Qui se cache derrière Marie Ba, le grand Expert-comptable ?
Sur le plan personnel, je suis mariée, mère de 3 enfants. Au niveau académique, j’ai fait mes études à l’Ecole Supérieure de Commerce de Toulouse et c’est à Toulouse, «la ville rose» où j’ai obtenu mon diplôme d’Expert-comptable. Ensuite, ma carrière professionnelle est partagée entre un cabinet d’audit et de conseil international, implanté en France et au Sénégal et la Commission de Vérification des Comptes et de Contrôle des Entreprises Publiques, jusqu’au 1er Mars 1990. A cette date, je me suis installée à mon propre compte sous le nom de Cabinet Marie Ba/ MBA (Management Business Audit). Depuis, je continue de travailler au développement de ce cabinet au Sénégal et dans la sous-région.
Pouvez-vous nous rappeler les différentes péripéties qui ont jalonné la vie du Cabinet ?
En mars 1990, quand je m’installais, j’avais une dizaine d’années d’expérience professionnelle. Je me suis installée, avec comme seul mobilier de bureau, la table à manger de ma soeur recouverte d’un drap blanc, sur laquelle j’ai posé un ordinateur et une imprimante de dernière génération pour l’époque. Comme mon mari m’appuyait pour la gestion de l’intendance à la maison, je pouvais me permettre de choisir mes clients et de démarrer très fort avec de grands comptes. Et le cabinet a grossi très vite… En interne, le débat a été posé. Nous avions le choix entre rester un cabinet local ou retrouver une signature internationale. Nous étions à la croisée des chemins. Il nous fallait trouver un partenaire pour continuer notre développement. Soit avec un cabinet local, soit avec un réseau international. Au final, la décision a été prise d’intégrer le réseau KPMG. Ce qui aura pour conséquence la fusion avec le cabinet KPMG Sénégal ; le projet de fusion a été publiquement annoncé le 17 janvier 2013, au cours d une fête qui a réuni (à nouveau) de nombreux convives, clients et partenaires, confrères et amis, avec bien sûr nos collaborateurs…
Peut-on dire que c’est un «mariage catholique», donc sans «divorce», «pour le meilleur et pour le pire» ?
Je rappelle que MBA est un cabinet d’audit et de conseil de droit sénégalais qui a décidé, en toute indépendance, de rejoindre le réseau mondial KPMG, pour, comme vous dites, «le meilleur comme pour le pire». A partir de là, il n’y a plus de possibilité de revenir en arrière. Il y a toujours eu une progression continue depuis le Cabinet individuel Marie Ba/ MBA jusqu’à aujourd’hui, avec un saut qualitatif à chaque étape, pour la clientèle et pour nous. Nous avons bon espoir que cette fois encore, la réussite sera au bout de l’effort avec une intégration réussie dans KPMG qui est un «major» de classe mondiale dans le domaine de l’audit et du conseil.
En tant que femme leader, avez-vous promu des compétences féminines à des postes de responsabilité ?
Dans le cabinet, il y a toujours eu une prédominance féminine. Pour être honnête, je ne l’ai pas recherchée. Pour avoir été traitées normalement, les femmes ont toujours été présentes et ont souvent été majoritaires. Il est arrivé dans le top management qu’il y ait un seul homme, comme actuellement où l’on compte deux femmes sur les trois managers confirmés du cabinet. La première raison est que nous recevons beaucoup de candidatures féminines et elles sont parmi les meilleures. Et comme, nous recherchons les meilleur(e)s…
Est-ce qu’elles arrivent à faire carrière en cabinet où les horaires sont très contraignants ?
Lors d’une conférence, il y a 2 ou 3 ans sur le thème «Femmes, Familles et Carrières», nous étions un certain nombre de femmes managers et tout le monde nous demandait comment nous avions fait pour concilier les trois ? Je me rends compte que, même maintenant, on n’a pas de solution… assez satisfaisante. On peut être frustré de n’avoir pas de solution à cette problématique de la femme qui doit mener sa carrière mais n’a pas envie de renoncer à son espace familial. En préparation de cette conférence, mes recherches sur d’autres pays comme la France avaient montré que le métier d’expert-comptable et d’auditeur s’est beaucoup féminisé. Quand je démarrais, j’étais la seule femme dans le personnel technique du cabinet alors qu’aujourd’hui, les femmes sont pratiquement majoritaires chez nous et dans plusieurs cabinets, notamment en France.
