Sortir du Covid-19 par le haut exige l’adoption d’une démarche inclusive qui associe à chacune des étapes de mise en œuvre d’une nouvelle politique industrielle, une approche inclusive avec le secteur privé pour bâtir des consensus robustes. Pour ce faire je propose une démarche de sortie de crise qui met le curseur sur les points ci-après :
– Consolider la concertation. L’existence d’un cadre permanent de concertation avec les industriels évite de cautionner la critique relative à un manque de leadership, de visibilité et de cohérente dans la gestion globale du secteur industriel. Beaucoup de problèmes qui devraient être pris en charge par la tutelle sont transférés vers d’autres ministères comme les finances qui font des arbitrages sous le seul angle budgétaires ou fiscal sans tenir compte des cohérences de la politique industrielle. De cela naît bien souvent un sentiment de frustration et d’abandon par la tutelle.
– Reconstruire le dispositif d’appui au secteur industriel. L’écosystème d’encadrement présente des faiblesses nées d’une dispersion des structures sans moyens conséquents pour faire face à leurs missions. Je reproche au dispositif actuel son caractère incomplet, les redondances dans les missions et les activités ainsi qu’un déficit notoire de synergie et de coordination. Cette situation donne naissance à une sorte de guérilla feutrée entre certaines agences en charge de l’appui aux acteurs. Le management de la relance post Covid a particulièrement besoin d’une plateforme lisible et accessible dotée de moyens conséquents et sous la supervision d’une autorité administrative aux pouvoirs d’intervention étendus. Il faut à tout prix éviter les attributions parcellaires et les approches de saupoudrage incompatibles et adopter une conduite maitrisée du processus de relance.
– Réinventer le système de formation. Notre pays a besoin de ressources humaines capables de s’adapter en permanence aux évolutions de l’industrie et aux mutations de l’environnement mondial. Savoir anticiper les métiers d’avenir doit être une préoccupation permanente pour accompagner les dynamiques des filières à l’échelle internationale. Les initiatives prises par l’Etat avec la multiplication des structures de formation professionnelle surtout dans les territoires sources d’opportunités nouvelles vont dans le bon sens et méritent d’être poursuivies et renforcées.
– Réussir le pilotage stratégique. Il s’agit selon moi du point névralgique de notre politique industriel se situe à ce niveau. C’est incontestablement le facteur déterminant. Il faudra savoir allier une vision stratégique largement partagée avec les acteurs et une déclinaison opérationnelle claire et rigoureuse en sachant que seules les réformes structurelles parfois les plus difficiles à mener sont garantes d’une croissance soutenue et auto-entretenue à long terme. Faire un choix clair entre les différentes trajectoires industrielles souhaitables et possibles me semble être une priorité. Entre l’importation-substitution et la promotion des exportations voire un dosage entre les deux options permettrait d’orienter les efforts d’industrialisation vers les secteurs prioritaires. Nous n’avons pas les moyens de pousser tous les secteurs et filières en même temps. Osons trancher les choix sur les priorités.
– Moderniser le secteur industriel. Construire un secteur industriel performant commence par pousser les « gagnants » toujours plus haut, en renforçant le dispositif de mise à niveau des entreprises et en ciblant de manière pragmatique et volontariste des secteurs moteurs. Ma conviction est que conduire un vrai projet industriel c’est aussi imiter les pays dont la transition structurelle a été portée par une industrie poussée à faire des sauts quantitatifs et qualitatifs. Dans cet exercice les acteurs économiques ont des responsabilités à assumer. Ils doivent adopter une culture de la performance et un esprit de compétiteur. L’immobilisme et la culture de rente ne doivent en aucun cas être récompensés au seul prétexte qu’il nous faut une industrie nationale. Le prix à payer serait trop lourd et le sacrifice vain. Un entrepreneur est celui qui prend des initiatives et des risques et non celui qui vit de prébende.
Nous sommes rentrés dans une période cruciale de notre développement. Le « Monde d’après » comme aiment à le désigner certains théoriciens de l’après-Covi 19 s’ouvre sur tous les possibles qu’autorise la recomposition de l’économie mondiale. Notre industrie peut être réinventée et modernisée à la seule condition que pouvoirs publics et opérateurs s’en donnent les moyens. La stratégie de relance nous en donne l’opportunité. La situation de crise que nous traversons est grosse de tous les dangers en même temps qu’elle est porteuse d’opportunités pour ceux qui auront le génie d’anticiper et de prendre des initiatives.
L’histoire industrielle mondiale récente nous montre que travailler à l’émergence industrielle, c’est aller vers la conquête des nouveaux métiers mondiaux au regard de leur dynamique et aux avantages compétitifs qu’ils présentent. Il nous faut dès lors rejoindre la 4ème révolution industrielle, caractérisée par l’usage systématique du numérique et l’utilisation massive des données. Cette dernière révolution suppose outre l’intrusion massive de l’intelligence économique dans les process de production, une approche prospective des chaines de valeurs mondiales, une politique volontariste axée sur la formation de qualité pour accompagner les mutations, la diversification et la mise sur les marchés de produits de plus en plus sophistiqués. C’est d’ailleurs cette transformation structurelle qui définit le mieux l’émergence d’une économie que vise le PSE. Dès lors que faire ?
