La grosse commande de riz (5 000 tonnes) faite par l’État pour couvrir les besoins des populations menacées par les effets du Covid-19 en est la preuve flagrante. Par la voix du président de la République, le Sénégal mettra en place une enveloppe destinée à l’achat des denrées alimentaires dans le cadre des mesures d’accompagnement à la lutte contre la pandémie du Coronavirus qui secoue la planète entière. Ainsi, 69 milliards de FCFA issus du «Force COVID-19» doté d’un budget de 1 000 milliards de FCFA seront consacrés à cet effet.
Discours et chiffres trompeurs
Il est loin, le temps des discours dithyrambiques sur les exploits de la riziculture sénégalaise, entonnés depuis quelques années. Des discours qui distillaient à tout-va chiffres et explications sur les mécanismes qui ont permis d’atteindre de tels résultats. « L’autosuffisance en riz sera finalement atteinte en 2019… J’avais énoncé l’année 2017 pour l’atteinte de l’autosuffisance en riz, mais avec la double culture, nous allons y arriver vers fin 2018, début 2019 », avait soutenu le Président Macky Sall à la Revue annuelle conjointe (RAC) 2017.
Dans la même veine, plusieurs responsables étatiques tenaient le même discours triomphal. « On attend des productions intéressantes. Nous étions à plus de 1 million 200 mille tonnes en 2018. Nous sommes à peu près aux mêmes chiffres en 2019. Nous attendons les chiffres définitifs, mais partout où nous avons été, les rendements vont dépasser ceux de l’année passée. Nous nous attendons à une production supérieure à celle de l’année dernière », déclarait Dr Wally Diouf, coordonnateur du Programme national d’autosuffisance alimentaire en riz (Pnar), en marge du 2ème Comité conjoint de coordination (Ccc) du Projet d’amélioration de la productivité du riz dans la vallée du fleuve Sénégal (Papriz 2). À l’en croire, grâce à l’adaptation des semences qui ont été mises en place en fonction du profil de l’hivernage caractérisé par un retard pluviométrique, de bonnes récoltes de riz sont attendues en 2019.
Paris : les premiers doutes
Juste avant que le Coronavirus ne soit déclaré pandémie par l’Organisation Mondiale de la Santé (Oms), on pouvait valablement commencer à se poser des questions quant à la véracité des chiffres données par les responsables cités plus haut. En effet, du 22 février au 1er mars 2020, participant au Salon international de l’agriculture de Paris, le ministre de l’Agriculture et de l’Equipement rural, Pr Moussa Baldé, qui conduisait la délégation sénégalaise, avait laissé entendre que l’autosuffisance en riz était loin d’être atteinte et qu’il fallait redoubler d’efforts pour y arriver. « Le Sénégal va maintenir le cap de la marche vers l’autosuffisance en riz. Il suffit de multiplier encore les efforts. Il ne nous reste qu’à les multiplier encore par deux pour arriver à l’autosuffisance en riz. Nous avons les arguments et le potentiel pour y arriver », soutenait-il devant les membres de la presse nationale qui avaient relayé ses propos.
Il fallait donc diviser par deux les 1,6 millions de tonnes nécessaires à l’atteinte des objectifs d’autosuffisance en riz pour avoir la quantité de riz produite dans les différentes zones de production. Ce qui tourne autour de 900 000 tonnes.
Les précautions oratoires de rigueur du ministre de l’Agriculture et de l’Équipement rural n’ont pas dissipé les craintes des observateurs. Surtout après la lecture d’une note de l’Organisation pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) sur des baisses de productions de riz au Sénégal et au Nigeria principalement. « Au Nigeria, les importations de riz devraient grimper de 20% en 2019, soit 500 000 tonnes de plus, alors même que la production de riz a progressé de 100 000 tonnes en 2018. En revanche, dans le cas du Sénégal où les importations bondiraient de 15%, c’est essentiellement parce que la production de riz de la vallée du fleuve Sénégal est moins bonne. La FAO anticipe une baisse de 100 000 tonnes de la production », pouvait-on lire sur le document.
Cinq (5) mois après la fin de 2019, le Coronavirus est passé par là et les tonalités sur une supposée autosuffisance en riz sont moins affirmatives et les adeptes des chiffres triomphalistes, aphones. « Le plus important est la promptitude de la réaction du président de la République et que les Sénégalais perçoivent leur lot d’aide alimentaire qui comprend du riz », se défendent-ils.
Toutefois, avec cette pandémie du COVID-19 et ses conséquences sur la sécurité alimentaire, la réalité saute aux yeux : le Sénégal est loin d’atteindre l’autosuffisance en riz tant chantée. Les rendements et disponibilités annoncés sont loin d’être au rendez-vous.
ALIOUNE FALL, ISRA :
«L’autosuffisance en riz n’est toujours pas une réalité »
Alioune Fall, directeur de l’Institut Sénégalais de Recherches agricoles (Isra), explique dans un entretien avec rfi.fr que cette grosse commande vers des fournisseurs extérieurs à l’heure de la pandémie est une piqûre de rappel quant à la capacité du pays à produire assez de riz pour toute sa population, en quantité et en qualité. « L’autosuffisance en riz n’est toujours pas une réalité. La production locale stagne vraisemblablement autour d’un million de tonnes par an… » Loin de l’objectif des 1 600 000 tonnes déclaré.
La pandémie du COVID-19 nous démontre qu’aucun pays ne peut prétendre à l’émergence sans pour autant détenir entre les mains de ses nationaux sa souveraineté alimentaire. L’Inde, le Brésil, la Chine, la Thaïlande, le Pakistan, le Cambodge, l’Argentine, principaux fournisseurs de riz du Sénégal, vont certainement poser des actes protectionnistes de leur production céréalière pour assurer leurs arrières. En outre, en bons capitalistes qu’ils sont, ils ne vont pas se gêner pour augmenter leurs marges bénéficiaires en période de fortes commandes lorsqu’on sait que tous les pays producteurs vont connaître une baisse de rentabilité à cause du Coronavirus.
Un vrai retour vers la terre
Le Gouvernement du Sénégal doit mettre en place les conditions d’une explosion de la production locale de riz en général et de céréales en particulier dans les plus brefs délais. Favoriser un retour massif vers la terre pour des agro-industriels de premiers plans, mais aussi pour des milliers de jeunes sans emploi qui pourraient faire de l’agriculture en général et de la production du riz en particulier leur gagne-pain. Mais également des mesures dissuasives sur l’importation de riz et la spéculation foncière sur les terres rizicoles.
Discussion à ce sujet post