Quand je suis rentrée dans BDO, lors de ma 1ère Assemblée générale des associés, à Amsterdam, le Président de séance a dit que, pour la 1ère fois, dans cette assemblée, il venait d’avoir la chance de pouvoir dire «Madame et Messieurs». Vous voyez, à l’époque…
Comment vous avez pu parvenir à vous en sortir personnellement ?
Avec le recul, j’avoue avoir vécu une situation un peu singulière. J’ai eu mon 1ier fils pendant que j’étais étudiante. Donc, pour autant que je me souvienne, j’ai eu à concilier mes occupations de maman avec mes obligations scolaires ou professionnelles : faire mes études en étant maman, mes débuts en cabinet en étant maman…L’année où je me suis installée, j’avais 2 enfants, je voulais un 3ième et je me suis dit qu’après, ce serait plus compliqué… Il est vrai que le planning familial était encore une conquête récente et nous étions encore tout au bonheur de pouvoir décider d’avoir un enfant vers juillet-août plutôt qu’en janvier. Peut-être, ça c’était nous, nous étions dans les compromis. Aujourd’hui, les jeunes dames, et je les comprends, ne sont pas très portées vers ce type de compromis : nouvelle époque, nouvelles conquêtes. J’avais demandé à mon patron de l’époque, comment cela se passait pour les congés de maternité ? Il m’avait répondu qu’«il n’y en avait jamais eu auparavant, alors faites pour le mieux…». J’ai pris quelques semaines, je venais de temps en temps au bureau ou je travaillais chez moi. Et, il n’y avait pas encore internet, à cette époque- là…
Pour la petite histoire sur mon 1er bébé, mes camarades de classe et toute la communauté estudiantine sénégalaise de Toulouse s’étaient mobilisés pour m’assister afin de m’éviter de rater ma scolarité. Ainsi, je n’ai ni redoublé, ni bénéficié de dérogation pour remettre mes rapports de stage. Pour cela, je ne les remercierai jamais assez… Aujourd’hui encore, à chaque rencontre, ils me demandent d’abord des nouvelles de « Zizou ». Il est aujourd’hui ingénieur de l’aéronautique et a travaillé sur la fabrication de l’A380.
Etre femme en entreprise ne renforce-telle pas l’obligation de résultats ?
C’est clair ! On entend souvent dire d’une femme méritante que c’est une femme …mais elle est brillante. Comme si c’était antinomique ! Heureusement que les mentalités évoluent, positivement. Alors que j’étais dans mon premier cabinet, j’étais avec mon associé, il y avait un inventaire à faire pour La Poste à Kaolack, Ziguinchor et Tambacounda. Il désigna des hommes pour faire le travail sur le terrain sans me citer. J’en étais vexée et je le lui ai fait savoir. Il n’en revenait pas. Il voulait juste me protéger. Quand même, je suis allée, avec eux, à bord d’une Peugeot 404, sur les routes cahoteuses du Sénégal des profondeurs…
Y-a-t-il un lobby féminin pour qu’il y ait plus de femmes dans les comités de direction des entreprises ?
On voudrait que les femmes, au sommet, soient des femmes de grande qualité et qui se sont imposées par leurs qualités humaines, techniques et professionnelles.
Mais, le jeu n’est pas tout à fait égal. Je suis pour qu’on fasse plus pour que les petites filles aillent à l’école et que les jeunes filles aillent à l’université. Il ne faudrait pas qu’elles s’arrêtent parce qu’elles se sont mariées en 1ière ou
Terminale…En réunion de Conseil d’administration, très souvent, je suis la seule femme et je prends toujours le soin de faire la remarque. Cela fait sourire. Mais, parfois, on en tient compte, la fois suivante…
Entre femmes leaders, est-ce plus la solidarité ou la rivalité ?
