en 2014 pour le PAP 1, l’État du Sénégal est retourné à Paris en 2018 pour obtenir des engagements de 7356 milliards pour le PAP 2. Normalement si les dettes contractés dans le PAP 1 avait le résultat et la productivité escomptés, l’État n’aurait pas eu besoin d’aller solliciter encore plus en 2018. Le problème est que depuis les années 80, le service de la dette est resté être un poste prééminent des charges publiques. Sur des ressources publiques attendues à près de 3700 milliards FCFA en 2020, l’État du Sénégal va payer un service de la dette de 872 milliards FCFA, soit près de 25% du budget. Et de 17% du PIB en 2017, la dette est actuellement à près de 55% de PIB (bien réduite à cause du changement d’année de base en 2014). Donc l’encours de la dette est à 15 points de pourcentage du plafond de 70% fixé dans le cadre des critères de convergence de l’UEMOA. La dette est donc solvable et non soutenable.
5- Est-ce que l’investissement direct étranger ne constitue pas un goulot d’étranglement pour le secteur privé national sénégalais qui ne parvient pas à avoir accès aux grands marchés publics de l’État ?
Comme nous l’avons dit plus haut, les IDE sont très importants, ils sont un appoint indispensable pour notre développement. Sauf qu’à l’image des autres pays plus stratèges d’Asie et d’Amérique latine, il faudra mieux l’organiser dans le sens de nos intérêts. Il faudra appuyer l’organisation du secteur privé et informel local pour leur permettre d’aspirer une part consistante des marchés. C’est d’ailleurs cette dynamique que veut impulser le Club des Investisseurs Sénégalais (CIS). Même dans l’informel, il faudra organiser par exemple les artisans de Ngaay Mekhé en consortiums viables pouvant exécuter certains marchés publics.
6-Conformément aux directives de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa), le Sénégal va migrer en 2020 vers un nouveau système de gestion des finances publiques à travers le budget programme. Qu’est-ce qu’on peut attendre de cette transition dans l’exécution du budget ?
Le Sénégal n’a pas pu respecter l’échéance de 2017 pour la transposition effective de la réforme budget programme, mais il reste bon élève dans l’UEMOA par ce que seul le Burkina semble réellement être en avance sur le Sénégal dans cette réforme. La déconcentration de l’ordonnancement des dépenses a été instituée pour 2020 et tous les Ministères et institutions ont pu avoir leurs budgets sous format budget programmes (Document de programmation pluriannuel des dépenses et Projet annuel de performance) par l’intermédiaire du Système Intégré de Gestion de l’Information financière (SIGIF). Il reste un volet indispensable, c’est à dire la nomination des responsables de programmes qui sont au cœur de dispositif d’exécution, de suivi et d’évaluation. Il est également crucial d’engager une nouvelle campagne de sensibilisation et de formation de tous les parties prenantes, aussi bien les élus, les cadres et autres agents des administrations.
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