Des IPM qui ont raté leurs ambitions…
Jadis lancées pour un but essentiellement social, les Institutions de Prévoyance Maladies (IPM) semblent avoir rendu aujourd’hui une pâle copie. Selon Dr Tidiane Siby, patron du laboratoire BIO 24, il y avait une caisse d’avances qui faisait que si les IPM ne pouvaient pas payer, l’Etat payait pour eux. «En 2000, les IPM devaient aux prestataires médicaux quelque 3 milliards Fcfa. On a fait un congrès récemment et je ne pense que ça a beaucoup changé. Mais est-ce que les sociétés payent les IPM ? Ça, c’est un autre débat…», avance-t-il, prudemment. En effet, chaque employé cotise 5 000 FCFA/mois pour l’IPM (pour le cas particulier de l’IPM des Professions Libérales, la règle est une cotisation de 6% du salaire plafonné également et répartie entre le travailleur et l’employeur). Maintenant, un malade va voir un médecin et celui-ci envoie une note d’honoraires de 20 000 FCFA. Trois mois après, l’IPM doit payer intégralement et facturer la moitié à l’adhérent. La société, après avoir réglé la facture de l’IPM, va opérer une retenue à la source sur son salarié pour se faire rembourser. «Le système de l’IPM est en train d’être dépassé. La plupart des IPM ont des problèmes, parce qu’elles sont subventionnées par leurs directions qui tardent, souvent, à libérer cette subvention. Mais, le système a montré ses limites. Par exemple, les week-ends et jours fériés, l’IPM ne fonctionnant pas, l’adhérent n’a pas la possibilité de se faire délivrer une lettre de garantie. C’est pourquoi, les salariés ont de plus en plus recours à l’Assurance-maladie.
Maintenant, dans les sociétés, même si vous prenez une Assurance-maladie, vous êtes obligés de rester dans l’IPM, car l’affiliation à une IPM est une obligation légale. En 2000, les IPM devaient aux prestataires médicaux quelque 3 milliards Fcfa. On a fait un congrès récemment et je pense que sur le plan pratique, l’Assurance-maladie est plus complète. La couverture de l’IPM ne dépasse pas 60% et tout ce qui est pharmacie de maison, l’IPM ne la prend pas en charge…», complète Fadel Ndiaye de BIO 24.
Il y a une certaine incohérence parce que l’assurance prend tout en charge, jusqu’à près de 80 à 90%. La personne assurée et disposant d’une carte peut se faire prendre en charge, à tout moment. Aussi le système de l’IPM devrait être revu, parce que dépassé par les évolutions. «Je pense que le système a été dévié. Au début, il y avait un plafond et ne prenait pas en compte tous les salariés. Par exemple, les cadres n’étaient pas pris en charge par l’IPM. Maintenant, on voit même le directeur qui est affilié à l’IPM.
Au début c’était du social, il y avait d’ailleurs deux systèmes de prise en charge dans les sociétés : pour les cadres et le personnel», ajoute Joël Mukendi de BIO 24.
