
Quand mon condisciple Bassirou Soumaré m’annonça la triste nouvelle, en cet après-midi de dimanche, c’est comme si la terre se dérobait sous mes pieds…
Karmoko Kané venait de s’éteindre à Bamako d’un brusque arrêt cardiaque ce 07 avril 2014. Ce qui a surpris tout le monde, sa proche famille, ses amis et autres alliés qui n’ont pas vu la faucheuse venir. Il y a moins de deux mois, nous étions ensemble à Bamako, lors du Forum de Bamako qu’il avait co-organisé, de main de maître, sous la supervision d’Abdoullah Coulibaly, président de l’Institut des Hautes Etudes en Management (IHEM) dont il était le numéro deux. Pendant trois jours, on a échangé ensemble sur son retour à Bamako à côté de sa vieille maman, sur ses projets personnels et professionnels, sa retraite anticipée de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar que l’ancien Doyen Ahmadou Aly Mbaye avait diligentée.
Kané est un pur produit de l’Université de Dakar où il a fait toutes ses humanités de la 1ère année de Sciences Eco au doctorat d’Etat, sans discontinuer. Comme enseignant, il y a gravi tous les échelons. D’Assistant à Maître de conférences agrégé et Assesseur de la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion (FASEG) avec Moustapha Kassé, comme Doyen. Il était d’abord Assesseur de la Faculté des Sciences Juridiques et Economiques (FSJE), comme n°2 du Doyen Moustapha Sourang.
Là où certains choisissaient d’aller en France ou aux Etats Unis, lui avait préféré rester à l’Université de Dakar où il a servi une bonne partie de sa brillante carrière. Quand il était Assistant à l’âge de 26 ans, il faisait face à des étudiants, quelques fois plus âgés que lui. Mais comme il était un dictateur-né, il se faisait respecter par tous les étudiants dont il était une sorte de «bête noire» dont tout le monde se méfiait.
Pour avoir été son étudiant et ami, durant tout mon cursus à la Fac et au-delà, je peux témoigner de son esprit de rigueur légendaire, de sa forte capacité de travail, de son intelligence phénoménale, de sa générosité et de son bon cœur. Il faut avoir été proche de lui pour le savoir tellement sa réputation de rigueur, voire de «méchanceté», dépassait tout entendement. C’était le prof qui donnait facilement 200 zéros en 1ère année parce qu’un étudiant lui a manqué de respect dans l’amphithéatre qui contenait plus de 1000 étudiants dans les années 90…
Mais, il est aussi le prof qui savait accompagner, donner des conseils, prêter des livres, aider des étudiants en difficultés, à obtenir une bourse ou une aide ou au besoin, les aider financièrement de sa propre poche. Il en faisait de même pour le personnel subalterne de la faculté à qui il donnait, souvent, le transport ou le repas de midi ou pour payer des ordonnances.
Pendant presque deux décennies, Kané a enseigné à plusieurs générations d’étudiants sénégalais et d’ailleurs qui lui doivent énormément pour leur formation académique parce qu’il se donnait à fond pour bien faire son travail. Il était la conscience professionnelle personnifiée. Je peux témoigner que, pendant les périodes d’examen, il ne dormait presque pas. Il veillait à ce que les copies soient bien corrigées. Quand il était Assesseur, sa porte était toujours ouverte aux étudiants, au personnel et à ses collègues enseignants. Chaque fois qu’il y avait un problème, surtout du temps du Doyen Sourang qui lui avait donné carte blanche, il s’arrangeait pour lui trouver une solution. Même si ce n’est pas toujours celle qui était attendue…
Après Dakar, il a été sélectionné pour devenir Directeur du Programme de 3ème cycle en Sciences Economiques (PTCI) à Ouagadougou pendant deux mandats avant de retourner à Bamako où il passa une année sabbatique. Ce dont il avait bien besoin pour quelqu’un qui passait tout son temps à travailler. Il ne dormait que 3 à 4 heures de temps par nuit. Et depuis très longtemps…
Après, il était allé à Harare (Zimbabwe) rejoindre, son ami et compatriote, Zoumana Sacko, ancien Premier ministre après le coup d’Etat, sous ATT. Il était alors Directeur exécutif de la Fondation ACBF ou African Capacity Building Foundation. A ce titre, il venait deux ou trois fois par année à Dakar pour superviser des programmes de coopération et de renforcement de capacités dans des institutions comme le CESAG, le CODESRIA, le CEPOD (Aliou Faye), AFAO (Khady Fall Tall)…
Il était rentré définitivement à Bamako, en décembre 2012, pour accompagner son ami, Modibo Sidibé, ancien et dernier Premier ministre d’Amadou Toumani Touré dans son combat politique et ensuite le président Coulibaly à l’IHEM où il faisait ce qu’il savait le mieux au monde : enseigner et former. Pour la petite histoire, il est le 1er enseignant de nationalité malienne, agrégé en Sciences économiques…
Que la terre de Bamako, où il a été enterré ce lundi après-midi, lui soit légère !
Baye Dame WADE, Disciple de Karamoko Kané
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