Mobiliser l’Administration. Il s’agit du facteur de loin le plus déterminant dont découle la réussite de toute politique publique. Nos fonctionnaires aux compétences avérées doivent s’engager résolument dans une dynamique vertueuse de renouveau à tous les niveaux de la chaîne administrative capable d’accompagner les réformes de fond.
Cette mobilisation de l’Administration donc de l’Etat trouve toute sa pertinence dans le fait que la compétition internationale prend de moins en moins les allures d’une confrontation exclusive entre des entreprises qui ont recours aux mêmes règles du jeu. Elle revêt de plus en plus la réalité d’une compétition entre Etats qui ont recours à des règles propres à chaque Etat.
Toutefois, beaucoup de problèmes de compétitivité de l’industrie ne sont pas imputables à l’Etat même si c’est à lui revient de créer les infrastructures et la superstructure industrielles pour accompagner les entrepreneurs. Ils relèvent de la responsabilité d’entreprises qui ne sont pas toujours offensives, innovantes, ne se remettent pas toujours en cause, négligent les efforts de mise à niveau et d’ajustement interne ou n’anticipent pas l’avenir. Or une stratégie de sortie de crise post Covid-19 aura besoin certes du leadership de l’Etat mais aussi de l’engagement d’un secteur privé entreprenant et conquérant qui évite de s’installer dans le cercle vicieux de la non compétitivité et de la régression.
Avancer ce sera aussi avoir le courage d’écarter les entreprises « zombies » maintenues en permanence en survie sous morphine et pousser les « battantes ». Il ne peut y avoir de changement sans acteur et dans la résilience et la relance, ce sont les industriels qui doivent être porteurs des mutations.
Dès lors nous devons nous fixer un nouveau cap et nous donner de nouvelles ambitions
Dans la configuration de l’économie mondiale qui se dessine, nous aurons besoin d’une bonne compréhension de cette dynamique afin de détecter les créneaux porteurs de croissance pour leur faire bénéficier d’un appui ciblé et efficace. Construire une nouvelle dynamique industrielle, diversifiée et territorialement articulée autour d’une agriculture plus performante et de secteurs d’avenir devrait être l’enjeu des prochaines années.
Avec le retournement du marché international nous prenons maintenant conscience de notre vulnérabilité, des effets pervers d’une mondialisation non maitrisée et la pertinence d’une approche endogène du développement.
En intégrant la nouvelle donne, il nous faut pour le moyen et long terme revoir nos choix de politiques économiques et redéfinir nos priorités en fonction des grandes mutations qui s’opèrent à l’échelle planétaire.
C’est tout l’intérêt pour nos pays de porter une attention particulière à la production locale. Nous sommes entrés dans une ère de grande turbulence et personne ne peut aujourd’hui prédire avec certitude les évolutions du marché international. Notre souveraineté économique devient un impératif qui vaut tous les sacrifices et tous les consensus.
Avoir de l’ambition serait de s’accrocher aux créneaux porteurs à haute valeur ajoutée d’avenir, instaurer des mécanismes d’incitation à la formation et à l’innovation, opter pour une utilisation massive de l’informatique et de l’intelligence artificielle dans l’industrie surtout dans les petites et moyennes industries. Malgré des moyens limités, le Sénégal peut faire un pari sur l’avenir, en favorisant l’érection de pôles technologiques et de pôles d’excellence.
Avec cette pandémie, notre pays est à la croisée des chemins et nous devons opérer les mutations nécessaires si nous voulons encore lui donner un dessein industriel.
Nous avons le choix entre deux attitudes : soit nous engager résolument dans une dynamique vertueuse de renouveau en saisissant les opportunités qui s’offrent à nous à travers un processus de réformes structurelles imposées à toutes les économies par la crise actuelle, soit les reporter nos réformes au risque de dévier de la trajectoire de l’émergence d’une industrie territorialement ancrée, robuste et conquérante.
La Chine et les autres pays occidentaux vont sortir de la crise avec une volonté ferme de reconquête économique et de partage de la richesse mondiale au moment où nous serons encore à nous débattre avec la crise. A titre d’exemple, depuis la mi-mars, au moment où nous entrions avec les occidentaux dans le confinement, 90 % des usines chinoises avaient déjà ré ouvert leurs usines et partaient à la conquête de nouveaux marchés.
Pour le Sénégal comme pour les autres pays africains à moins de nous retrousser les manches, nous risquons un décrochage fatal qui va nous renvoyer plus loin encore et pour longtemps dans la périphérie des gagnants de l’économie mondiale du « Jour d’après » Post covid-19.
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