A travers le déroulé de sa vision stratégique, «Port horizon 2023», Cheikh Kanté, Directeur Général du Port Autonome de Dakar, impulse le processus de modernisation des infrastructures du Port pour le hisser aux standards internationaux en perspective de la concurrence, devenue plus rude, avec les autres ports de la sous-région. Revivez cet entretien exclusif que l’ancien Dg du Port a accordé à Reussir Magazine! Interview.
Pouvez-vous nous faire le point sur l’état d’avancement de votre projet de modernisation du Port Autonome de Dakar ?
Vous savez, le Port de Dakar est un port très ancien, adossé à l’agglomération de Dakar dont il rythme la vie. Qui dit port ancien, dit aussi exigence de renouvellement et de modernisation des infrastructures de base. Lorsque j’ai été porté à la tête du Port Autonome de Dakar par le Président de la République, son Excellence Macky Sall, j’ai très vite mesuré combien l’espace portuaire avait besoin de faire un lifting infrastructurel pour s’arrimer sur les standards internationaux. J’ai bâti, dès lors, avec mes équipes une nouvelle vision stratégique dénommée «Port horizon 2023» dont l’unique objectif est de moderniser notre outil de travail. Comme vous le savez, un port moderne est un espace économique qui doit être caractérisé par la qualité des infrastructures d’accueil et un bon système de management. C’est pourquoi, je peux dire, aujourd’hui, sans risque de me tromper que le projet de modernisation est en marche pour trois raisons. D’abord, nous avons d’abord entrepris dans le cadre de partenariats Public-Privé, une série de concessions afin de mieux consolider notre gamme de services à l’endroit de notre clientèle. Ainsi, les Terminaux Vraquier et Roulier ont été respectivement concédés à Necotrans et à Bolloré Africa Logistics. Ensuite, nous avons ensuite procédé au dragage du chenal d’accès à -13,50 mètres pour accueillir des navires de plus grande taille. Enfin, nous avons renforcé notre stratégie sécuritaire, ce qui nous a permis d’éviter d’être black-listé et nous a même valu les félicitations des gardes côtes américains lors de leur passage à Dakar, dans le cadre de la mise à niveau de nos installations aux normes ISPS.
Des concessions ont été attribuées à des multinationales. Ont-elles répondu aux attentes ? Pouvez-vous nous faire le point avec chacune d’elles ?
Les concessions ont répondu à nos attentes au regard de la modernisation des espaces concédés avec des équipements de manutention de dernière génération et au regard du renforcement de la sécurité et de la perception de redevances plus importantes pour l’autorité portuaire. Vous pouvez, de vous-même, constater qu’aujourd’hui, le visage du port de Dakar a fortement changé. Il suffit d’en faire le tour…
Concernant le Terminal Roulier, notre partenaire stratégique a lancé, depuis le 31 avril 2015, les travaux d’aménagement et de réhabilitation des terre-pleins et réseaux du Môle El Hadj Malick Sy. L’objectif est d’augmenter, à terme, nos capacités d’accueil du trafic de véhicules et de disposer d’une des plateformes les plus performantes de la côte ouest-africaine. Pour le Terminal Vraquier, les engagements pris concernant l’équipement ont connu un début d’exécution et le concessionnaire va incessamment démarrer les travaux de mise à niveau de l’infrastructure, conformément au cahier des charges. Le Port de Dakar est, aujourd’hui, aux standards internationaux en matière de services. Nous venons de recevoir le navire porte-conteneurs Baby Panamax pour sa première escale commerciale au Port de Dakar au niveau du Terminal à conteneurs avec les partenaires DP World et Maersk Line. Cela témoigne de la pertinence de nos choix stratégique et traduit encore, toute la dimension de notre ancrage dans la dynamique de révolutionner notre outil pour le rendre plus efficient et plus compétitif.
Peut-on s’attendre à ce que le Terminal Céréalier soit cédé à une multinationale ou bien les nationaux vont-ils être prioritaires ?
Nous avons toujours privilégié, dans notre gouvernance, d’impliquer toutes les parties prenantes à la réalisation du produit portuaire. La promotion du Port de Dakar incombe à tous les acteurs de la chaîne logistique. A cet effet, notre démarche répond à ce principe d’équité envers tous les partenaires, locaux ou étrangers. Mais nous veillerons à ce que les intérêts de l’économie sénégalaise soient préservés. Nous n’excluons aucun secteur. Les critères sont transparents et feront appel à une expertise capable de concrétiser ce projet, pour notre compte. Donc, c’est une démarche ouverte qui concerne tout le monde et n’obéit à aucune préférence, fut-elle étrangère.
La circulation et l’insalubrité constituent encore de gros défis au Port. Quelles sont les stratégies mises en place pour y remédier au plus vite ?