Entre femmes leaders, je n’ai pas connaissance de relation particulière. Chacun de nous a suffisamment à faire sans compter dans son ménage et sa famille.
Certaines se rencontrent mais c’est rarement sur une base professionnelle. C’est, en général, des amies d’enfance. On ne peut parler, à mon sens, ni de rivalité, ni de solidarité. Il y a cependant des associations comme celle des femmes juristes. Il faudrait sûrement suivre leur exemple et celui de nos sœurs anglophones.
Peut-on dire que le management est asexué ou bien existe-t-il un style de management au féminin ?
Je crois que le management ne peut pas être asexué, même si on gère, selon les mêmes normes professionnelles. Que l’on soit homme ou femme, il y a bien une sensibilité personnelle. Nous, femmes, n’avons pas la même hiérarchie des priorités que les hommes, ni les mêmes relations vis-à-vis du pouvoir. Même si je ne dis pas que les femmes sont insensibles au pouvoir…
Comme entrepreneur, quel jugement portez-vous sur l’environnement des affaires au Sénégal ?
Je dois dire qu’il y a, de la part des autorités de régulation de l’environnement des affaires, un effort pour aller vers une plus large concertation avec le
Secteur privé. La dynamique est bien là. Peut-être, pouvons-nous souhaiter qu’un effort accru soit porté sur la recherche de l’efficacité. Le Secteur privé doit être le moteur de cette recherche d’efficacité en tant que force de propositions auprès des autorités de régulation. Il faut évaluer les réformes avec l’objectif de rechercher plus d’efficacité.
Comme femme leader apolitique, quelle est votre contribution citoyenne ?
La contribution citoyenne est une obligation de chacun d’entre nous, nonobstant ses convictions politiques ou son appartenance professionnelle. Pour ma part, j’essaie d’apporter ma contribution à la Collectivité dans la mesure de mes possibilités, à tous les niveaux, au plan professionnel et social. En France, il y a la taxe d’apprentissage pour aider les jeunes. Aussi, pendant 10 ans, au mois d’août, je m’occupais de 5 à 10 stagiaires au cabinet. Pour moi, c’était une façon de compenser la taxe d’apprentissage qui n’existe pas ici.
Sur le plan social, j’essaie de suivre et d’encadrer les activités de certains groupes, des jeunes et des femmes. Maintenant, l’appui et la contribution du Cabinet, ce sont les dizaines de personnes qui y ont été formées. Il y a également énormément de comptables, chefs comptables, directeurs financiers, patrons de cabinet, voire membres de gouvernements, qui sont passés par ici et avec qui nous gardons des relations qui perdurent. Relèvent également de la contribution du Cabinet, notre apport auprès de la clientèle de même qu’à l’évolution de profession comptable libérale à un certain niveau de performance. Pour ma part, il n’y a pas de «petite» contribution, car je crois en paraphrasant Saint Exupéry qu’«être homme, c’est précisément être responsable. C’est sentir, en posant sa pierre, que l’on contribue à bâtir le monde».
Avez-vous un dernier message à l’endroit des femmes travailleuses ou des jeunes qui veulent s’inspirer de votre exemple pour émerger ?
Je leur aurai recommandé de croire à la valeur «Travail». Parfois, on peut être tenté par certains raccourcis. Le chemin du travail n’est peut-être pas le plus court, ni le plus facile, mais il est souvent le plus sûr. Il faut travailler et être rigoureux dans son travail. La rigueur, ce n’est pas un jour ou 2 fois dans la semaine, c’est 7 jours sur 7 dans le plan de travail. Je pense qu’il faut intégrer la rigueur, l’innovation, le perfectionnement technique, dans ses projets. Mon slogan pour les nouvelles recrues du Cabinet, c’est les 2 «tics» : Ethique et Technique. Si j’ai un message à faire passer, c’est effectivement de veiller à ces 2 «tics».
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