Des suspicions de fraudes…
Aujourd’hui, aussi sensible que soit le secteur de la Santé, des mal-intentionnés ou inconscients réussissent à poser des actes frauduleux et passent parfois entre les mailles des filets des assureurs. C’est souvent le cas dans les familles élargies à l’africaine, quand le père de famille, salarié et assuré, fait prendre en charge son neveu ou sa tante ou sa sœur alors qu’ils ne font pas partie des assurables. «Quand le patient vient avec sa carte, la première chose, c’est
vérifier si le nom et l’âge correspondent à la prescription. On sait qu’il y a des gens qui prennent en charge leur maman à la place de leur femme. Et souvent, quand on découvre la supercherie, ils nous crient dessus, ils nous disent que ‘c’est l’assurance qui paye’. Mais, on a signé une convention et on se doit de la respecter. Dès fois, on voit des incohérences entre l’âge, le sexe, le groupe sanguin et certaines prescriptions. On dit alors ‘stop’ et on arrête tout. C’est vraiment dommage. On en a même parlé en réunion de syndicat, on a dit qu’il faut bien moraliser la profession. Souvent, ce sont les médecins du Public ou des CHU qui le font, très vraisemblablement, en toute méconnaissance. Ils ne comprennent pas que c’est dangereux sur toute la ligne. Les analyses, c’est par rapport à l’âge et au sexe. On ne peut pas les interpréter quand ce n’est pas la même personne. Dans ces cas, on prend nos responsabilités et on retient les résultats. Mais il faut dire que c’est le patient qui donne au médecin un faux nom…
C’est vraiment compliqué. Il appartient à la population de prendre conscience de ce danger», révèle le patron de BIO 24. Selon ce dernier, il revient à la compagnie, elle-même, de veiller à ce que les cas de fraude soient réduits, à défaut de les faire disparaitre. «Il nous est arrivé de convier nos partenaires à une concertation afin de travailler avec eux. Nous leur demandons de réduire la fraude au maximum. On leur a suggéré, par exemple, de faire des cartes pour identifier les assurés. Il faut que les assureurs prennent cela en charge», lance-t-il. Il faut noter que des progrès sensibles ont été faits dans la dynamique d’identification des assurés et de leur famille.
Les cliniques privées, des plaintes à la pelle…
Sans aucun doute, le médecin traitant est le maillon de la chaîne qui a le plus de contraintes. Selon le président du Syndicat des cliniques privées du Sénégal, «le plus gros problème, c’est le déficit de dialogue entre les différents acteurs».
On reproche souvent aux cliniques d’être cher, ce qui n’est pas le cas, selon Dr Diallo. «Nous ne sommes pas cher comme on le pense. Il faut savoir que nous nous basons sur une nomenclature des actes médicaux qui désigne le tout, point par point. Nous ne faisons que nous y conformer. Maintenant, une nouvelle nomenclature est en cours de réalisation et elle sera soumise au ministère de la Santé qui a promis de la valider», révèle-t-il.
Si on leur reproche d’être cher, c’est sans doute par méconnaissance des charges auxquelles elles font face. C’est, du moins, ce que semble expliquer Dr Diallo : «Imaginez un malade qui paie, en moyenne, 40 000 Fcfa, la chambre d’hospitalisation. A ce prix, il a les trois repas quotidiens, un médecin à sa disposition, la climatisation qui coûte cher ainsi que toutes les commodités.
Le traitement qui lui est administré a aussi un coût étant donné les médicaments sont achetés par la clinique. A tout cela, s’ajoutent les taxes…»
Après cela, la facture est envoyée aux assureurs et c’est souvent le début d’une longue attente qui peut durer plusieurs mois, pour certaines compagnies. Il ne serait tout de même pas convenable de les mettre dans le même sac, sachant que certaines respectent les délais de règlement. «Souvent, on court derrière les sociétés d’assurance.
Sans doute, un des maillons les plus sereins de la chaîne, le labo BIO24 ne souffre pas trop de contestations parce que se basant sur les tarifs fixés par la nomenclature. Cependant, comme BIO 24 fonctionne 24h/24 et 7jours/7, aux jours non ouvrables et heures creuses, les prix ne sont pas les mêmes. Ce que les compagnies ne comprennent pas toujours. On dirait une sorte de cercle vicieux. Comme il y a souvent des insatisfactions, de part et d’autre, des assureurs, des clients et des prestataires médicaux, c’est un changement en permanence. Surtout lors des renouvellements des contrats en fin d’année, où il y a une surenchère sur le montant de la prime, avec une pression à la baisse.