L’insalubrité est une situation que nous déplorons rigoureusement et que nous combattons tous les jours par la concertation et l’application des dispositions relatives au règlement d’exploitation du Port de Dakar. Chaque acteur doit jouer le jeu à ce niveau pour une action collective efficace avec l’engagement de tout un chacun pour arriver à un Port propre. Mais, il est important de préciser qu’à ce niveau, nous mettons en œuvre une batterie de mesures pour faire face à ce problème. Ainsi, il est organisé de séances de nettoiement régulières avec les services compétents et nous procédons, régulièrement, au nettoiement du plan d’eau en plus des sanctions appliquées à l’endroit des contrevenants. Aujourd’hui, nous pouvons affirmer que la fluidité de la circulation est assurée au niveau du Port. Nous avons mis en place une bonne gestion du système des accès dans toutes les plateformes d’opérations. Evidemment, notre trafic a augmenté et le parc de véhicules aussi. Les équipes compétentes de l’exploitation et de la sécurité mettent en œuvre toutes leurs prérogatives pour juguler cette situation.
Plus globalement, quelle est la contribution de l’activité portuaire dans l’économie sénégalaise ?
Un port, c’est tout d’abord un espace économique. De ce point de vue, le Port de Dakar joue un rôle éminemment important dans l’économie sénégalaise avec 90% du commerce extérieur qui passe par le Port de Dakar et 90% des recettes douanières. Ce qui procure à l’Etat des recettes importantes pour le financement des actions de développement.
Aujourd’hui, nous sommes à un trafic de plus 13 millions de tonnes de marchandises, tous sens confondus (import-export-transit-transbordement). Le Port de Dakar participe à la vie économique de l’hinterland, notamment le Mali, le Niger, le Burkina Faso qui y font transiter un important trafic. Le Port de Dakar est aussi un formidable pourvoyeur d’emplois directs et indirects dans tous les secteurs d’activités. L’apport économique des ports pour les pays en voie de développement est un enjeu fondamental.
Quelle est la contribution du Port de Dakar dans le dernier Classement Doing Business du Sénégal ?
Concernant le Doing Business, le Port de Dakar a contribué positivement au classement du Sénégal. Aujourd’hui, nous sommes en phase de dématérialisation des procédures en plus de la mise en place d’un système d’information communautaire et d’un projet de guichet unique. La Communauté des acteurs portuaires a instauré, avec les partenaires, le système de fonctionnement à feu continu 24/24 et 7j/7. Toutes ces initiatives participent à fluidifier les flux physiques de marchandises et les flux documentaires aptes à favoriser un gain de temps pour l’ensemble des acteurs de la chaîne logistique.
L’état du chemin de fer constitue un gros manque à gagner, notamment dans la concurrence inter- portuaire. Y-a-t-il des projets concrets pour sa relance, notamment sur le corridor Dakar Bamako ?
La relance des rails constitue un projet de première importance dans le cadre du Plan Sénégal Emergent. Le rail représente le transport de masse et favorise la multi-modalité par des solutions de continuité de flux jusqu’à la destination finale. Les projets ayant trait au chemin de fer, bien évidemment, permettront au Port de Dakar de capter une part importante de trafic transit que nous disputons aux ports concurrents de la sous-région.
Le Sénégal et le Mali, sur l’impulsion des chefs d’Etats et de gouvernements, travaillent en étroite collaboration pour redynamiser la voie ferrée au grand bénéfice des acteurs économiques. Nous ne pouvons qu’être confiants quant au redéploiement du rail.
Comment analysez-vous l’évolution du trafic avec le Mali, ces dernières années et quelles projections, en rapport avec la concurrence ivoirienne?
Le trafic malien évolue de manière appréciable. Dakar est le premier port de transit des acteurs maliens. Les relations excellentes entre les deux Etats font qu’aujourd’hui, 71% du trafic conteneurs et 61% du trafic conventionnel malien passe par Dakar. A ce sujet, nous pouvons ajouter que le PAD vient de signer une convention avec la Compagnie Malienne de Développement des Textiles qui fera transiter plus de 100.000 tonnes de coton à l’export par Dakar. En plus de l’ouverture de la route du Sud qui fait économiser 200 km. Ce sont des preuves évidentes d’une action commerciale offensive en direction de nos clients du Mali.
Quels sont vos arguments pour faire face à la concurrence avec les autres ports, notamment Abidjan, quand on sait que nos produits à l’export ne pèsent pas lourd ?
Nous pouvons affirmer notre compétitivité face aux ports concurrents, compte tenu d’une bonne stratégie tarifaire, la stabilité politique du Sénégal, adossées à une politique portuaire clairement définie par le gouvernement. Cependant, il est important de développer d’autres activités aptes à booster le trafic export. Pour cela, nous sommes très optimistes, vu les efforts déployés par les acteurs de la filière horticole et les perspectives d’export, provenant du Mali, dans le secteur des mines.
Enfin, quelle est votre vision du Port du Futur, à moyen et long terme ?
Notre vision du Port du futur à moyen et long terme, est basée sur une approche infrastructurelle et sécuritaire. Un Port moderne est un Port qui obéit et répond à l’évolution technologique du monde maritime par rapport aux services offerts aux navires et à la marchandise. Aujourd’hui, nous nous acheminons vers la réalisation du Port du futur avec le partenaire DP World et la construction de la Tour de Gorée. D’une surface totale de 38.705 m2 pour une hauteur de 240 m au niveau de l’espace abritant le phare. Cette tour sera un symbole marquant l’entrée de Dakar dans l’avenir, visible de loin aussi bien depuis la mer que depuis la terre. C’est aussi, pour nous, une façon de matérialiser cette autre dimension des ports : celle d’aménagement du territoire.
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