Aussi, un facteur non négligeable et qui impacte fort sur leurs dépenses, c’est le fait que les cliniques privées ne sont pas autorisées à se ravitailler à la pharmacie Nationale d’Approvisionnement (PNA), alors que les coûts peuvent varier du simple au triple. Le litre d’alcool, par exemple, peut être acheté dans une officine à près de 2500 Fcfa alors qu’à la PNA, c’est moins de mille
francs… Mais que dire du fait que, depuis l’an 2000, les prix des consultations n’ont pas évolué ? «Les matériels et intrants que nous utilisons coûtent excessivement cher alors que, depuis 12 ans maintenant, les prix des soins et autres consultations n’ont pas évolué et ne subissent même pas l’inflation», se désole Dr Diallo.
Des procédures lourdes chez les Assureurs…
Même s’il refuse d’entériner la mésentente entre assureurs et prestataires, Dr Touré, médecin-conseil, reconnaît quand même des relations tendues. «C’est dans le sens où les prestataires de soins ont des obligations qui les poussent à réclamer leurs dus dans des délais prévus, conformément à leurs engagements. L’assureur a le devoir de régler les prestations, selon les délais établis d’accord- partie. Le problème, c’est le respect du délai de convention contractuelle.
Pourquoi l’assureur ne respecte pas ses obligations à délai échu ? C’est ce qu’il faut essayer de voir. Aujourd’hui, avec l’article 13, les impayés de primes ne peuvent plus être un motif de non-respect des délais», reconnaît-il.
Mais, beaucoup de prestataires médicaux renvoient la faute aux assureurs. Dr El Caba Touré, en même temps médecin-conseil et assureur, est assez bien placé pour analyser le problème. «Certes les assureurs sont fautifs, mais si on essaie de comprendre, on sera indulgent à leur égard. A mon avis, c’est une lourdeur de procédures, parce que régler un sinistre, si ça équivalait simplement à faire signer un chèque à remettre à l’assuré, cela ne poserait pas de problème. Cela se faisait antérieurement, mais c’est quand l’Assurance-maladie était à ses débuts. Aujourd’hui, ça a changé. Il y a des logiciels qui requièrent une saisie des données, aussi des signatures de chèques qui peuvent prendre du temps. La deuxième raison, c’est que l’Assurance-santé a explosé, les chiffres ont doublé en peu de temps. La demande est là, les assureurs aussi. Pour le business, ils ont tendance à accepter des contrats et accroître les demandes. Ce qui augmente la dépendance avec le prestataire de soins qui, lui aussi, a des charges. Si le règlement des assurances représente près de 2/3 de leurs chiffres d’affaires, si les factures ne sont pas payées, cela peut aboutir à des problèmes», justifie-t-il.
Mais, que faut-il faire pour que ces deux parties, qui semblent indissociables, s’entendent à merveille ? Selon Dr Touré, médecin-conseil, il faut privilégier le dialogue parce que, de plus en plus, les prestataires pensent que les assureurs font du dilatoire. Ils ont tendance à penser que les assureurs essayent de jouer avec les fonds et planifient les règlements sans tenir compte de leurs contraintes et autres obligations, alors qu’ils ont également des problèmes de disponibilité. «Quand quelqu’un paie cash, l’argent peut être réinvesti dans autre chose. Ça fait que les prestataires ont tendance à dénigrer les assureurs et ça n’en fait pas de bons partenaires», poursuit-il. Aujourd’hui, une bonne partie du problème serait réglée si l’Etat s’était investi dans la validation et l’application de la nouvelle nomenclature. «Le Syndicat des médecins privés a travaillé sur une nouvelle nomenclature qu’il a proposée et qui n’a toujours pas été entérinée. Et cette nomenclature pose problème en ce sens que le prestataire est libre d’exiger des honoraires à sa convenance. Il est vrai que l’assureur aussi doit avoir une base de règlement, chacun peut facturer ses honoraires selon ce qui lui convient. Mais, l’organisme de remboursement est en droit de dire que moi je rembourse sur une base, comme cela se fait en France. Mais si cette base de remboursement n’a pas été entérinée, ça peut poser des problèmes», lance-t-il.
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